Intervention de Jean-Pierre Farandou

Réunion du lundi 18 septembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF :

Il faut en effet dissocier le secteur de l'entreprise. Je dirige l'entreprise, mais celle-ci n'intervient pas de manière isolée. Si le secteur va mal, il est peu probable qu'elle aille bien !

Pour le secteur, l'enjeu est celui de la transition écologique. Un plan ambitieux, concret et pluriannuel est indispensable. Le marché ne va pas se transformer radicalement en un an ou deux. Créer les conditions pour que les clients privilégient le train plutôt que la route pour transporter leurs marchandises suppose de s'inscrire dans la durée. Nous n'allons pas les forcer ! Pour les convaincre, il faut leur proposer des prestations de qualité, compatibles avec leurs contraintes du point de vue des horaires, des temps de parcours et des coûts.

Si nous n'avons pas des sillons de qualité, les trains mettent trop de temps à arriver à destination et ne peuvent pas être compétitifs avec les camions. La mère des batailles, pour le fret comme pour les voyageurs, c'est le réseau ! Le réseau est parfois saturé ou en mauvais état. Il faut donc investir massivement. J'ai entendu le Gouvernement annoncer une enveloppe de 4 milliards d'euros d'ici à 2032, dont 2 milliards d'ici à 2027. Il faut supprimer les goulets d'étranglement, améliorer les voies de service et rénover les triages. Ce qui a été fait à Miramas doit l'être dans les trois autres grands triages français.

Plus le réseau offrira de la capacité, plus nous pourrons augmenter le nombre de trains entre les triages. Investir dans le réseau est le seul moyen d'inverser la spirale et d'améliorer l'offre. Ces efforts profiteront à l'ensemble du secteur, à Fret SNCF comme à ses concurrents, mais ils sont indispensables.

Une fois que les conditions matérielles sont créées, il faut inciter les entreprises à privilégier le train. Deux voies sont possibles. Celle qui a été choisie en France consiste à rendre le fret ferroviaire moins cher, grâce aux aides publiques accordées au secteur. D'autres pays ont taxé les camions. L'Allemagne est, je crois, en train d'instaurer des « surpéages » pour les poids lourds sur ses autoroutes. Nous avons failli le faire avec l'écotaxe. Les portiques étaient installés – ils sont d'ailleurs toujours en place –, nous étions vraiment tout près d'instaurer cette mesure. L'occasion ayant été ratée, il semble difficile de revenir en arrière. C'est une décision politique, mais la fiscalité peut être un moyen pour l'État de corriger le fonctionnement du marché et d'amplifier le report modal.

Je n'oppose pas Fret SNCF au reste du pôle ferroviaire du groupe SNCF. Fret SNCF est l'héritière de l'activité fret de la SNCF. Captrain est un regroupement de petites filiales, souvent rachetées en Espagne, en Italie ou en Allemagne. Captrain France est issue de l'ancienne Voies ferrées locales et industrielles (VFLI).

Fret SNCF va se spécialiser dans le transport mutualisé, les triages et les trains intertriages. Pour le reste de l'activité, la société sera bannie pendant dix ans. Captrain n'aura pas les mêmes contraintes. Elle sera certes bannie pendant trois ans sur les vingt-trois flux cédés, mais pourra développer tous les autres flux.

Une politique de développement pourra être engagée dans deux directions. Fret SNCF pourra assurer la promotion du wagon isolé, en s'appuyant sur les investissements et les aides consenties aux entreprises pour confier au rail de petites quantités de marchandises. Le potentiel est important : les mentalités évoluent et des régions sont prêtes à nous accompagner. Parallèlement, nous disposerons de Captrain pour les trains entiers. Nous misons sur son expansion, en dépit de sa mise à l'écart des vingt-trois flux cédés pendant trois ans.

S'agissant d'Ermewa et d'Akiem, il est important de rappeler le contexte de l'épidémie de covid. L'État nous a beaucoup aidés, ce qui a permis de limiter les effets de la crise. Celle-ci a tout de même été une catastrophe pour la SNCF. Rappelez-vous que tous les TGV étaient à l'arrêt ! Nous n'avions jamais vécu une telle situation. Les déplacements interrégionaux étaient interdits pour des raisons sanitaires et le Gouvernement nous a demandé de cesser le trafic. Nous ne maintenions qu'une liaison par jour, pour permettre aux voyageurs ayant des raisons impérieuses de se déplacer de le faire. Imaginez les conséquences économiques d'une telle décision ! Le TGV est le poumon de l'entreprise et, d'un coup, il ne fonctionnait plus !

Pendant la période du covid, entre 2020 et le début de 2022, nous avons perdu 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires. La SNCF, filiale à 100 % de l'État, était en grande difficulté et le Gouvernement a fait son travail d'actionnaire en l'aidant. Il a choisi d'investir dans les infrastructures, pour nous permettre de poursuivre l'effort de régénération lié à la réforme de 2018. Il y a consacré l'essentiel du plan de relance, qui était de 4,5 milliards d'euros, de mémoire. SNCF Réseau a ainsi bénéficié d'une augmentation de capital. Le reste de l'enveloppe a été consacré aux trains de nuit, qui renaissent un peu partout en Europe, et au fret.

L'État ayant fait son travail d'actionnaire en recapitalisant SNCF Réseau, il nous a demandé de faire notre travail de manager en participant à l'effort qui avait été consenti. L'objectif était d'éviter un endettement massif de l'entreprise. Concrètement, nous avons dû céder des actifs pour récupérer de l'argent. Parmi nos filiales, nous en avons identifié deux, qui n'étaient pas stratégiques et qui étaient rentables. Ermewa et Akiem avaient de la valeur sur le marché ; nous les avons vendues 4 milliards d'euros, qui ont été consacrés à notre désendettement.

Nous n'aurions pas pris une telle décision si la situation ne l'avait pas exigé. La réforme de la SNCF prévoyait une réduction de la dette. Or celle-ci s'était creusée avec l'épidémie de covid. Les 4 milliards d'euros liés à la cession d'Ermewa et d'Akiem nous ont permis de compenser en partie cette dégradation. Ces filiales n'étaient pas stratégiques, car nous pouvons continuer à accéder aux services de location de wagons et de locomotives même si nous n'en sommes plus propriétaires.

S'agissant des salariés, je ne peux évoquer que des principes et des options. Tout n'est pas parfaitement défini et beaucoup de sujets devront être discutés dans le cadre du dialogue social.

Il faudra concilier deux principes. Le premier, qui me semble le principal, est celui de la liberté des salariés. Ils doivent pouvoir décider de leur sort. Ils ont un contrat de travail SNCF et nous ne les laisserons pas tomber. Néanmoins, l'enjeu est de limiter le report modal vers la route. Pour la part du trafic qui sera transférée, des conducteurs devront être disponibles pour conduire les trains. Le risque concerne essentiellement le combiné, qui est un transport mixte avec une part routière. En l'absence de trains, les camions achemineront eux-mêmes les marchandises à destination.

Les conducteurs resteront au sein de la SNCF mais pourraient assurer une prestation globale de traction. Nous fournirions aux nouveaux entrants du personnel et des machines. Dans les premières discussions qui ont été engagées, j'ai cru comprendre que certaines personnes seraient intéressées. Cette prestation durerait six ou douze mois. Nous devons encore en clarifier les mécanismes, ainsi que les volumes et le calendrier. Il reste beaucoup d'inconnues. La direction de Fret SNCF devra évoquer toutes ces questions avec les organisations syndicales et avec les agents dans le cadre du dialogue social.

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