Intervention de Céline Pelosi

Réunion du jeudi 20 juillet 2023 à 9h05
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Céline Pelosi, directeur de recherche en agroécologie des sols à l'INRAE :

Écotoxicologue des sols, je travaille depuis quinze ans sur l'effet des pesticides sur les vers de terre, dont vous connaissez, je pense, l'importance fondamentale. J'utilise aussi bien des approches de laboratoire que des approches au terrain, ce qui me permet d'étudier les effets au niveau des individus mais aussi des populations, des espèces de vers de terre jusqu'aux écosystèmes.

La littérature internationale scientifique s'accorde pour dire que la contamination par les pesticides est omniprésente et en mélange. À titre d'exemple, j'ai coordonné des projets avec une vingtaine de chercheurs de l'Inrae, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et d'instituts en chimie environnementale sur la zone atelier Plaine et Val de Sèvre, du côté de Niort. Nous nous sommes intéressés à la contamination par les pesticides des zones traitées et des éléments du paysage, traités ou non traités.

Sur les 180 échantillons de sol prélevés, 100 % étaient contaminés par au moins une molécule, avec une moyenne de neuf molécules par échantillon. Nous avons également prélevé des vers de terre et sur 155 individus, nous avons trouvé que 92 % étaient contaminés à hauteur de quatre molécules en moyenne. Nous avons aussi prélevé dans les poils des petits mammifères et trouvé que 100 % des échantillons étaient contaminés, avec en moyenne 32 molécules par individu – à noter que le spectre de recherche était plus large et couvrait 140 molécules, autorisées ou non.

Dans les matrices animales comme dans les sols, nous avons systématiquement trouvé trois molécules : de l'imidaclopride, du diflufenican et de l'époxiconazole, soit un insecticide néonicotinoïde, un herbicide et un fongicide. Les zones traitées contenaient plus de molécules et à des concentrations plus importantes que les zones non traitées. Mais nous avons quand même trouvé une forte occurrence de ces molécules et à des doses parfois assez élevées dans les céréales diverses, en agriculture biologique, dans les haies et dans les prairies permanentes. Cela est vraisemblablement dû au ruissellement, c'est-à-dire aux eaux qui vont emporter les pesticides à d'autres endroits lors de fortes pluies, et à la dérive de pulvérisation lors des applications.

Nous avons aussi mis en évidence que la présence de haies est fondamentale car elle limite la diffusion des pesticides vers d'autres compartiments, vers d'autres parcelles, vers d'autres milieux non-cibles. Plus les haies sont hautes et plus cette diffusion est limitée. Cela met en évidence l'importance de disposer de ces éléments semi-naturels dans le paysage, puisqu'ils servent à la fois de zone refuge à la biodiversité et aussi de limite à la diffusion, aux transferts horizontaux des pesticides.

Est-il grave d'avoir des pesticides dans tous les compartiments de l'environnement ? Est-ce gênant pour un ver de terre de vivre dans un sol où se trouvent neuf molécules ? Nous avons fait une analyse de risques sur la base des concentrations dans les sols, que nous avons comparées aux valeurs de référence utilisées dans les procédures d'homologation avant l'autorisation de mise sur le marché (AMM) des pesticides. Nous avons constaté que dans un cas sur deux (46 %), il y avait un risque élevé pour la reproduction des vers de terre, ce qui signifie que ces concentrations aux doses résiduelles menacent la reproduction des vers de terre. Or, si les vers ne se reproduisent plus, il y en a moins, et ils ne peuvent plus assurer aussi bien leurs fonctions, qui sont absolument nécessaires pour la durabilité des agrosystèmes. Je rappelle qu'une étude a montré que la présence de vers de terre augmentait la production végétale de 30 %, que ce soit au niveau de la croissance racinaire ou aérienne.

En outre, les vers de terre sont aussi la proie de nombreux organismes dans les paysages agricoles. Une étude anglaise a montré que la diminution de 30 %, des communautés de vers de terre dans les sols en Angleterre était responsable du déclin, voire de la disparition de certaines espèces d'oiseaux. Dans notre zone d'étude, les proies ont 92 % de chances d'être contaminées par des pesticides, ce qui pose des soucis de bioamplification et de bioélargissement. Ces concepts décrivent le fait que dans les niveaux supérieurs des chaînes alimentaires, il va y avoir plus de molécules et à des concentrations plus fortes que dans les niveaux plus bas.

Par ailleurs, dans une expertise collective nationale, nous avons montré les effets négatifs sur d'autres communautés d'invertébrés terrestres, les pollinisateurs et les auxiliaires des cultures, réduisant d'autant les fonctions assurées par ces organismes, c'est-à-dire la pollinisation et le contrôle des ravageurs des cultures.

Comment expliquer ces effets négatifs observés sur la biodiversité alors que les molécules sont testées avant leur mise sur le marché ? Plusieurs raisons y concourent. Tout d'abord, comme monsieur Bispo l'a indiqué, il y a une persistance dans les écosystèmes qui est supérieure à celle qui a été mesurée dans les études de laboratoire et par modélisation, ainsi qu'une bioaccumulation des organismes vivants. À cet égard, nous avons aussi montré que le glyphosate était fortement bioaccumulé par les vers de terre.

De plus, par le passé, ont été mises sur le marché des molécules qui avaient été testées uniquement sur la mortalité des individus adultes, notamment les vers de terre. Or, l'exposition ponctuelle à une molécule ne va pas forcément – même très rarement – causer la mort d'un ver de terre adulte. En revanche, cela va très probablement l'empêcher de croître, de se reproduire et ce, potentiellement sur plusieurs générations, avec des effets transgénérationnels peut-être plus graves encore.

Plus grave encore, il faut savoir que les pesticides sont, avant leur AMM, testés sur une espèce de ver de terre qui n'est pas présente dans les sols naturels puisqu'il s'agit d'un ver de compost, quatre fois moins sensible que d'autres espèces de ver de terre que l'on trouve dans les parcelles agricoles.

En conclusion, il faut vraiment renforcer les efforts de recherche sur ces effets de doses répétées, effets chroniques qui affaiblissent considérablement les populations et les communautés, et ont un impact sur les fonctions remplies par ces organismes du sol.

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