Intervention de Caroline Pascal

Réunion du mercredi 13 septembre 2023 à 17h10
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Caroline Pascal, cheffe de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) :

Merci Madame la présidente. Je note que vous avez pris connaissance de l'ensemble des rapports qui vous ont été envoyés. Ils ont été à l'origine de dix signalements de l'Inspection générale depuis 2020 en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

L'IGÉSR a été créée en 2019 avec la fusion de quatre inspections générales, deux portant sur l'enseignement scolaire et l'enseignement universitaire, une qui avait pour vocation de contrôler les bibliothèques et enfin l'inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS), qui contrôlait les fédérations sportives. Ces compétences ont été réaffirmées en 2021.

Nous menons deux types d'enquêtes sur les fédérations : d'une part des missions de contrôle, qui sont des missions de conformité, où nous regardons le fonctionnement général, structurel de chacune des fédérations, dans une situation qui n'est pas dysfonctionnelle, d'autre part des missions liées à un dysfonctionnement. Lors d'une mission de contrôle, il arrive que nous découvrions un certain nombre de dysfonctionnements. Nous passons dans un autre mode d'enquête, qui vient confirmer ou infirmer des faits précis de dysfonctionnement, qui peuvent être d'ordre différent, notamment ceux que vous avez mentionnés, comme des violences sexuelles et sexistes, que nous appelons VSS, des dysfonctionnements financiers ou tout autre type de dysfonctionnement.

Dans le cadre de nos missions de contrôle, nous nous étions fixé comme objectif en 2014 d'avoir vu l'ensemble des fédérations sportives avant 2024. Nous l'atteindrons juste avant l'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques. Parallèlement, la part d'enquêtes administratives a considérablement augmenté, notamment sous l'impulsion des ministres, Madame Roxana Maracineanu puis Madame Amélie Oudéa-Castera, qui nous ont saisis de manière beaucoup plus fréquente que nous ne l'étions auparavant, notamment depuis 2020, sur des cas de dysfonctionnement, signalés soit par des remontées directes, soit par une interpellation des médias.

L'inspection générale intervient dans un dans un écosystème qui dispose de ses autorités de régulation ou de contrôle, notamment la Cour des comptes, qui contrôle les fédérations et avec laquelle nous sommes en lien étroit, pour éviter de superposer des contrôles et pour partager les informations. Nous travaillons également avec l'Agence française anticorruption, qui suit son propre programme de contrôle de la probité économique et financière des fédérations, et avec laquelle la collaboration reste à approfondir. Vous nous interrogez, Madame la présidente, sur l'efficacité de nos contrôles et de nos enquêtes. Plus la collaboration avec les autres autorités est étroite, plus nos contrôles sont efficaces.

Depuis 2020, l'Inspection générale porte un regard particulier sur les questions de gouvernance, de violences sexuelles et sexistes et enfin sur les dysfonctionnements financiers. Ces trois axes correspondent à ceux de votre commission d'enquête. Ils sont rapidement apparus comme regroupant les dysfonctionnements majeurs, avec un impact humain et social important. Par ailleurs, ce sont aussi les axes politiques sur lesquels les ministres nous ont saisis et pour lesquels une politique publique de zéro tolérance a été mise en place.

Sur les aspects de gouvernance, nous avons soulevé, comme vous le retrouverez dans un certain nombre de nos rapports, la question de la démocratie au sein des fédérations. La répartition des sièges à la suite des élections, pour laquelle il existe plusieurs modèles et sur laquelle la loi de 2022 est revenue, a montré des failles, notamment une concentration des pouvoirs pour la liste gagnante, qui ne nous paraît pas de bon augure pour permettre l'expression démocratique d'une opposition, ou même simplement, au sein des instances, d'une discussion permettant d'éviter des dérives. En absence de l'expression d'une opposition forte, ces dérives sont en effet plus faciles.

Nous sommes néanmoins tout à fait conscients qu'il est nécessaire qu'une équipe puisse mener une politique et donc qu'il y ait une prime au gagnant. Dans les modèles qu'elle propose, l'Inspection générale prévoit une répartition proportionnelle assez classique, comme il en existe dans les collectivités territoriales, avec une équipe majoritaire qui porte un projet tout en préservant la capacité pour l'opposition de se faire entendre.

