Intervention de Gabriel Attal

Réunion du mardi 4 juillet 2023 à 17h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics :

Merci pour votre invitation à échanger sur la budgétisation intégrant l'égalité, un thème qui est à mi-chemin entre la procédure budgétaire et des enjeux, bien plus profonds, de nos sociétés démocratiques. Je dis nos sociétés, car comme votre rapport le souligne fort justement, les questions que nous nous posons aujourd'hui se posent dans la plupart des démocraties, que ce soit en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Canada, en Espagne, en Finlande, en Italie, en Islande, au Portugal ou en Suède et dans nombre de nos collectivités territoriales.

Avant d'aborder le contenu de votre rapport et de réagir à ses principales recommandations, je veux redire l'engagement du Gouvernement pour réduire durablement les inégalités entre les femmes et les hommes, à tous les niveaux de notre société.

Concernant les inégalités face à l'emploi, l'écart de taux d'activité a ainsi été divisé par deux en vingt ans – 13 points d'écart en 1999, 7 en 2019. Avec l'index de l'égalité professionnelle, dont la note a progressé de 5 points depuis sa création, en 2019, nous avons doté les entreprises d'un outil qui leur permet de mesurer les écarts et de progresser dans leurs pratiques managériales. Le différentiel de salaires entre les femmes et les hommes se réduit lui aussi – il a diminué d'un tiers en vingt ans – et nous œuvrons résolument pour que cela se poursuive. De même, alors que le taux de chômage des femmes était de 2,5 points supérieur à celui des hommes, il est aujourd'hui inférieur, notamment parce qu'il a baissé de 2,3 points depuis 2017. Mais ce n'est pas suffisant ; cela doit au contraire nous encourager à aller beaucoup plus loin et à réaffirmer que l'égalité professionnelle est un horizon non seulement souhaitable, mais atteignable. C'est un des principaux défis de notre génération.

Les inégalités en matière de prestations sociales – et plus particulièrement de système de retraite – reproduisent, pour partie, celles du monde professionnel. La réforme que nous avons conduite en début d'année et qui a entraîné beaucoup de débats, y compris dans cette assemblée, aura pour effet de réduire les inégalités des pensions de retraite, comme l'a démontré le dernier rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites (COR), paru en juin. Ainsi, la pension moyenne des femmes de la génération 1966 progressera de 1,9 % grâce à cette réforme, quand celle des hommes n'augmentera que de 0,7 %. Pour la génération 1972, les hausses seront respectivement de 2,5 et de 1,4 %, et cette tendance s'amplifiera les années suivantes. Quels que soient nos désaccords, légitimes, sur cette réforme, force est de constater – et ce n'est pas le Gouvernement qui le fait, mais le COR, dont les conclusions ont été abondamment relayées par tous les groupes de cette assemblée – qu'elle est plus favorable aux pensions des femmes. Elle réduira en cela une des inégalités les plus ancrées dans notre modèle social, même si l'on sait que la façon la plus efficace de réduire ces inégalités de pension de retraite est de lutter contre les inégalités salariales.

Les inégalités face à l'éducation persistent, malgré les progrès notables qui ont été accomplis. Dans trop de filières la mixité demeure très ou trop faible ; nous devons nous battre contre les stéréotypes – Céline Calvez connaît bien ce sujet, s'agissant des filières scientifiques notamment – pour que seuls le talent et le travail déterminent l'accès aux filières éducatives et professionnelles.

C'est également le cas des inégalités face aux modes de garde ; à ce titre, la Première ministre a annoncé, début juin, une mobilisation massive des financements de la politique familiale, pour ouvrir 35 000 places de crèche d'ici à 2027, en veillant scrupuleusement à la qualité de l'accueil.

Quant aux inégalités face aux violences, le Gouvernement agit en créant plus de 10 000 places d'hébergement destinées à l'accueil des femmes. Le doublement des capacités d'urgence depuis 2017 s'accompagne de la formation de dizaines de milliers de membres des forces de l'ordre au recueil des plaintes. Plus largement, pour répondre aux violences intrafamiliales, une nouvelle aide universelle d'urgence a été créée, en application de la loi du 28 février 2023 qui, je crois, a été votée à l'unanimité par votre assemblée.

