Intervention de Gabriel Attal

Réunion du mardi 17 octobre 2023 à 17h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Gabriel Attal, ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse :

Je ne peux aborder cette première audition sans évoquer l'attentat islamiste de vendredi, qui nous a tous profondément ébranlés.

L'assassinat sauvage et barbare de Dominique Bernard a été un choc immense pour les professeurs, pour l'ensemble de la communauté éducative et pour la nation tout entière. Je partage toute l'émotion et la douleur des Français qui, trois ans après Samuel Paty, voient à nouveau tomber l'un de nos professeurs. Je comprends l'appréhension des équipes enseignantes et de tous ceux qui font vivre les écoles. Dès hier, ils étaient de retour pour préparer la reprise des cours, pour tenter d'aborder l'inexplicable, d'évoquer l'horreur, et pour malgré tout continuer à transmettre inlassablement nos valeurs républicaines.

Hier, la France était en communion avec ses professeurs. Nous devons chaque jour renouveler le respect, l'admiration, la reconnaissance qui se sont exprimés. En effet, l'école est précisément tout ce que rejettent nos ennemis, tout ce qu'abhorrent ces marchands de haine et de terreur : un lieu d'émancipation pour tous, d'élévation, de mixité, où des femmes et des hommes transmettent le meilleur de la création et du génie humains aux nouvelles générations. Là, les jeunes filles peuvent devenir ingénieures, malgré les stéréotypes, encore trop nombreux. Là, les jeunes garçons, quels que soient leur origine et leur parcours, peuvent s'élever dans la société et épouser la culture de notre pays. La jeunesse de France et ses professeurs y témoignent chaque jour que le débat, l'esprit critique et la transmission des savoirs sont les fondements d'un progrès durable de nos sociétés. L'école, c'est tout cela.

Au fond, l'école est une condition de la République, le moyen de tenir sa promesse. Parce qu'elle est l'exact inverse du monde que voudraient nous imposer les terroristes, elle doit ne rien céder, ne renoncer à rien, ne rien amputer ni à ses engagements ni à son idéal.

Hier, notre école s'est tenue debout ; elle reste debout. Derrière elle, toute la nation est unie, fière de ses professeurs.

Je n'ignore rien des débats, légitimes, que nous aurons sur les circonstances de l'attentat et sur les moyens de renforcer encore la sécurité du personnel et des établissements scolaires. Toutefois, il est essentiel de montrer que les institutions sont à l'œuvre et que le débat démocratique se poursuit : les terroristes, les islamistes projettent aussi de les éteindre.

Après les attentats de 2015, un diagnostic a été réalisé dans chaque établissement et des travaux de sécurisation ont été engagés, en fonction des besoins. Le bâti scolaire relève des compétences des collectivités territoriales. Cependant, étant donné les circonstances, l'État a consenti plus de 100 millions d'euros de cofinancement depuis 2017 pour sécuriser des établissements publics locaux, dont les écoles, dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui dépend des crédits du ministère de l'Intérieur.

Pour dresser un bilan de ces travaux et évaluer les besoins supplémentaires en équipements et en moyens humains, j'ai lancé sans délai une enquête flash auprès des écoles, collèges et lycées ; les conclusions m'en seront remises en début de semaine prochaine.

J'ai reçu ce matin les organisations syndicales de l'Éducation nationale. Je recevrai demain les associations d'élus. Hier, le Président de la République et la Première ministre nous ont à nouveau réunis, les ministres de l'Intérieur et des outre-mer, de la Justice et moi-même.

C'est ensemble que le Gouvernement, la représentation nationale, grâce aux missions de contrôle et au débat budgétaire, les collectivités locales et les organisations syndicales contribueront à élaborer les meilleures solutions pour assurer la sécurité des élèves, des personnels et des établissements scolaires.

D'ores et déjà, le plan Vigipirate a été rehaussé à son plus haut niveau, « urgence attentat » ; 7 000 militaires de l'opération Sentinelle, des milliers de policiers et gendarmes en patrouilles renforcées et un millier de membres du personnel de sécurité de l'Éducation nationale sont déployés pour exercer une vigilance maximale aux abords et dans les établissements scolaires. À cette réaction d'urgence, nous ajouterons des réponses structurelles et durables pour garantir la sécurité des professeurs, des élèves et de l'ensemble de la communauté éducative.

Tel est le contexte dans lequel vous allez examiner le budget de l'école pour 2024. Il est le fruit du travail de nos concitoyens qui, par leur impôt, financent et rendent possible un meilleur avenir pour les jeunes générations.