Plusieurs rapports ont mis en lumière ce problème à l'occasion de l'apparition de dysfonctionnements. En 2022, le rapport sur la fédération française de football qui a fait du bruit évoquait aussi cette question de la place de l'opposition dans la gouvernance de la structure.

Sur les VSS, je laisserai Patrick Lavaure s'exprimer sur les contrôles réalisés avant 2019 par l'IGJS, puisque je n'ai pris la tête de l'IGÉSR qu'au moment de sa création.

La question de la discrimination raciale n'a pas fait l'objet de travaux récents et l'IGÉSR n'a pas reçu d'alerte significative récente.

En revanche, les violences et sexistes ont été au cœur d'un certain nombre d'enquêtes sur les fédérations. Ces enquêtes ont mis en lumière des pratiques sur de jeunes sportifs qui ne sont évidemment pas tolérables et dont certaines sont passibles de poursuites pénales. C'est dans ce cadre que nous avons fait un certain nombre de signalements au procureur, pour lesquels des enquêtes ont été menées et des sanctions prononcées. Des suites ont donc été données à nos rapports.

Par ailleurs, nos rapports ont proposé des éléments plus structurants, vis-à-vis de la direction des sports comme des fédérations et de leur comité d'éthique, de manière que ces questions, remontent jusqu'à la présidence des fédérations et à l'autorité ministérielle et ainsi éviter toute forme d'omerta, comme vous l'avez évoqué.

La direction des sports a également mis en place la Cellule Signal-sports. C'est un outil qui n'est sans doute pas encore suffisamment performant mais qui a permis de faire remonter un certain nombre de signalements, qui jusque-là ne remontaient pas, qui ont été pris en compte et sur lesquels l'Inspection générale a enquêté. Parallèlement, les services départementaux ou les directions régionales peuvent aussi être amenés à conduire des enquêtes sur la base des signalements qui parviennent à la direction des sports.

Nous devons encore collectivement travailler, notamment à cause du déficit de formation d'un certain nombre de dirigeants de fédérations et de clubs, sur la clarification des périmètres des enquêtes judiciaires et des enquêtes administratives. Pendant longtemps, on considérait que si une enquête judiciaire était en cours, l'autorité administrative n'avait aucune raison de mener sa propre enquête. Aujourd'hui, il devient de plus en plus clair pour toutes les parties prenantes que les enquêtes judiciaires ont pour rôle de qualifier les faits et éventuellement d'engager des poursuites pénales, alors que les enquêtes administratives permettent de mettre en évidence des manquements déontologiques, de retirer des licences, etc. Les deux enquêtes peuvent donc être menées en parallèle.

Enfin, les dysfonctionnements financiers, notamment en matière d'appels d'offres, de marchés publics, etc. sont assez récurrents. Ils ont donné lieu à des rapports importants sur des fédérations ou sur des groupements d'intérêt public dont le parquet national financier (PNF) s'est saisi et ont donc débouché sur des enquêtes. Ces enquêtes n'ont pas encore abouti, sauf pour la fédération française de rugby, pour laquelle des condamnations ont été prononcées. Les signalements sont donc suivis d'effets ! Cependant, il n'est pas toujours très clair pour les fédérations de savoir si elles sont soumises à la nécessité de passer par une procédure d'appel d'offres. Compte tenu de leur statut, elles n'ont pas de pouvoirs adjudicateurs et il est un peu complexe de distinguer entre ce qui relève de leur délégation de service public et ce qui relève d'éléments plus commerciaux. Patrick Lavaure pourra revenir sur ce point car il a participé à des missions au cours desquelles cette problématique a été relevée.

Les rapports de l'Inspection générale ont permis de faire avancer un certain nombre de sujets. La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport prévoit déjà un certain nombre de mesures destinées à améliorer la démocratie au sein des fédérations. Nous sommes très attentifs à la façon dont les fédérations se sont emparées de ces dispositions. Certaines n'ont pas encore tiré les conséquences de cette loi mais le mouvement est en marche pour améliorer la représentation des oppositions au sein des fédérations. L'organisation territoriale de certaines fédérations manque encore aussi de maturité. Elle est en train de se mettre en place, comme les obligations en matière de parité entre les femmes et les hommes qui figurent dans la loi mais ne sont pas encore parfaitement appliquées.

