Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 2 août 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative au projet de programme de stabilité pour la période 2022-2027

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Ce n'est pas sérieux ; vous n'êtes pas sérieux ! Outre le fait que vous ayez présenté en retard votre projet de programme de stabilité, en violation de vos obligations européennes, on ne peut que s'étonner de votre optimisme béat, qui revient ici à fermer les yeux sur les problèmes. En l'espèce, vous avez établi vos prévisions en chaussant des lunettes rose vif. Or le réel, le voici.

S'agissant d'abord de la croissance, tandis que vous prévoyez un taux de 1,4 % en 2023 et de 1,6 % en 2024, la Banque de France, elle, préfère tabler sur un taux de 1,2 % l'an prochain.

Le constat est le même en ce qui concerne l'inflation. Le taux de 3,3 % que vous retenez pour 2023 semble peu probable pour beaucoup de conjoncturistes, lesquels prévoient plutôt un taux d'inflation s'élevant à 4 ou 4,5 % l'an prochain. La Banque de France prévoit pour sa part un taux de 3,4 % dans son scénario central, mais va jusqu'à envisager une progression de l'inflation de 7 % dans un scénario défavorable.

Quant au solde public, que vous établissez à -2,9 % du PIB en 2027, cette cible sera, selon toute vraisemblance, difficile à atteindre. En effet, selon l'IFRAP – Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques –, alors que vous estimez que la charge de la dette s'élèvera à environ 70 milliards d'euros par an, celle-ci devrait plus probablement atteindre les 100 milliards d'euros.

En matière de dépenses publiques, le tableau n'est guère plus réjouissant. Toujours selon les estimations de l'IFRAP, elles devraient bien dériver de 43,6 milliards d'euros en cinq ans en euros constants, mais si – et seulement si – l'objectif de limitation de leur hausse moyenne à 0,6 % par an en volume est tenu.

Or aucune dépense exceptionnelle n'est anticipée dans ce calcul. Concrètement, cela signifie que si d'aventure une nouvelle crise sanitaire survenait, ou que nous subissions plus encore les effets de la guerre en Ukraine, ces projections seraient à revoir – sans aucun doute à la hausse. Les dépenses dites exceptionnelles sont donc un gigantesque angle mort dans vos prévisions, et nous devons en prendre conscience au plus vite.

Enfin, la dette publique s'élèvera, à vous en croire, à 112,5 % du PIB en 2027, contre 111,7 % en 2023, et après un pic à 113,3 % en 2025. Comme toujours, vous repoussez la baisse de la dette à la toute fin du quinquennat : il faut pourtant nous y attaquer.

En dépit de ces indicateurs, vous comptez contenir les dépenses de l'État en ramenant le déficit public sous le seuil des 3 % du PIB en 2027, et ce alors que le contexte économique est plus qu'incertain à court terme. De quelle manière ? En misant le tout pour le tout sur une croissance positive pendant les cinq prochaines années. Plus précisément, vous prévoyez de vous appuyer sur les rentrées fiscales qu'offre la croissance. M. Le Maire l'a d'ailleurs dit lui-même, « il faut que la croissance augmente plus vite que la dépense publique ».

Dit comme cela, l'on aurait envie de se laisser convaincre, mais la plupart des analystes ne sont pas aussi optimistes que vous, tant s'en faut, et bien que vous affirmiez que vos projections sont réalistes et qu'elles tiennent compte du contexte économique incertain et difficile que nous connaissons.

Vous prenez donc le risque de stopper l'emballement de la dette et de la réduire grâce à des réformes futures : celle du travail, qui devrait être examinée à la rentrée, celle des retraites, qui doit être achevée à l'été 2023, ou encore celle relative à la poursuite de la baisse des impôts de production. Or ce sont des réformes dont ni vous ni moi ne pouvons dire avec certitude à quoi elles ressembleront, étant donné les changements que notre assemblée a connus. En outre, vous partez du principe que les résultats de ces réformes seront importants et quasi immédiats, ce qui est, vous l'admettrez, loin d'être certain.

Vous le savez pourtant, contrôler la dette publique est d'autant plus une urgence absolue que personne n'oublie qu'elle a été creusée de façon abyssale – 600 milliards d'euros ! – par la politique du « quoi qu'il en coûte ».

Et si – je l'ai dit – votre optimisme est séduisant, il peine à convaincre jusqu'à l'Observatoire français des conjonctures économiques qui, lui aussi, avance des chiffres qui ne correspondent pas aux vôtres, qu'il s'agisse des projections de déficit ou de la prévision de croissance. Et vendredi dernier, ce fut au tour du Haut Conseil des finances publiques de sortir de sa réserve habituelle pour faire part de son scepticisme. Vous reconnaîtrez que cela fait beaucoup !

Une croissance surévaluée et, à l'inverse, une inflation, une charge de la dette et un déficit public sous-évalués : rien de cela ne redonne confiance, il faut bien le dire. Quand prendrons-nous collectivement le taureau par les cornes pour discuter ici, au Parlement, du redressement tangible de nos finances publiques ? C'est ici et maintenant qu'il faut faire preuve de volontarisme et de détermination. Notre responsabilité collective est immense et l'urgence est là.

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