Depuis 2017, nous avons fait le choix historique de réinvestir massivement dans l'école de la République. Car il n'y a pas de plus beau message que celui d'une nation qui croit en son destin et qui investit dans son avenir.

En 2024, le ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse disposera d'un budget de 63,6 milliards d'euros. C'est près de 15 milliards de plus qu'en 2017, soit une hausse de plus de 29 %. Dans le même temps, l'école a accueilli 300 000 élèves de moins, en raison de la démographie ; pourtant son budget a crû de 29 %. En seulement deux années, de 2022 à 2024, cette hausse atteint 7,6 milliards d'euros, soit 14 %. J'entends tous les débats, légitimes, sur les moyens de l'école. Toutefois, je mets quiconque au défi de trouver un quinquennat pendant lequel son budget a autant augmenté, alors que la démographie scolaire diminuait.

Derrière ces chiffres, il y a des vies d'engagement ; nous avons vis-à-vis de nos professeurs un immense devoir de reconnaissance. Aussi avons-nous décidé en cette rentrée des revalorisations inédites et sans condition de leur rémunération par rapport à la rentrée 2022, de 125 à 250 euros net par mois. Les professeurs néotitulaires gagnent désormais 2 100 euros net, contre 1 700 euros il y a seulement trois ans. Nous avons effacé une génération de déclassement salarial. Nous n'avons pas seulement tenu les engagements de la campagne présidentielle, une revalorisation moyenne de 10 % et 2 000 euros en début de carrière, nous les avons dépassés, avec une revalorisation moyenne de 11 % entre avril 2022 et janvier 2024. Je ne dis pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais depuis plus de trente ans, aucune revalorisation de cette ampleur n'était intervenue en si peu de temps.

Toutefois, nous ne sommes pas au bout du chemin pour redorer le prestige social du métier de professeur et lui rendre son attractivité. Dès la rentrée, j'ai donc engagé une large discussion sur ce thème avec les organisations syndicales, en examinant les enjeux de la formation initiale, des évolutions de carrière et des conditions de travail. Je souhaite y associer les parlementaires, notamment de la commission des Affaires culturelle et de l'éducation. J'en rendrai les conclusions d'ici au début de l'année prochaine.

De puissants leviers ont été envisagés : améliorer la formation initiale en master, en réformant le positionnement du concours ; renforcer l'accompagnement lors de la prise de poste ; faciliter la progression en milieu de carrière ; soutenir l'effort de prévention en matière de santé ; aménager les fins de carrière.

Nous avons également l'ambition de continuer à réduire la taille des classes. À la rentrée 2023, 85 % des classes de grande section de maternelle situées en réseau d'éducation prioritaire (REP) et en réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP +) étaient dédoublées ; elles seront 100 % à la rentrée 2024. Dans le premier degré, on comptait 23,6 élèves par classe en 2017, ils seront 21,4 en 2024. À la rentrée 2024, nous aurons achevé le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 de REP, au profit de 500 000 élèves. Cet investissement massif et inédit de la nation, qui se traduit par 11 000 créations de postes de professeurs des écoles, a déjà produit des résultats, elle continuera d'en produire. Une étude de septembre 2021 de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) montre que, grâce au dédoublement, en fin de CE1, les écarts en lecture et en calcul entre un élève en REP + et un élève hors éducation prioritaire sont réduits de 15 à 40 %. Notre objectif est de réduire les inégalités scolaires en élevant le niveau de tous.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 prévoit aussi le financement de soixante très petites sections supplémentaires pour accueillir les enfants dès 2 ans dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), la création de postes dans les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) et la poursuite du plan « autisme ».

Ce PLF pour 2024 tend également à satisfaire l'ambition d'accueillir à l'école tous les enfants de France à travers le service public de l'école inclusive. Depuis 2017, nous avons augmenté de 51 % le nombre d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et de 36 % le nombre d'élèves en situation de handicap accueillis en milieu ordinaire, porté à plus de 475 000. Nous en sommes fiers.

Néanmoins, pour rendre leur accueil satisfaisant, il nous faut plus de moyens humains. Depuis 2017, nous avons massivement augmenté le nombre d'AESH : ils sont 130 000. En quelques années, leur métier est devenu le deuxième de l'Éducation nationale, en personnel. L'année scolaire en cours marquera la poursuite de cet effort, avec le recrutement de 4 800 AESH supplémentaires : ils seront 15 000 de plus qu'en 2022.

Là non plus, je n'ignore rien des difficultés qui demeurent, des délais, des manques qui persistent. Je reçois les témoignages, souvent bouleversants, de familles qui attendent un AESH pour leur enfant.