Par ailleurs, la responsabilité et le pouvoir du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en matière d'éthique ont été renforcés. Il doit jouer un vrai rôle d'impulsion qui doit encore être renforcé.

Sur les VSS, la création de la Cellule Signal-sports a contribué à renforcer la formation et le signalement autour des services académiques jeunesse et sports. Ils sont beaucoup plus réactifs au moment des signalements. La question des règlements disciplinaires de fédération est une question également ouverte. Il est sans doute nécessaire de renforcer l'automaticité des mesures de suspension dès lors qu'il y a signalement sur un licencié, dirigeant ou non. Enfin, la question de l'honorabilité des encadrants a été confortée et renforcée au cours des dernières années et il y a dans ce domaine une dynamique tout à fait positive.

L'Inspection générale a régulièrement souligné l'ambiguïté qui peut exister entre le rôle du directeur technique national (DTN), qui est un agent de l'État, et le directeur général des services (DGS) ou directeur général (DG) des fédérations. Ces deux fonctions sont parfois occupées par la même personne mais nous considérons que ce n'est pas souhaitable. Il est en effet important que le DTN conserve un regard, qui est celui de l'État, avec une fonction interne presque de contrôle, alors que le DGS ou le DG sont plus impliqués dans la politique menée par la fédération.

Certaines de nos propositions vont plus loin que celles qui sont mises en œuvre aujourd'hui, notamment dans le cas de situations fortement dysfonctionnelles. Nous préconisons un certain nombre de mesures qui permettraient au ministre ou à la ministre de prendre des dispositions que la législation actuelle ne permet pas d'envisager. Ils ne peuvent que retirer l'agrément ou la délégation, qui sont des mesures fortes, très déstabilisantes pour une fédération, et ne disposent pas de mesures graduées, moins lourdes de conséquences, qui permettraient néanmoins de mettre un point d'arrêt à certains dysfonctionnements.

En termes de transparence financière, la mise en place d'un cadre juridique permettant de définir les conditions d'application des règles de transparence et de publicité pour les fédérations sportives nous semble pertinente, de manière à distinguer leurs activités commerciales de leur délégation de service public. Nous pourrions envisager des règles différentes selon la nature de l'activité, qui serait ainsi soumise ou pas à la commande publique.

Nous réfléchissons aussi à la possibilité d'inscrire dans les statuts fédéraux la possibilité de mise en retrait d'un dirigeant en cas d'appel à la suite d'une condamnation pénale. Vous saisissez sans doute le cas auquel je fais allusion. Cette mise en retrait qui, aujourd'hui, ne peut être que demandée par la ministre puisqu'elle ne figure pas dans les statuts fédéraux, pourrait constituer une solution intéressante dans certains cas de condamnation pénale et d'appel.

Quant au rôle de l'Inspection générale, je serai extrêmement attentive à ce que nous puissions conforter cette revue permanente des fédérations, au-delà des jeux olympiques et paralympiques qui nous ont permis d'en voir trois ou quatre par an. C'est un moyen de regarder régulièrement leur fonctionnement et d'en tirer un certain nombre de préconisations plus générales et plus structurelles. Cela suppose que le traitement des urgences ne vienne pas impacter directement notre programme de travail. Depuis 2020, des saisines très importantes nous ont beaucoup occupés et ont parfois perturbé le rythme de revue permanente que nous avions mis en place. J'espère qu'un certain nombre de situations dysfonctionnelles vont avoir tendance à s'atténuer, voire à disparaître, compte tenu des politiques menées et de la fermeté des réponses qui ont été apportées dans les quelques cas médiatiquement connus. Les fédérations se saisissent ainsi plus rapidement des signalements qui leur remontent.

Nous devons aussi conforter et renouveler l'expertise administrative des cadres de l'Inspection générale dans le cadre de la fonctionnalisation. Vous savez que nous avons changé de modèle, il est donc important que nous soyons en mesure de renouveler cette expertise.

Enfin, nous sommes très attentifs à améliorer le suivi de nos recommandations, qui n'ont pas le même statut qu'un certain nombre de revues d'audit. Elles doivent en effet être suivies par la direction des sports et par les fédérations.

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