Intervention de Arthur Delaporte

Séance en hémicycle du jeudi 15 juin 2023 à 9h00
Accompagnement des couples confrontés à une fausse couche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArthur Delaporte :

« Deux enfants, quatre grossesses. Mais qui compte les grossesses ? Personne. Et c'est bien là que se noue le problème. Ce que l'on retient, ce que l'on recense, ce qui compte, ce sont les naissances. Ce que l'on oublie, ce que l'on dénie, ce qui ne compte pas, ce sont les corps qui les auront rendues possibles. La glorification contemporaine de la maternité, outre qu'elle prolonge l'ancienne injonction patriarcale de façon plus insidieuse mais tout aussi pesante, constitue aussi une grande hypocrisie : ce sont les enfants que l'on célèbre, pas les mères. Il s'agit là de l'une des expressions d'un phénomène plus englobant de déconsidération et de minoration du corps des femmes dans ses dimensions intimes. […]

« Passé l'euphorie et ses baisers, passé l'étonnement et ses questions, C'est vrai ? C'est bien vrai ?, passé la sidération d'un silence comblé, est venue la décision, comme une évidence : On ne dit rien avant la première échographie. Le pacte était scellé, ce serait notre secret, nous allions le garder pour nous. Avec le recul, je me demande par quelle puissance mystérieuse nous avions ainsi si vite été réduits au silence, je m'étonne surtout qu'elle soit encore si efficace et si commune. »

Ces mots, ce sont une nouvelle fois ceux de Camille Froidevaux-Metterie, qui signe la préface de l'ouvrage de Judith Aquien, Trois mois sous silence, le tabou de la condition des femmes en début de grossesse et que j'avais déjà eu l'occasion de citer lors de l'examen du texte en première lecture. Ils permettent de poser une nouvelle fois le constat que nous avons dressé à plusieurs reprises, en commission, en séance, puis lors des travaux de la commission mixte paritaire – un constat d'ailleurs partagé sous la précédente législature par notre collègue Paula Forteza, qui avait déposé une proposition de loi sur cette question et que je salue pour la qualité de ses travaux qui, finalement, rejoignent les vôtres, madame la rapporteure.

Le texte soumis à notre examen est un moyen d'affirmer que la représentation nationale souhaite redonner la parole aux femmes et leur permettre de mettre des mots sur leurs maux, ce qui est loin d'être une évidence, tant les témoignages du silence qui leur est imposé s'accumulent et continueront probablement de le faire. Il assure une prise en charge plus protectrice d'un phénomène qui laisse parfois des séquelles psychologiques lourdes – anxiété, dépression – aux personnes qu'il touche et auxquelles nous devons apporter des réponses, au-delà du simple recueil de leur parole.

C'est pourquoi je salue la suppression du délai de carence en cas d'arrêt maladie consécutif à une interruption spontanée de grossesse : elle était indispensable. Vous le savez, nous souhaitions cependant aller plus loin.

Comme l'a dit notre collègue Marie-Charlotte Garin – qui l'avait ardemment défendue à nos côtés en première lecture –, nous aurions souhaité l'instauration d'un congé fausse couche, qui aurait permis de lever ce tabou. L'argument du secret médical avait alors été opposé, comme il l'a été aux propositions d'instaurer un congé menstruel. Or le secret médical ne permet pas de lever les tabous comme nous le souhaiterions : il faut parler publiquement de ces sujets. L'instauration d'un congé fausse couche l'aurait permis.

S'agissant du congé menstruel, la proposition de loi déposée notamment par mes collègues Fatiha Keloua Hachi et Mickaël Bouloux, et soutenue par Sébastien Peytavie, entre autres, vise à ouvrir le débat sur cette question spécifique relative à la santé des femmes. Comment mieux traiter ces souffrances particulières et permettre d'en parler ? Nous le faisons aujourd'hui pour ce qui est des fausses couches, afin que ces événements de la vie ne soient pas vécus dans le silence, de manière anodine, mais qu'ils soient pris en charge et considérés par l'ensemble de la société.

Enfin, je souhaite évoquer un sujet que j'ai cherché à promouvoir durant l'examen de ce texte : la capacité prescriptrice des sages-femmes. En effet, elles sont habilitées à prescrire certains médicaments lors d'une IVG, mais pas lors d'une interruption spontanée de grossesse. J'en ai discuté avec leurs syndicats, notamment après l'adoption de la proposition de loi revalorisant la formation des sages-femmes ; ce sujet reste ouvert. Les missions des sages-femmes sont essentielles pour accompagner les femmes subissant une fausse couche. Pourtant, elles ont l'impression d'être maltraitées ou déconsidérées, alors même qu'il s'agit d'une profession médicale à part entière.

Droit de prescription, prise en charge et accompagnement. Madame la ministre déléguée, je vous adresse un appel solennel : relançons le travail parlementaire sur les missions des sages-femmes, créons un groupe de travail transpartisan pour faire progresser ce sujet et ainsi soutenir la santé des femmes. Vous l'aurez compris, nous saluons ce texte, mais nous estimons qu'il est insuffisant. Continuons le travail !

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