Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 15h35
Commission des affaires étrangères

Sébastien Lecornu, ministre :

Je suis également à la disposition de votre groupe pour approfondir nos échanges. J'ai déjà répondu aux questions de M. Bayou sur les évolutions de la doctrine nucléaire et sur le porte-avions. Ce dernier est un instrument qui permet d'associer différents États partenaires lors d'opérations. Sa réalisation permet aussi de garantir le maintien de savoir-faire, notamment en matière de propulsion nucléaire. C'est donc également un enjeu de souveraineté.

Le président de la République a conclu les états-généraux de la diplomatie en annonçant une inversion de tendance en ce qui concerne les crédits et les effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je ne suis pas le mieux placé pour aborder les questions diplomatiques et je laisse le soin à ma collègue Catherine Colonna de vous en parler.

J'en viens aux conflits de haute intensité. On a tort de faire des comparaisons entre les modèles d'armées de pays très différents. Les situations ne sont pas les mêmes en fonction de leurs positions géographiques, de leurs alliances et selon qu'ils disposent de l'arme nucléaire ou de territoires outre-mer. Nous faisons face à des risques qui nous sont propres mais qui sont bel et bien réels, en matière cyber ou dans le spatial, et prennent des formes hybrides qui peuvent contourner la dissuasion nucléaire. Le terrorisme en fait malheureusement toujours partie. On peut aussi évoquer les différents effets du réchauffement climatique, y compris outre-mer.

La notion de haute intensité doit être interprétée en fonction de la situation particulière de la France. Nous avons été les premiers à nous mettre en marche en tant que nation-cadre pour aider la Roumanie. Nous devons pouvoir répondre à court et moyen termes à des demandes d'assistance d'un État partenaire déstabilisé par un puissant voisin et où se trouvent un grand nombre de nos ressortissants. Cela suppose de pouvoir intervenir d'abord seul, puis dans la durée dans le cadre d'une coalition.

Les enseignements du conflit ukrainien ne sont pas directement transposables, principalement parce que nous avons la dissuasion nucléaire. Mais nous pouvons être confrontés à un conflit de haute intensité dans le bas du spectre, avec par exemple des cyberattaques massives ou bien un déni d'accès maritime pour les exportations de matières premières agricoles ou les importations d'hydrocarbures, dont les conséquences sociales seraient particulièrement dures.

Les véritables études d'impact sont constituées par des cas pratiques en matière de sécurité, sur lesquels il faut faire des paris. Il ne s'agit pas de jouer à se faire peur. Je vois bien que la tentation est parfois forte pour certains de se dire que le conflit ukrainien est une bonne occasion de remplir les hangars de stocks d'armements. Mais pour quelle doctrine et quelles missions ? Il faut étudier avec lucidité ces cas pratiques car il s'agit malheureusement de risques bel et bien réels.

Le ministère des armées exerce la tutelle de trois services de renseignement.

Très peu connue, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) lutte contre les ingérences étrangères au sein de l'appareil de défense, industries de défense comprises. Il peut s'agir d'espionnage, de sabotage ou de subversion. Cette direction a précédemment beaucoup travaillé sur les risques de terrorisme islamiste. Elle remet l'accent sur le contre-espionnage et des moyens importants vont lui être accordés.

La direction du renseignement militaire, que j'ai déjà évoquée, contribue à notre capacité souveraine à comprendre ce qui se passe sur un théâtre d'opérations. Sans renseignement, il n'y a pas de diplomatie possible. Les lacunes constatées lors de la guerre du Golfe – durant laquelle nous étions dépendants des Américains – et il y a encore dix ans – par exemple au Levant – sont derrière nous grâce aux décisions successives en faveur des investissements de la DRM. Il faut bien entendu continuer, particulièrement en matière de moyens spatiaux.

La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) continue à lutter contre le terrorisme, domaine dans lequel elle partage beaucoup d'informations avec ses partenaires, ce qu'elle fait naturellement moins en matière d'espionnage et de contre-espionnage. Elle protège nos intérêts économiques et se penche sur des sujets comme la prolifération nucléaire ou les menaces hybrides. À cet égard, on voit bien l'enjeu que constitue le groupe Wagner et nous allons accorder plus de moyens à la DGSE.

Le renseignement est au service de la présidence de la République et de l'interministériel, puisqu'il permet, par exemple, au ministère de l'économie de mieux suivre les sujets énergétiques et industriels.

En ce qui concerne nos bases en Afrique, nous disposons à Abidjan et à N'Djamena de deux bases mixtes, destinées aussi bien à la formation qu'au combat. Je mets à part le cas de notre implantation à Djibouti, davantage tournée vers l'Indopacifique et qui obéit à une logique et à des accords de défense différents. Les deux bases situées au Gabon et au Sénégal ont uniquement une vocation de formation. Nos offres en la matière sont de qualité mais elles commencent à être dépassées. Il faut les adapter et réduire la présence de nos forces permanentes, chargées du tronc commun de formation, en organisant davantage de rotations de militaires d'active et de réservistes à l'occasion de formations plus ciblées – par exemple en matière de drones et de cyber. Les armées locales ont progressé de manière spectaculaire et leurs demandes ont évolué. Si nous ne nous mettons pas à leur niveau, d'autres puissances feront des offres de formation et nous nous en mordrons les doigts.

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