Les crédits du programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes du budget de l'État ont connu une progression spectaculaire, de 22 millions d'euros en 2017 à 65 millions en 2023 : peu de budgets ministériels ont triplé au cours de la même période. Cela témoigne de notre engagement, y compris budgétaire, même si la route est encore longue et que ce budget ne recouvre pas l'ensemble des dépenses qui concernent l'égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, il y a aussi les inégalités face à la représentation dans le champ politique. Vous savez combien la majorité présidentielle a œuvré pour faire avancer la parité ; je sais que d'autres formations, y compris dans l'opposition, ont également progressé en ce sens. Mais, là non plus, nous ne sommes pas au bout du chemin.

Cette liste non exhaustive illustre l'ampleur des chantiers que notre génération doit mener à bien. C'est pourquoi l'égalité entre les femmes et les hommes est à nouveau, comme en 2017, une grande cause de ce quinquennat, toutes les actions étant traduites en termes budgétaires.

Aujourd'hui, un DPT retrace l'ensemble des financements dédiés à l'égalité femmes-hommes : 3,3 milliards d'euros de crédits sont engagés en 2023. Cette documentation est-elle pour autant suffisante ? Sans doute pas ; j'en viens donc à votre rapport.

Je salue, tout d'abord, la qualité du travail des rapporteures, Céline Calvez et Sandrine Josso. Un travail très important a été effectué, en auditionnant notamment de nombreux acteurs et en se nourrissant d'expériences et d'initiatives menées à l'étranger. Ce rapport intègre plusieurs propositions et recommandations pour aboutir à une budgétisation intégrant l'égalité ; avant même de répondre aux différents points, je veux dire que j'y suis favorable. J'annonce donc, devant votre délégation, que la France va se doter d'une budgétisation intégrant l'égalité à la suite de votre rapport et des propositions que vous y faites.

Vous proposez une cotation des dépenses budgétaires selon qu'elles sont favorables, neutres ou défavorables à l'égalité entre les femmes et les hommes, sur le modèle du budget vert. Je soutiens cette proposition et je vais mobiliser les services de la direction du budget pour que les systèmes d'information permettent, très rapidement, d'afficher cette cotation. Très concrètement, une partie de ces systèmes changeront prochainement, notamment Tango – que tout le monde ne connaît pas ici –, un outil interne important pour la préparation du PLF (projet de loi de finances) et de ses annexes, avec les indicateurs pour les services de l'État. Il sera adapté dès le PLF 2024, pour intégrer cette budgétisation ; d'autres outils le seront ensuite, pour le PLF 2025. Je pense que nous aurons, en deux ans, une budgétisation intégrant l'égalité aussi aboutie que celle que nous avons adoptée pour le budget vert.

L'objectif, que nous partageons, n'est pas simplement de coter les dépenses mais aussi de pouvoir les remettre en question et de les faire évoluer. Nous chausserons ainsi les lunettes de l'égalité – pour reprendre vos termes –, comme nous avons su chausser celles de l'environnement avec le budget vert, pour poser un autre regard sur nos dépenses budgétaires. Je le précise, car d'autres pays, qui ont adopté cette analyse ligne à ligne du budget – comme l'Italie depuis 2017 ou l'Islande –, n'en ont pas toujours tiré toutes les conséquences budgétaires. Ils l'ont d'ailleurs reconnu eux-mêmes, il y a deux ans, lors d'une table ronde des pays de l'OCDE. L'Islande a ainsi précisé qu'il était difficile, une fois la cotation faite, d'en tirer les conséquences ; par exemple, les dépenses effectuées lors de la crise sanitaire avaient pour beaucoup concerné la construction, qui emploie très peu de femmes. Ces dépenses n'avaient donc pas été particulièrement favorables aux femmes, mais elles étaient nécessaires pour l'économie.

