Intervention de Benoît Cœuré

Réunion du vendredi 24 mars 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Benoît Cœuré, président de l'Autorité de la concurrence :

J'ai l'impression que nous partageons la même frustration et la même impatience, même si vous êtes beaucoup plus exigeants que nous, ce que j'entends.

J'ai dit que l'outre-mer était une de nos priorités et j'ai donné des chiffres qui montrent que sa part dans notre programme d'activité, notamment du côté du contentieux, augmente régulièrement. En 2022, près d'un quart de nos décisions concernait ainsi l'outre-mer.

L'instruction des dossiers est très lourde et lente – je remercie d'ailleurs, pour leur travail, les services concernés. La matière est pénale ou quasi pénale, les standards de preuve, qui sont européens et dictés par la jurisprudence, sont très élevés, presque tous les dossiers vont en appel et en cassation, et nous avons en face de nous des entreprises et des avocats en général très inventifs et très compétents. Nous devons donc rassembler une très grande masse de preuves, ce qui prend beaucoup de temps et ne nous permet pas d'avoir simultanément un très grand nombre de dossiers à l'instruction. Je comprends bien la difficulté que cela pose, particulièrement quand il y a urgence.

Mon engagement devant vous en tant que président de l'Autorité de la concurrence, c'est que dans tous les dossiers où nous aurons des indices permettant de démarrer un travail, nous le ferons : nous sommes là pour ça. Simplement, il faudra accepter que cela prenne du temps, car le travail d'instruction est lourd en matière de concurrence.

L'instrument de l'injonction structurelle, sur lequel vous êtes revenu, monsieur le rapporteur, existe bel et bien. Il fait, néanmoins, l'objet d'une sorte de réserve de la part de l'Autorité de la concurrence – je comprends que vous désapprouvez cette réserve –, car c'est un instrument nouveau qui a une histoire. Lorsque le gouvernement et le Parlement ont cherché à l'étendre à l'ensemble du territoire dans le cadre de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances dite « loi Macron », le Conseil constitutionnel a censuré cette mesure. Par ailleurs, les critères d'utilisation de cet instrument ont été durcis, puisqu'on est passé d'une « préoccupation de concurrence » à une « atteinte à une concurrence effective », puis on est revenu au critère initial dans la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, dite DDADUE, de décembre 2020.

Je ne peux pas parler au nom de la cour d'appel et de la Cour de cassation, mais je pense qu'elles auront le même raisonnement que nous : le standard de preuve est élevé, parce qu'il s'agit d'une atteinte au droit de propriété et au droit des contrats. Je n'ai aucun doute qu'il y aura un long processus en appel et en cassation ainsi qu'une question prioritaire de constitutionnalité le jour où nous activerons cet instrument. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'utiliser, mais il faut que les préoccupations de concurrence qui nous conduisent à y recourir soient très claires. Je sais que vous ne serez pas d'accord, monsieur le rapporteur, mais je tenais à vous expliquer comment nous raisonnons.

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