Intervention de Sophie Brocas

Réunion du jeudi 25 mai 2023 à 10h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Sophie Brocas, préfète, directrice générale des outre-mer :

Effectivement, les normes constituent un réel problème. Du point de vue de la Commission européenne, les outre-mer français constituent d'ailleurs un cas très particulier. Les directions générales de la Commission peinent à se représenter ce que sont ces territoires ultramarins, éloignés, pour certains, de 18 000 kilomètres de la capitale. Je note d'ailleurs que sur la carte de l'Union européenne affichée derrière vous, n'apparaissent pas les territoires ultramarins. C'est un symbole. Il est difficile, pour la Commission, de prendre la mesure de cette spécificité française. Comme vous le savez, trois États membres ont des régions ultrapériphériques (RUP), qui font partie intégrante de l'Union européenne : outre la France, l'Espagne avec les îles Canaries et le Portugal avec Madère et les Açores, deux États dont les capitales sont géographiquement plus proches des RUP qu'en France. Il est important de connaître cette psychologie pour comprendre en quoi il est parfois difficile de faire aboutir ce travail d'adaptation des normes.

L'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) a pour objet de justifier les adaptations et tenir compte des différences de situation économique, sociale ou de dépendance à certains produits. La Commission a la possibilité d'adapter ses normes dans de nombreux domaines que je pourrais détailler. Pour autant, si le cadre juridique existe, cette possibilité n'est guère utilisée, ce qui souligne notre difficulté à faire prendre en compte par l'Union européenne les spécificités ultramarines. Nous y parvenons parfois, à mon avis de façon insuffisante. Il vaut mieux y parvenir avant l'adoption du texte, car la bataille est encore plus difficile lorsqu'un texte a été adopté sans entendre nos arguments et qu'il faut obtenir des dérogations. Nous y sommes parvenus par exemple pour exonérer du paiement des quotas carbone les compagnies aériennes pour les trajets entre la métropole et l'outre-mer. C'était une question importante, tant le coût des transports aériens constitue un enjeu pour le pouvoir d'achat des Ultramarins. Nous sommes également parvenus à exonérer les transports maritimes entre départements d'outre-mer du paiement des quotas carbone. Nous avons obtenu de l'Union européenne, après un long travail, l'autorisation du renouvellement, jusqu'en 2027, de l'octroi de mer, lequel est considéré comme une aide d'État. Nous avons obtenu que des aides à finalité régionale soient plus intenses au profit des outre-mer.

Actuellement, l'une de nos batailles vise à faire en sorte que les critères soient adaptés dans le projet de règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), visant à soutenir les projets de verdissement de l'énergie. Pour l'heure, ce critère réside essentiellement dans le montant d'aide publique rapporté à la tonne de CO2 évitée. Évidemment, le verdissement coûtera plus cher en outre-mer qu'en métropole. Nous peinons aussi à convaincre nos interlocuteurs que les critères en matière de pêche et de suivi de l'évolution de la ressource halieutique ne sont pas adaptés et ne peuvent être identiques dans l'Hexagone et en outre-mer.

Il serait effectivement préférable qu'à l'occasion de la construction d'une maison ou d'un bâtiment, les Ultramarins puissent importer de territoires voisins les matériaux de construction, plutôt que de les faire venir à grands frais de l'Hexagone. Nous nous sommes emparés de ce sujet et espérons en tirer une bonne pratique à développer. Nous avons chargé le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) d'établir une table d'équivalence entre les exigences posées par les normes de l'Union européenne pour les matériaux de construction, et les qualités présentées par les matériaux de construction des pays voisins. Une fois cette table élaborée, en 2024, la Commission européenne a accepté de substituer au marquage CE un marquage RUP, qui permettra aux territoires ultramarins de s'approvisionner dans les pays de leur bassin. Nous devons développer cette pratique à l'avenir afin de libérer les échanges avec les territoires voisins.

Nous avons également décidé, avec le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), d'aller plus régulièrement à la rencontre des directions générales de la Commission européenne à Bruxelles. Nous l'avons fait début avril et nous y rendrons régulièrement pour les entretenir des difficultés et spécificités ultramarines, en plaidant l'adaptation des normes. Nous avons dressé la liste des normes européennes inadaptées, sur lesquelles nous faisons particulièrement porter nos efforts de conviction, avec l'aide des députés européens des outre-mer. Nous avons proposé à la Direction générale « Régio », chargée à Bruxelles de la cohésion des territoires et notamment du suivi des territoires ultramarins, que chaque projet de directive ou de règlement soit accompagné par une étude d'impact territoriale, avec un focus sur les outre-mer. Cela obligerait ab initio la Commission européenne à se demander si le texte envisagé fonctionnera dans les outre-mer ou s'il risque de créer des dysfonctionnements majeurs du fait de son inadaptation. Enfin, nous nous efforçons d'emmener dans les outre-mer les commissaires européens ou les directeurs généraux (comme nous l'avons fait l'année passée avec Élisa Ferreira, commissaire à la cohésion et aux réformes), car rien ne vaut l'expérience sensible de voir par soi-même que les pêcheurs de Guadeloupe, de Martinique, de La Réunion, de Guyane ou de Mayotte ne sont pas à la tête de bateaux-usines, susceptibles de racler le fond des mers et de mettre en péril la ressource halieutique, mais de petits bateaux, dans des flottes qu'il faut donc les aider à moderniser. Nous espérons que le commissaire à l'environnement, aux océans et à la pêche, Monsieur Sinkevičius, se rendra au cours des semaines qui viennent à La Réunion.

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