Intervention de Rima Abdul-Malak

Réunion du mercredi 24 mai 2023 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Rima Abdul-Malak, ministre :

Je répondrai à vos questions en commençant par la fin. L'enseignement musical relève des collectivités territoriales, mais une discussion est en cours avec les fédérations d'élus sur un schéma d'enseignement de la musique.

La réforme des retraites s'applique au secteur de la culture comme aux autres mais, quel que soit l'âge légal de la retraite, des enjeux spécifiques de formation et de reconversion valent pour certains métiers artistiques : pour la danse et le cirque par exemple, c'est à partir de 40 ans que doit s'envisager la reconversion. Nous avons créé un fonds de soutien à l'emploi pérenne qui aide aussi à penser ces développements dans la durée.

Le CNM, attendu depuis dix ans au moins et créé juste avant la pandémie, fut un outil crucial d'accompagnement de la filière pendant la crise sanitaire. La mission conduite par le sénateur Julien Bargeton a présenté une proposition complète et équilibrée suggérant différentes modalités de financement de la filière musicale à l'avenir. La contribution du streaming musical est l'une de ces propositions mais elle ne fait pas consensus dans la filière. Nous pourrons en reparler, mais le débat relatif au budget pour 2024 n'est pas engagé. Le rapport lui-même a été remis assez récemment, les discussions avec la filière ont commencé lors du Printemps de Bourges, il y a quelques semaines à peine, et elles se poursuivent.

Je vous remercie, monsieur Patrier-Leitus, pour vos mots aimables. Quand j'ai pris mes fonctions il y a un an, la fréquentation des salles de cinéma ne laissait pas d'inquiéter ; à Cannes, où je m'étais rendue trois jours après ma nomination, le sujet était sur toutes les lèvres. Un an plus tard, les Français sont retournés au cinéma, beaucoup de jeunes gens grâce au pass Culture : plus de 4,5 millions de places ont été réglées via le pass en 2022, c'est colossal. Les salles ont su se réinventer, les films montrés ont été divers et forts et, en avril 2023, la fréquentation s'est élevée à 19 millions de spectateurs, soit 3 % de plus que la moyenne observée entre 2017 et 2019, avant la pandémie. C'est très encourageant. Il faut évidemment attendre pour savoir si ces bons chiffres seront les mêmes jusqu'à la fin de l'année, mais la tendance montre un désir de cinéma dans notre pays, où les chiffres sont bien meilleurs qu'ailleurs. Á Cannes, mes homologues italien, espagnol, allemand et coréen ont fait état d'une situation bien plus mauvaise dans leur pays respectif ; en Italie, la fréquentation des salles est toujours de 60 % inférieure à ce qu'elle était en 2019, et de 40 % en Espagne. La santé de la filière française est donc largement meilleure, et ici la moitié de la fréquentation va vers des films français. Cette part de marché est énorme. En Allemagne et en Italie, la part de marché des films nationaux est de 20 % à peine, et de 8 % au Royaume-Uni. Plus d'un million d'entrées nationales pour le film de Jeanne Herry Je verrai toujours vos visages, c'est considérable, et nous pouvons être fiers d'un système de financement du cinéma qui permet cette diversité.

Les dernières évaluations indiquent, je vous l'ai dit, que chaque euro investi dans les tournages que permettra La Grande Fabrique de l'image entraînera 7,60 euros de retombées directes ou indirectes, et les retombées des formations seront très importantes. Non, madame Legrain, ce plan n'est pas destiné aux grands studios uniquement. De nouveaux studios vont se créer dans des villes où il n'en existait pas – à Marseille par exemple, la deuxième ville la plus filmée de France et qui n'a pas d'infrastructure de ce type. Il est très satisfaisant de se dire que, bientôt, il y aura des studios de tournage à Marseille, que cela créera des emplois et une dynamique locale. Surtout, 34 organismes de formation sont soutenus grâce à ce plan ; c'est énorme. Les formations proposées seront plus inclusives et plus ouvertes, avec des modalités d'enseignement différentes et une diversité sociale affirmée. Je tiens beaucoup à montrer à tous les jeunes gens que les métiers du cinéma, qui vont recruter car ils sont en tension, sont des métiers. J'espère que ces formations attireront beaucoup de monde.

Un audit de sécurité ayant révélé que des efforts très importants étaient nécessaires pour assurer la sécurité des 87 cathédrales propriétés de l'État, nous les avons engagés et nous les poursuivons. Je n'oublie pas les 67 cathédrales qui ne sont pas à la charge de l'État, et l'on peut en discuter avec la conférence des évêques et les collectivités au cas par cas. Je suis toujours ouverte à la recherche de solutions mais, sur le plan budgétaire, vous savez que les 52 millions d'euros prévus en 2023 pour assurer la sécurité de 87 cathédrales, tout importants qu'ils soient, ne suffisent pas totalement, si bien que l'effort devra se poursuivre au cours des prochaines années. Imaginer récupérer complétement la gestion de ces 67 cathédrales ferait passer dans une tout autre dimension.

