Intervention de Nicolas Marut

Réunion du mardi 18 juillet 2023 à 18h30
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Nicolas Marut, directeur adjoint de la rédaction de BFMTV :

Je vous remercie de nous avoir réunis aujourd'hui, mes collègues et moi-même, pour témoigner de l'expérience de terrain des rédactions et des journalistes qui ont couvert les rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai dernier. Sur cette période, les opposants à la réforme des retraites ont organisé quatorze journées de mobilisation à Paris et dans les régions. À ces journées de mobilisation se sont ajoutées des manifestations improvisées et non déclarées, comme celle qui a suivi l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, le jeudi 16 mars dernier.

BFMTV a couvert l'ensemble de ces journées de mobilisation, organisées ou non, à Paris et dans les principales villes que sont Nantes, Rennes, Nice, Toulouse, Strasbourg, Bordeaux, Lille ou encore Marseille. Nous sommes parfois même allés dans les sous-préfectures et les plus petites villes de France. À chaque jour de mobilisation, ce sont en moyenne quinze équipes, de BFMTV ou de BFM Régions, qui ont été envoyées sur le terrain. Une équipe est toujours composée d'un reporter, un journaliste reporter d'images (JRI), parfois un chef de car. Elle compte aussi un agent de sécurité par personne, soit deux agents de sécurité par équipe en moyenne.

S'agissant des mesures de sécurité, comme mes collègues présents ici, nous avons malheureusement l'expérience de la couverture des manifestations des Gilets jaunes en 2018 et en 2019. Durant ces évènements, nos journalistes ont été victimes d'un grand nombre d'actes de violence. Pendant ce mouvement, le groupe Altice Media avait mis en place un dispositif de sécurité renforcé pour tous les collaborateurs du groupe, journalistes et techniciens présents sur le terrain. Depuis, c'est ce dispositif que nous déclenchons chaque fois que nos journalistes couvrent des évènements identifiés potentiellement violents, comme les manifestations contre la réforme des retraites. Ainsi, le recours à un agent de sécurité par personne est systématique et impérieux, même si évidemment coûteux pour l'entreprise. La sécurité de nos collaborateurs est la première priorité et elle prime toute autre considération.

Nos journalistes et leurs agents sont systématiquement équipés de matériels de protection : casques, lunettes, masques, décontaminant pour les yeux. Ils disposent également de bonnettes de micro noires pour ne pas être identifiés comme personnels de BFMTV. Dès que la situation se tend, et parfois même dès le début d'une manifestation, nos reporters n'apparaissent plus à l'antenne. Ils commentent hors image ce qu'ils observent, parfois au téléphone. Nous ne donnons pas leur nom et nous indiquons simplement « Journaliste BFMTV » dans le synthé sous l'image.

Toutes nos équipes sont évidemment en lien constant entre elles et avec notre rédaction. Elles ont un contact direct avec le rédacteur en chef en charge de la gestion de l'évènement. C'est lui qui, depuis la régie, prend en urgence les décisions importantes quand la situation l'exige, par exemple exfiltrer une équipe dont la sécurité est compromise. Enfin, une formation préalable aux « terrains hostiles » permet de connaître et d'adopter les bons comportements en cas de tension ou de danger.

Nous mettons tout en œuvre pour limiter au maximum le risque pour nos équipes de terrain. Et pourtant, sur la période considérée, nous avons recensé vingt-cinq incidents visant nos journalistes, à Paris comme en région. Nos équipes ont été régulièrement prises à partie, victimes d'insultes, de menaces, de tentatives de vol et même de violences physiques. Ces actes violents ont été commis par des individus isolés, par des groupes constitués ou non, et en une occasion par des forces de l'ordre.

À titre d'exemple, lors de la manifestation du mardi 28 mars, deux de nos journalistes, un reporter et un JRI, se sont fait agresser par un groupe d'une dizaine d'individus vêtus de noir qui ont commencé à les frapper. Alors que leurs agents de sécurité les exfiltraient, notre JRI a été rattrapé et jeté à terre. Il a perdu sa caméra et il a continué à recevoir des coups une fois au sol. Il a réussi à quitter définitivement les lieux avec l'aide de sa sécurité et d'autres participants à la manifestation venus à son aide. À la suite de cette agression extrêmement violente et traumatisante, il s'est vu délivrer quatre jours d'interruption temporaire de travail et cinq semaines d'arrêt maladie.

À chaque fois, ces violences ont été documentées par nos équipes. Nous avons évidemment incité nos journalistes à porter plainte et nous avons, au niveau du groupe, systématiquement porté plainte à chaque épisode de violence. Ainsi, ce que nous observons sur le terrain est bien souvent une véritable chasse aux journalistes, peut-être plus particulièrement encore parce que nous sommes BFMTV. Ces violences sont évidemment une préoccupation de premier plan pour nous. Elles mettent en danger la sécurité de nos équipes. Elles visent à nous empêcher d'effectuer notre travail d'information. Même si votre commission d'enquête ne porte pas directement sur les émeutes survenues après la mort de Nahel le mardi 27 juin dernier, ces évènements témoignent aussi du contexte tendu dans lequel nous exerçons chaque jour notre métier de journalistes et des difficultés à assurer notre mission d'information en toute sécurité.

Je voudrais terminer en soulignant un fait qui nous semble important. Il s'agit des améliorations introduites par le nouveau schéma national du maintien de l'ordre en décembre 2021. Désormais, il existe un cadre clair pour nos journalistes sur le terrain : pas d'obligation de s'identifier par un brassard, droit de porter des protections individuelles, pas d'obligation de quitter les lieux quand les forces de l'ordre veulent disperser le cortège, droit de filmer ce que nous jugeons important. Il s'agit d'une amélioration, qui doit maintenant se traduire complètement sur le terrain.

À ce titre nous avons dû déplorer un incident avec les forces de l'ordre. Le 16 mars dernier, deux de nos journalistes qui couvraient la manifestation improvisée ont dû esquiver plusieurs coups de matraque que trois policiers tentaient de leur asséner pour les éloigner. Notre équipe s'était pourtant clairement identifiée comme journalistes. Nous pensons qu'un effort de sensibilisation doit être accompli afin que les forces de l'ordre déployées dans les manifestations connaissent parfaitement le cadre réglementaire qui encadre notre travail.

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