Intervention de Charles de Courson

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 9h35
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson, rapporteur :

À l'heure où le Gouvernement nous prévient que nous ne voterons plus, au cours de cette législature, sur les textes financiers, à l'heure où l'on examine des textes sans aller jusqu'à leur terme, les laissant dans les limbes de notre ordre du jour, à l'heure où tous les artifices possibles sont utilisés pour éviter un vote sur le présent texte, j'ai cru bon de rappeler pourquoi nous nous réunissons ici ce matin, et en séance le 8 juin prochain.

Les médias ont rapporté les stratégies concoctées pour faire échouer la possibilité pour notre groupe de mener à terme son ambition : celle de permettre à l'Assemblée nationale de décider si, oui ou non, elle souhaite porter à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite.

Le constituant a été soucieux, en 2008, de donner des droits nouveaux aux groupes d'opposition, avec l'ambition de sortir de l'impasse que représente une confrontation stérile et brutale en leur permettant de formuler des propositions constructives. Une part infime des textes soumis par les groupes d'opposition vont à leur terme, et un jour réservé par session, ce n'est pas grand-chose pour un groupe parlementaire. Mais user de stratagèmes pour empêcher le vote sur les propositions de l'opposition, c'est tuer ce dispositif vertueux.

Ces manœuvres sont à courte vue. En effet, la majorité d'aujourd'hui, c'est l'opposition de demain, à moins de vouloir mettre fin à l'alternance et à la respiration démocratique – ce que le peuple français ne supporterait pas. Nier les droits actuels de l'opposition est déjà très grave. Veillons à ne pas basculer dans un système où l'exécutif octroierait de temps à autre le droit de vote à une Assemblée qui viendrait le mendier.

L'article 1er de cette proposition de loi supprime les modifications des paramètres d'âge qui encadrent la liquidation et le montant des pensions de retraite inscrits dans la réforme des retraites du 14 avril dernier. Il rétablit donc l'âge légal d'ouverture des droits applicable antérieurement, à savoir 62 ans. Il supprime également les dispositions sur l'accélération du calendrier Touraine, c'est-à-dire la majoration de durée d'assurance à l'issue de laquelle il faudra avoir validé 172 trimestres pour partir à taux plein, soit 43 annuités.

Il rétablit aussi les âges de départ anticipé pour les fonctionnaires exerçant les fonctions les plus dangereuses ou les plus pénibles à 57 ans pour les catégories « actives » et à 52 ans pour les catégories « super-actives ». Sont concernés les personnels actifs de la police nationale, les sapeurs-pompiers professionnels, les agents des polices municipales, les aides-soignants, les assistantes sociales ou encore les infirmiers hospitaliers. La réforme des retraites a en effet prévu que partiraient deux ans plus tard qu'aujourd'hui ces personnels des services publics dont l'actualité nous a rappelé à quel point ils étaient exposés.

Quel coût représente cette mesure ? J'ai entendu des chiffres inconsidérés, allant jusqu'à 22 milliards d'euros. Certains doivent avoir mal lu cette proposition de loi.

Je ne nie pas l'existence d'un déficit du régime des retraites : c'est précisément pour cela que nous proposons, à l'article 2, une conférence de financement permettant de réfléchir, à partir d'un constat partagé, aux meilleures manières d'assurer la pérennité financière de notre système de retraite. Si l'on doit estimer le coût de cette proposition de loi, c'est donc pour l'année 2023, puisque rien n'empêche de mettre en place d'autres mesures dès 2024. Or, pour l'année 2023, si l'on en croit l'étude d'impact du Gouvernement, les mesures que je vous propose d'abroger devaient permettre de faire 270 millions d'euros d'économies – soit de l'ordre du millième de l'ensemble des pensions de retraite versées chaque année en France.

À partir de 2024, qui est vraiment capable de nous assurer des économies que représente cette réforme ? Qui peut dire ici quels seront les impacts sur les autres branches de la sécurité sociale, sur les dépenses des départements, au titre du revenu de solidarité active (RSA), sur les dépenses de l'Unédic, au titre de l'augmentation du taux de chômage des personnes entre 62 et 64 ans ? Ces questions ont été posées au Gouvernement au cours des débats, en vain. Mais les études de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) effectuées en janvier 2022 nous permettent de comprendre que le recul de l'âge légal de deux ans pourrait engendrer de l'ordre de 3 milliards d'euros de dépenses supplémentaires à l'échéance 2027, soit un tiers environ des économies espérées à cette date.

Ce manque d'information n'est apparu que trop crûment au cours des débats parlementaires sur la réforme des retraites – je ne reviens pas sur la question du nombre de personnes qui bénéficieront réellement d'une pension supérieure à 1 200 euros. C'est bien la preuve qu'une conférence nationale est nécessaire, et la suppression des mesures d'âge en est un préalable indispensable. Cette conférence est une occasion de sortir de la crise par le haut, grâce à une véritable concertation dont les conclusions ne sont pas escamotées parce qu'une agence de notation va bientôt rendre ses conclusions.