Pour pouvoir recruter davantage, il fallait revaloriser et de déprécariser le métier. Grâce à un amendement adopté lors de l'examen du PLF pour 2023, les AESH gagnent entre 89 et 117 euros net de plus par mois. Ce mois-ci leur sera versée une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, de 500 euros en moyenne.

Alors qu'il y a six ans, la plupart des AESH avaient un contrat aidé et étaient très précaires, plus de 55 % d'entre eux ont désormais un CDI et reçoivent une meilleure formation, même si des progrès restent à accomplir. Enfin, nous devons permettre à ceux qui le souhaitent de travailler à temps complet ; nous avons déjà conclu des conventions en ce sens avec plus de quatre-vingts collectivités.

Pour aller plus loin et satisfaire aux ambitions qu'a définies la dernière Conférence nationale du handicap (CNH), l'article 53 du PLF tend à expérimenter, dès la rentrée 2024, la création de pôles d'appui à la scolarité (PAS), qui visent à fournir une réponse pédagogique plus rapide et plus complète aux élèves en situation de handicap et à leur famille. Il s'agit d'améliorer sensiblement les conditions d'accueil et de scolarisation en leur apportant une réponse de premier niveau, élaborée conjointement par des professionnels de l'Éducation nationale et du secteur médico-social, comme cela était demandé depuis des années.

Très concrètement, les pôles d'appui à la scolarité seront chargés de définir et d'appliquer rapidement des mesures cohérentes avec l'évaluation des besoins de l'élève, qu'il s'agisse d'adaptations pédagogiques, de mise à disposition de matériel pédagogique – dont nous devons accélérer les délais – ou de l'intervention d'acteurs de l'Éducation nationale et du secteur médico-social. Ils pourront informer les familles de la possibilité de saisir la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) d'une demande de reconnaissance de handicap et de compensation et les conseiller dans cette démarche. Enfin, ils apporteront leur soutien en matière de ressources, de pratiques pédagogiques et de formation aux personnels des écoles et des établissements de leur ressort qui en font la demande.

Avec ces pôles d'appui à la scolarité, nous mobilisons toutes les expertises pour proposer aux familles, aux élèves et à leurs professeurs une vraie solution, complète et rapide. Pour les faire vivre, nous recruterons 300 personnes – le budget de l'Éducation nationale financera 100 emplois, celui du médico-social 200. Ainsi, l'accueil et l'accompagnement de tous les élèves à l'école de la République pourront accomplir un véritable saut qualitatif.

La question des moyens humains se pose aussi pour mener la lutte implacable qui s'impose contre le fléau du harcèlement scolaire. Je l'ai dit dès ma prise de fonctions, il s'agit de ma grande cause pour l'école. Je sais pouvoir compter sur votre très large soutien, par-delà les clivages politiques. Car on n'apprend pas bien à l'école quand on y est malheureux. On ne peut acquérir les savoirs fondamentaux quand l'esprit est tout entier préoccupé.

Voilà pourquoi, avec la Première ministre, nous avons annoncé un plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école. Pour l'Éducation nationale, il sera financé par des crédits existants, notamment 38 millions d'euros par an alloués à la formation du personnel et à certaines missions des référents présents dans les établissements. Nous devrons toutefois dégager des moyens supplémentaires pour recruter des équipes académiques consacrées à temps plein à la lutte contre le harcèlement, afin d'assurer un traitement et un suivi systématique de chaque situation. Il faut un suivi humain, comme malheureusement l'ont montré les drames que nous avons connus et certaines réponses de l'administration. Il faut également renforcer la médecine scolaire, qui en a tant besoin, et recruter davantage d'infirmiers et d'assistants sociaux, en les rémunérant mieux, même si nous avons déjà engagé des revalorisations substantielles au cours des dernières années.

Le 9 novembre se tiendra dans tous les établissements scolaires la Journée « Non au harcèlement ! » Elle permettra de recueillir la parole de tous les élèves et d'identifier des situations jusqu'ici sans réponse. Elle favorisera le changement culturel que je veux étendre à tous les étages de l'Éducation nationale, pour qu'enfin la parole des élèves soit systématiquement écoutée, entendue et suivie d'effets.

Enfin, le ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse joue un rôle fondamental dans la transition écologique et pour la cohésion sociale de notre pays. L'école est le cœur battant de la nation et l'institution qui en perpétue la culture, les valeurs et les principes en les transmettant aux futures générations.