L'été 2024 sera aussi sportif que culturel et Mme Rouaux peut se rassurer. Nous avons dû procéder à des ajustements pour les vingt à trente très grands festivals qui attirent un public si massif qu'ils doivent être sécurisés par des unités des forces mobiles. C'est le cas des Vieilles Charrues et de l'Interceltique de Lorient. Nous avons demandé à certains de ces festivals de très grande envergure, dont ceux-là, de modifier leurs dates pour permettre la sécurisation de leur manifestation et des moments phares des Jeux olympiques et paralympiques. Je les remercie de la flexibilité dont ils ont fait preuve en acceptant de revoir leur période de programmation, ce qui assurera leur pleine sécurisation, comme de coutume. Un seul cas demeure pendant : le festival Lollapalooza, qui se tient habituellement sur l'hippodrome de Longchamp. En lien avec le maire de Sceaux, que je remercie, nous avons proposé que cette commune l'accueille, mais cette solution n'a pas encore abouti ; je vous tiendrai au courant. Tous les autres festivals qui demandent la présence d'unités de forces mobiles auront bien lieu pendant l'été 2024.

L'Olympiade culturelle a commencé l'été dernier et va s'amplifier avec des journées du patrimoine sur le thème du sport, la découverte de sites sportifs à l'architecture remarquable et aussi, peut-être, des activités physiques dans les monuments où cela est possible. Un programme se déroulera tout au long de l'année, qui vous sera présenté cet été, avec une montée en puissance jusqu'aux Jeux olympiques pour enrichir les liens entre sport et culture. Dans ce cadre, nous avons également lancé un appel à projets visant à ce que des artistes en situation de handicap puissent aussi déployer des projets.

Je sais que vous avez passé en revue ce matin avec Mme Hatchondo la très dynamique stratégie du Centre national du livre. Elle vous a certainement parlé aussi du prix Goncourt des détenus, des résidences d'auteurs et des masterclasses d'auteurs dans les établissements scolaires. Le dispositif Jeunes en librairie, complémentaire du pass Culture, a déjà touché 45 000 jeunes gens et 700 librairies partenaires. Lancé dans le cadre du plan de relance et doté de 3 millions d'euros, il vise à élaborer des parcours de découverte des métiers et des acteurs du livre – auteurs, éditeurs, illustrateurs, bibliothécaires, relieurs, graphistes –, à visiter des structures, à faire des ateliers d'écriture. Ce parcours d'une année ne se réduit pas à l'achat de livres. Nous sommes en discussion sur les suites de cette opération ; tout dépendra aussi du budget du ministère pour 2024.

Votre présentation du festival de Cannes m'a paru un brin caricaturale, chère Sarah Legrain, car on ne peut dire que les films présentés à Cannes sont déconnectés de la société – et le festival, ce sont d'abord des films, pas seulement les polémiques autour des films. Or, les films présentés cette année traitent de l'emprise et des relations toxiques, du féminisme, du climat, d'un nombre considérable de sujets qui sont au centre des débats de notre société. J'ai rencontré des membres du collectif Sous les écrans, la dèche, et discuté avec eux de la précarité dans le secteur. Le prix du billet de cinéma, de 7 euros en moyenne en France, est assez bas comparé à ce qu'il est dans d'autres pays. Certes, le prix de la place est élevé dans certaines salles quand on n'a aucune réduction, mais le pass Culture fonctionne, puisque le cinéma est la deuxième dépense culturelle des jeunes gens, en pass collectif ou en pass Culture individuel. Il y a là un levier très important de soutien culturel à la jeunesse, à quoi s'ajoutent les dispositifs d'éducation au cinéma : collège au cinéma, lycée au cinéma, classes primaires au cinéma… Vous nous expliquerez comment vous envisagez de plafonner le prix des places de cinéma. Le rapport de Bruno Lasserre contient des pistes visant à assouplir les politiques tarifaires des exploitants en les aidant à diversifier les cartes d'abonnement ; cette approche me semble plus adaptée aux attentes du secteur et à la réalité des usages en France.

Madame Parmentier, je n'ai pas menacé CNews et C8 de fermeture. Je me suis contentée de rappeler les obligations qui s'imposent à toutes les chaînes conformément à la loi et à la convention qu'elles ont conclue avec l'Arcom. Quelles sont-elles ? Le respect du pluralisme, l'obligation de montrer une diversité de points de vue sur des sujets prêtant à controverse, l'obligation de traiter les affaires judiciaires avec mesure, l'obligation de maîtriser l'antenne, l'obligation de respecter l'indépendance de l'information vis-à-vis des actionnaires. Dans toutes mes déclarations, que je vous invite à reprendre, je n'ai fait que dresser la liste de ces obligations, rappelé le rôle de l'Arcom et noté que certaines chaînes avaient fait l'objet, plus que d'autres, de nombreuses interventions de l'Arcom. Depuis 2019, le régulateur indépendant a fait une vingtaine d'interventions à l'encontre de CNews et de C8, deux à l'encontre de France Télévisions, aucune pour TF1 et M6. C'est un constat à partir duquel vous extrapolez, mais ce nombre d'interventions pose question et il me paraît important de rappeler devant le législateur les termes de la sacro-sainte loi de 1986 qui fixe le cadre de l'indépendance et du pluralisme des media.