Vous proposez de développer des indicateurs genrés et de renforcer les études d'impact préalables pour les mesures nouvelles en PLF et PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) : j'y suis, là aussi, favorable. Je souligne cependant que tous les indicateurs n'auront pas vocation à être genrés, le seront principalement les dépenses d'intervention et d'investissement, et que toutes les mesures en PLF et PLFSS n'ont pas d'impact sur l'égalité entre les femmes et les hommes. De la même manière, toute une partie des dépenses du budget vert – qui font d'ailleurs, chaque année, l'objet de débats lors de la procédure budgétaire – sont considérées comme neutres. C'est le cas notamment des dépenses sociales : lorsque l'on verse des allocations aux Français, on ne contrôle pas, ensuite, ce qu'ils en font ni si cette utilisation est favorable ou non à l'environnement. Cependant, pour reprendre cet exemple des dépenses sociales, la situation sera un peu différente en ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, puisqu'une grande partie de ces dépenses ont précisément pour objectif la réduction des inégalités. Néanmoins, une partie des dépenses seront nécessairement cotées neutres. Par exemple, le budget travail et emploi présente un sous-indicateur genré sur le taux de retour à l'emploi six mois après la fin d'une formation à Pôle emploi – il est en l'occurrence moins bon de 4 points pour les femmes, ce qui démontre que nous devons encore progresser. De même, il existe des indicateurs genrés et pertinents pour la prévalence du tabagisme, pour le taux de participation à des campagnes de dépistage, pour le nombre de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles ou encore pour la part des femmes dans les bénéficiaires du bonus de la prime d'activité. A contrario, la superficie des terres agricoles cultivées en agriculture biologique, le nombre de cambriolages de résidences principales et secondaires ou le taux de dossiers de politique agricole commune (PAC) payés dans les délais apparaissent comme des indicateurs, a priori, assez peu sensibles au genre. Même si je pense que tout se discute et que nous pourrions avoir des débats nourris sur ce sujet.

C'est la même logique qui prévaut dans le budget autrichien, que vous citez dans votre rapport. En France, nous progressons rapidement, avec près de 200 indicateurs, sous-indicateurs et objectifs d'ores et déjà genrés dans le budget 2023, contre une centaine en 2021. Nous continuerons à progresser dès 2024 et, évidemment, en 2025 pour un aboutissement systémique.

Vous proposez ensuite de généraliser l'égaconditionnalité pour les aides publiques, notamment, pour les commandes publiques : je vous soutiens également sur ce point. Nous chercherons à généraliser cette égaconditionnalité pour les aides et commandes publiques d'ici à 2027 ; nous allons le faire progressivement, année après année. Je vous annonce qu'une première étape importante aura lieu dès le 1er janvier 2024, avec la prise en compte de l'index de l'égalité professionnelle femmes-hommes pour accéder aux marchés publics. Concrètement, les entreprises qui ne publient pas cet index ou celles qui ont obtenu une note inférieure à 75 sur 100 – la moyenne est aujourd'hui de 88 – n'auront plus accès aux marchés publics. L'objectif n'est pas, in fine, de sanctionner les entreprises pour faire des économies, mais de changer profondément les comportements. Depuis l'instauration, en 2019, de l'index d'égalité professionnelle femmes-hommes, la note moyenne a progressé – je l'ai déjà précisé –, tandis que le taux de transparence des entreprises a bondi de 18 points. Pour celles et ceux qui nous regardent, je précise que toutes ces informations sont publiquement disponibles, avec des notes par entreprise, sur le site egapro.travail.gouv.fr. Nous savons combien cette transparence est un moteur de changement.

Enfin, vous préconisez de réviser la LOLF et le projet de LPFP, pour donner une base organique à la budgétisation intégrant l'égalité et pour fixer un objectif pluriannuel de réduction des dépenses défavorables à l'égalité. Sur ce point, je répondrai en deux temps : pour ce qui est de la LOLF, je ne peux pas garantir qu'il y aura, dans les années à venir, une réouverture du débat : elle a été réformée il y a peu et si cette réouverture devait avoir lieu, par exemple pour transposer les discussions en cours sur la gouvernance européenne des finances publiques, la budgétisation intégrant l'égalité pourrait alors faire partie des débats.

S'agissant de la LPFP, je suis d'accord, à titre personnel, pour que nous intégrions un objectif pluriannuel de réduction des dépenses qui vont à l'encontre de l'égalité. Je vous ai dit que l'objectif n'était pas seulement de coter les dépenses selon qu'elles étaient ou non favorables, mais aussi de réduire celles qui sont défavorables. Il me semble donc assez logique, lors de l'élaboration d'une LPFP – ce qui n'arrive que tous les cinq ans – destinée à fixer la qualité de la dépense publique, qu'on lui ajoute un objectif de réduction des dépenses défavorables à l'égalité. Cette position n'a pas fait l'objet d'un arbitrage de la Première ministre, même si je la sens très sensible à cette question. J'y suis personnellement très favorable et, comme je suis en charge de ce texte, ma voix devrait, je l'espère, être entendue.

J'affirme à nouveau l'engagement plein et entier de tout le Gouvernement – et le mien au premier chef – à avancer résolument sur le chemin de l'égalité, mais aussi à agir en cohérence avec les principales recommandations de votre rapport, dont je salue une nouvelle fois la qualité.

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