On compte 1,5 million d'élèves boursiers sur critères sociaux ; nous avons revalorisé les bourses de 6 % en deux ans. Leur versement sera automatique à compter de la rentrée 2024, afin de lutter contre le non-recours et l'autocensure. J'ajoute que 150 000 élèves bénéficient également d'une bourse au mérite et 40 000 d'une prime d'internat, que nous continuons bien sûr de financer.

Les fonds sociaux sont sanctuarisés à hauteur de 54 millions d'euros ; grâce au Pacte des solidarités, nous poursuivons le déploiement des petits déjeuners gratuits et des cantines à 1 euro, financés par la mission Solidarité, insertion et égalité des chances. Ainsi, l'an passé, des élèves de familles modestes ont bénéficié de 13 millions de petits déjeuners gratuits : toutes les études montrent qu'on apprend mieux et qu'on est plus calme quand on a pris un petit déjeuner.

En cette rentrée 2023, nous finançons l'extension de la part collective du pass culture aux élèves de sixième et de cinquième ; elle constitue l'une des briques de l'ambition « 100 % d'éducation artistique et culturelle ». L'an passé, 2,2 millions de collégiens ont ainsi profité de visites de musées ou de représentations théâtrales ou ont joué d'un instrument de musique. Je salue les 87 % des collèges qui se sont déjà engagés dans cette démarche. Notre objectif est de parvenir à 100 %.

Nous poursuivons l'investissement dans l'éducation prioritaire avec l'achèvement du dédoublement des classes ; au total, nous aurons augmenté de 50 % le budget de l'éducation prioritaire.

Pour financer cet effort, nous devons discuter de la réorientation du fonds de 42 millions d'euros destiné aux communes qui ont choisi de maintenir la semaine de quatre jours et demi. Les documents budgétaires qui vous ont été soumis l'an dernier prévoyaient la réduction de moitié du fonds dès cette rentrée, avant une extinction à la rentrée prochaine, mais nous avons choisi de maintenir les crédits pour l'année 2023-2024 au niveau de l'année passée. Il faudra donc réabonder le fonds de 19 millions et débattre de son évolution à compter de la rentrée 2024, le temps d'organiser une concertation convenable avec les communes, concernant les nouvelles modalités de financement de leurs activités périscolaires. Les marges de manœuvre ainsi dégagées pourraient être utilement redéployées sur l'éducation prioritaire.

L'égalité des chances passe aussi par la réforme du lycée professionnel. À terme, l'investissement supplémentaire se montera à 1 milliard d'euros par an, pour financer la gratification des stages de la classe de seconde à celle de terminale, les cours en petits effectifs, l'ajout de cours d'options, la création d'un bureau des entreprises dans chaque établissement et la transformation de la carte des formations. Nous voulons faire chuter drastiquement le taux de décrochage et augmenter significativement ceux des poursuites d'études dans l'enseignement supérieur et d'insertion dans l'emploi.

Le bâti scolaire représente la moitié du bâti public en France. L'État cofinancera la rénovation des écoles à hauteur de 500 millions d'euros par an, avec le fonds Vert du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires. Le programme EduRénov de la Caisse des dépôts et les dotations à l'investissement des collectivités territoriales complètent cet effort massif consenti pour arriver à rénover 40 000 écoles en dix ans.

Nous devons y parvenir pour atteindre nos objectifs de transition écologique, ainsi que pour assurer la santé et le bien-être des élèves et des professeurs. À l'école de la République, on ne doit plus avoir trop chaud l'été ou trop froid l'hiver. Bien que la rénovation du bâti ne relève pas de la compétence de l'État, nous y consacrons donc 500 millions d'euros dans ce budget, qui n'apparaissent pas non plus dans les crédits de l'enseignement scolaire, puisqu'ils dépendent du fonds Vert. De la même manière, conformément à l'engagement du Président de la République, l'État investira 100 millions d'euros sur trois ans dans les équipements sportifs, qui ne relèvent pas non plus de sa compétence. Le budget du ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques supportera cet effort inédit.

Le ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse finance également le bâti scolaire à Mayotte, où nous engageons 523 millions d'euros d'investissement sur la période allant de 2024 à 2027 ; des projets de construction à La Réunion, avec 60 millions d'euros consacrés aux lycées des métiers de la mer et du tourisme vert entre 2024 et 2028 ; la rénovation du patrimoine du ministère, à hauteur de 96 millions en 2024 ; sa modernisation informatique à hauteur de 180 millions en 2024.

Voilà ce que, très concrètement, le PLF 2024 permet de financer pour l'école, au service des élèves et de la jeunesse.

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