On a largement débattu du tableau de Miriam Cahn. Je refuse que vous me transformiez en soutien d'une œuvre qui serait pédopornographique ; le serait-elle qu'elle n'aurait jamais été exposée au Palais de Tokyo car le Palais de Tokyo connaît la loi. Vous savez très bien que cette artiste n'avait pas l'intention que vous lui prêtez. L'histoire de l'art offre un nombre considérable d'exemples d'œuvres représentant des corps d'oppresseurs difformes et agrandis face à de petits corps ; cela ne veut pas forcément dire que ce sont des enfants. Vous avez le droit d'y voir un enfant, vous avez le droit d'être indignée et vous avez le droit de le dire à l'Assemblée nationale, mais vous n'avez pas le droit de demander qu'un tableau soit décroché, car à ce moment vous outrepassez votre rôle de parlementaire et vous vous posez en censeur. Vous pouvez dire que vous êtes choquée par ce tableau, et je le suis aussi : il me choque par les horreurs de la guerre qu'il représente. Je les ai vécues moi-même ; je ne demande pas pour autant que le tableau soit décroché. Deux décisions de justice ont confirmé que ce tableau pouvait être exposé, vous l'avez dit ; pourquoi donc y revenir encore et faire de cet accrochage le symbole d'une lutte idéologique ?

Je ne vous ai rien entendu dire au sujet de Bastien Vivès lors du festival d'Angoulême ; c'est quand il a été question du tableau de Miriam Cahn que vous avez cru bon de ressortir la polémique le concernant. J'ai trouvé les propos de Bastien Vivès inacceptables et je les ai condamnés clairement, réprouvant sa désinvolture à propos de sujets aussi graves que l'inceste et la violence. Mais l'exposition aurait porté sur des dessins inédits dont on ne sait donc rien et dont on ne saura jamais rien puisque cette exposition n'aura pas lieu. J'ai effectivement regretté son annulation car je préfère toujours qu'il y ait débat. C'est à la justice de dire si les deux ou trois bandes dessinées incriminées sont pédopornographiques, mais l'exposition prévue ne comportait pas ces dessins litigieux mais des dessins inédits. Je préfère toujours la contextualisation, l'échange autour d'une exposition. L'art peut choquer mais s'il doit devenir consensuel et moral, c'est la fin de l'art. Ayons donc des débats au sujet de certaines œuvres. Il y a des controverses à Cannes, tant mieux ! La France est le pays du débat ; parlons, prenons position, réfléchissons ensemble, créons des rencontres, de la médiation. Je serai toujours favorable au dialogue autour des œuvres d'art plutôt qu'à leur censure.

Madame Meunier, la discussion du projet de loi concernant la restitution des œuvres dont les familles juives ont été spoliées a montré que la culture peut rassembler et emporter l'unanimité au Sénat. J'espère qu'il en sera de même à l'Assemblée nationale, et que l'on peut, sur des sujets aussi graves, porter un discours d'apaisement et de justice. Parce qu'il faudra accompagner les musées territoriaux relevant des collectivités et les musées nationaux qui devront procéder aux recherches de provenance, nous nous sommes engagés sur la formation à ces recherches au sein de l'Institut national du patrimoine et de l'École du Louvre, et un nouveau master a été créé à l'université de Nanterre. Ces sujets demandent une rigueur scientifique et nous serons aux côtés des collectivités qui peinent à progresser dans la recherche de provenance de certaines œuvres ; les modalités de cet accompagnement ne sont pas encore déterminées mais j'entends votre demande.

Madame Melchior, nous n'avons pas défini de programme spécifique de résidence d'auteurs en milieu rural mais nous en soutenons un très grand nombre sur tout le territoire, et tous les lieux culturels accueillent des artistes en résidence à un moment ou à un autre. Nous développons les micro-folies, dont la 400ème ouvrira bientôt, et beaucoup sont en milieu rural. Dans l'ensemble de nos politiques nous prêtons une attention particulière à ces zones. Il en est ainsi pour l'Été culturel, instauré en 2020, dont la moitié des projets sont réalisés en zone rurale. Nous avons aussi lancé le fonds d'innovation territoriale, qui vise en priorité les petites communes et les zones rurales. Grâce à tous ces outils et à tous ces budgets, nous parvenons à développer la présence d'artistes au plus près des publics.

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