De nombreuses pistes n'ont pas été explorées. Elles accompagnaient pourtant les précédentes réformes des retraites, qu'il s'agisse de la réforme Touraine ou de la réforme Woerth, dont je rappelle qu'elle comportait un volet recettes. Nul ici ne songe à baisser le montant des pensions des retraités, déjà durement touchés en 2019 et 2020 par les mesures de sous-indexation des pensions qui avaient été votées par la majorité comme par l'augmentation de la CSG. Mais l'effort ne peut pas non plus reposer sur les seuls travailleurs les plus modestes – et en particulier les femmes, qui, si l'âge légal devait être repoussé, perdraient une plus grande part de leur durée de vie à la retraite que les hommes.

Une contribution plus élevée des revenus du patrimoine pourrait être envisagée. Certaines exonérations de cotisations sociales, qui pèsent particulièrement lourd dans les ressources de la sécurité sociale, comme celles qui portent sur les plus hauts salaires, pourraient être examinées de plus près. Je crois savoir que la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a lancé une mission au sujet de ces exonérations : elle pourrait utilement contribuer à la réflexion. Je rappellerai d'ailleurs que le Conseil d'orientation des retraites (COR), dans son dernier rapport, avait estimé que le déficit prévisionnel s'expliquait avant tout par un problème de recettes, alors que la part des dépenses en pourcentage de PIB devrait connaître une évolution maîtrisée. Le Comité de suivi des retraites (CSR), dans son avis de septembre 2022, a également cité d'autres pistes possibles, qu'il s'agisse de prélèvements environnementaux ou de rationalisation des exonérations existantes.

Enfin, on ne saurait réformer notre régime de retraites sans un volet relatif à l'emploi des seniors. L'âge effectif de départ à la retraite s'accroît d'année en d'année ; d'après le COR, il dépasse les 63 ans et devrait atteindre 64 ans dès la fin de cette décennie. C'est pourquoi le groupe LIOT avait proposé à Mme la Première ministre cinq mesures visant à accélérer ce mouvement : le relèvement de la surcote de 5 % à 7 % ; la dégressivité des taux de cotisation patronale à partir de 59 ou 60 ans, mesure reprise par le Sénat, vidée de son contenu en commission mixte paritaire et finalement censurée par le Conseil constitutionnel ; la suppression des nombreuses mesures relatives au cumul emploi-retraite dans les différents régimes ; des négociations par branche, entre partenaires sociaux, pour maintenir l'effort de formation, voire de conversion, des salariés âgés – mesure à laquelle étaient favorables la quasi-totalité des représentants des salariés comme des employeurs ; et enfin la réforme de la retraite progressive, en vue d'en favoriser la diffusion.

L'article 2 vise à faire en sorte que ces pistes soient explorées avec le sérieux et le respect qu'imposent la démocratie représentative comme la démocratie sociale – charge ensuite au Gouvernement de traduire les conclusions de la conférence dans la loi. C'est ainsi qu'une solution équitable sera trouvée dans un climat plus serein qu'aujourd'hui.

Nous ne revenons pas sur les dispositions de la réforme qui vont dans le bon sens, que ce soit la reconnaissance des trimestres validés par les personnes en contrat travaux d'utilité collective chère à nos collègues Arthur Delaporte et Paul Christophe, la validation des trimestres au titre du congé parental, la nouvelle assurance vieillesse des aidants ou encore la création d'un fonds de prévention de l'usure professionnelle.

Mais le cœur de cette réforme, à savoir la manière d'assurer un retour de notre système de retraite à l'équilibre, doit faire l'objet d'une nouvelle discussion. C'est d'autant plus vrai que la Cour des comptes, dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, en relativise grandement la portée en rappelant que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale devraient être en déficit de 13,1 milliards en 2026, soit près de 5 milliards de plus qu'en 2023. La branche vieillesse sera la première contributrice à ce déficit, à hauteur de 11,4 milliards. Le recours à un instrument unique de diminution du déficit s'avère donc inefficace, en plus d'être injuste et inégalitaire.

Le dépôt de cette proposition de loi est donc un pari sur notre intelligence collective, sur notre capacité à bâtir des solutions solides, rigoureuses et justes pour assurer la pérennité de notre système de retraite, auquel je veux croire que nous sommes tous attachés. Il est aussi une manière de redonner sa voix à l'Assemblée nationale, par une initiative parlementaire, sans demander l'autorisation au Gouvernement. Il symbolise le refus de l'abaissement de la démocratie représentative, d'où ne peuvent ressortir que désintérêt pour nos institutions et abstentionnisme croissant, voire, dans le pire de cas, colère et violence.

Voilà l'esprit dans lequel j'aborde nos débats.

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