Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 28 juin 2023 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud, président de la HATVP :

Seules les déclarations de patrimoine des membres du Gouvernement et de ceux du collège de la HATVP, soit, au total, 55 personnes environ, sont rendues publiques sur le site de la Haute Autorité.

Celles des parlementaires – députés, sénateurs et députés européens – sont consultables en préfecture, selon des conditions strictes : sur rendez-vous, sans stylo ni crayon, sans pouvoir prendre de photographies ni disposer de son téléphone portable, sans avoir le droit d'en faire état. Les consultations sont très rares : une cinquantaine par an, sachant que plusieurs déclarations peuvent intéresser une même personne.

Les déclarations de patrimoine des élus locaux ne sont pas rendues publiques.

Les déclarations d'intérêts des ministres, des parlementaires et des élus locaux sont publiées sur le site de la Haute Autorité.

Les déclarations de patrimoine et les déclarations d'intérêts des fonctionnaires sont contrôlées, mais ne sont pas rendues publiques. C'est ce qu'ont voulu le législateur ainsi que le Conseil constitutionnel, lequel a établi une distinction entre élus et non-élus, les premiers étant soumis à des obligations de transparence plus fortes.

Votre question, monsieur Pont, s'explique sans doute par le fait que la déclaration d'intérêts indique les rémunérations perçues au cours des cinq dernières années ou la détention d'actions. Toutefois, que ces éléments soient rendus publics dans votre déclaration d'intérêts ne vient pas d'un non-respect de la confidentialité : c'est le législateur qui l'a voulu. Nous n'avons aucune marge de manœuvre en la matière ; les rubriques elles-mêmes sont définies par la loi. Peut-être faudrait-il voir ce qui peut y être modifié sans remettre en cause l'objectif de transparence : certaines rubriques pourraient être regroupées, d'autres n'ont pas besoin de faire l'objet d'une publication intégrale qui pourrait confiner au voyeurisme. Cela nécessiterait en tout cas un nouveau véhicule législatif. Actuellement, tout le monde respecte la confidentialité et le secret.

Nous ne sommes pas encore en mesure de dresser un bilan de l'extension au niveau local du répertoire des représentants d'intérêts ; nous devrions pouvoir le faire dans le mois qui vient – nous collectons actuellement les données. Les 300 inscriptions supplémentaires semblent liées à cette extension. Cela dit, nous invitons le législateur à préciser et à corriger le dispositif de régulation du lobbying pour qu'il atteigne ses objectifs de transparence. Il faut mettre fin à toutes les possibilités de le contourner. Voilà plusieurs années que nous appelons votre attention sur ce point. Je reconnais une certaine réticence d'une partie de notre haute administration en la matière ; il faut pouvoir en parler avec elle, mais il faut se mettre à la page : nous sommes au XXIe siècle et beaucoup d'autres pays instaurent des éléments de transparence sans que cela remette en cause l'efficacité des entreprises. On entend parler de démarches excessives qui entraveraient la capacité d'agir des décideurs, publics comme privés ; pourtant, au Canada ou aux États-Unis, le système de régulation du lobbying, plus opérationnel que le nôtre, ne semble pas porter atteinte à l'efficacité économique.

Le conflit d'intérêts public-public est un vrai sujet. La commission dite Sauvé pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, dont j'ai fait partie aux côtés de Jean-Claude Magendie et de Jean-Marc Sauvé, avait formulé des propositions qui ont débouché sur la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. Nous n'avions pas proposé que ce conflit d'intérêts-là soit traité, vu la difficulté de mise en œuvre de telles mesures. Mais le législateur en a décidé autrement, d'où des problèmes d'interprétation, notamment au niveau local, où beaucoup de collectivités désignent des élus pour les représenter dans diverses entités publiques.

À cet égard, la loi « 3DS » a utilement clarifié plusieurs éléments, même s'il reste peut-être quelques éléments à compléter. Nous avions fait des propositions à ce sujet. Jusqu'alors, certains référents déontologues se montraient excessifs dans leurs propositions de déport aux élus : les élus représentant leur collectivité dans une entité se voyaient interdire tout débat, si bien qu'ils ne pouvaient prendre part à la discussion du rapport d'activité de cette entité. Nous avons tout de suite considéré que de telles demandes étaient totalement injustifiées. La reddition de comptes est un principe général du droit, et un bon principe. Dès lors que l'on est désigné par la collectivité pour la représenter au sein d'un établissement, on doit rendre des comptes, donc pouvoir répondre aux questions de ses pairs au sein de l'assemblée en question. Aux termes de la loi « 3DS », lorsque cette représentation est prévue par la loi, le nombre de déports est limité.

Nous avons publié un tableau qui présente la situation ainsi précisée et que nous pourrons vous adresser. Dans certaines situations, le législateur a considéré que tout risque de conflit d'intérêts public-public était écarté, par exemple au niveau des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des caisses des écoles. Dans d'autres, le risque est circonscrit à certains actes, notamment chaque fois que la représentation est prévue par la loi. Sur ce dernier point, le collège de la HATVP interprète largement la volonté du législateur : selon lui, cela vaut que la loi ait prévu expressément cette représentation ou qu'elle l'ait sous-entendue. Dans ces cas, il n'y a pas de déport, sauf quand l'élu lui-même est concerné par la délibération ou quand celle-ci a trait à un marché ou à une concession. Dans tous les autres cas, le risque est jugé large : quand un élu est membre d'une association ou y exerce des responsabilités, il faut qu'il puisse se déporter lorsqu'il s'agit d'attribuer une subvention à cette association ou de prendre une décision qui la concerne.

Il y a quelques années, la notion de gestion de fait était opposée aux élus exerçant certaines responsabilités dans une association. Dans ce cas, il peut y avoir conflit d'intérêts. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation est stricte en la matière. Il est tout à fait possible d'être sanctionné par le juge pénal pour avoir pris part à une délibération concernant une entité vis-à-vis de laquelle on est susceptible d'avoir un intérêt. Il faut alors se déporter, ce qui consiste à quitter la salle. Cela ressort de la loi et des décisions jurisprudentielles.

Nous avions aussi formulé des propositions sur la rédaction de l'article 432-12 du code pénal, qui définit le conflit d'intérêts. Il s'agissait de substituer à la notion d'intérêt quelconque celle d'intérêt de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité. Il y a vraisemblablement encore un petit travail à faire ; nous sommes tout à fait prêts à poursuivre, avec vous et les magistrats de l'ordre judiciaire, cette réécriture qui concerne également l'article 432-13, lequel concerne les projets de reconversion professionnelle. Il faut éviter que des personnes soient mises en cause en l'absence d'intérêt en tant que tel.

Si des progrès ont été accomplis, il en reste encore à faire, et je mesure que cela peut entraîner quelques difficultés d'organisation au niveau des collectivités, surtout quand il s'agit de larges délibérations portant sur de nombreuses subventions. Mais, je le répète, cela résulte de la loi et de son interprétation par le juge pénal.

Voilà pourquoi nous nous efforçons de beaucoup accompagner les élus. Je leur écris très souvent pour les avertir et leur recommander des mesures destinées à prévenir tout conflit d'intérêts. Votre déclaration d'intérêts vous concerne personnellement ainsi que votre conjoint, mais cela ne doit pas vous interdire de réfléchir à toute autre situation de conflit d'intérêts, même si la loi ne prévoit pas de rubrique au sujet d'autres personnes : en effet, le juge pénal peut considérer qu'il y a prise illégale d'intérêts dès lors que des parents, des enfants, un ami sont impliqués.

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