Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 20 septembre 2022 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

O tempora, o mores !

Je constate donc que les différents services – police judiciaire, renseignements territoriaux, sécurité publique, CRS – ne se parlent pas toujours.

Cette organisation est-elle efficace – car c'est la qualité du service public rendu qui doit être notre boussole ? Le fait est, comme le montrent toutes les enquêtes, que la délinquance a considérablement muté – la cybercriminalité représente la moitié des crédits supplémentaires prévus par la LOPMI –, que la voiture d'un voleur dispose d'équipements technologiques de pointe, que les réseaux sont internationaux, que le lien entre le grand trafiquant de drogue à Dubaï et le point de deal à côté de chez vous est souvent très fort.

Autre constat : le taux d'élucidation pour la police judiciaire baisse année après année. C'est notamment dû à l'utilisation de la technologie : si tous les délinquants sont sur WhatsApp ou Telegram, les écoutes téléphoniques sont un peu moins efficaces !

Les services sont à ce point cloisonnés que j'en ai vu certains signer des conventions pour pouvoir travailler ensemble ! C'est aberrant. Dans un département, les interlocuteurs sont dispersés : il y a un directeur de la sécurité publique, un de la police aux frontières, un de la police judiciaire, un des renseignements… Lorsque vous arrêtez quelqu'un qui a donné un coup de couteau, il faut se demander de quel service cela relève : est-ce terroriste, criminel, gratuit ? Si la personne est étrangère, la PAF devra intervenir puisqu'elle aura à la reconduire dans son pays d'origine. La personne peut aussi avoir fait l'objet d'une note des renseignements qui n'a pas été transmise au bon service, comme ce fut le cas dans l'affaire Samuel Paty et dans bien d'autres. Le commissariat local peut avoir besoin de l'expertise technique de la police judiciaire ou de sa connaissance des réseaux criminels. Bref, les informations ne circulent pas suffisamment aujourd'hui.

L'idée d'une direction unique de la police nationale, une par département, me paraît pertinente mais pose plusieurs questions.

Pour ce qui est de la police judicaire, son autonomie sera renforcée. Ses effectifs passeront de 5 000 à 20 000 personnes, ce qui ne peut que satisfaire tous ceux qui, de tous les bords politiques, déplorent un manque d'OPJ. L'évolution des carrières y gagnera beaucoup. Mais qu'il soit clair qu'aucun policier appartenant à la police judiciaire ne se verra affecter ailleurs demain.

Certains objectent que la criminalité ne connaît pas les frontières départementales. J'en conviens. C'est la raison pour laquelle seront créées, en plus grand nombre que dans le projet de réforme initial, des antennes régionales couvrant peu ou prou les bassins de délinquance.

S'agissant des affaires financières, certains pointent un risque de collusion ou de divulgation. Je ne crois pas que, par le passé, les préfets étaient informés des contrôles fiscaux et que, s'ils l'étaient, ils prévenaient les élus. J'ai aussi vu de près la fusion des directions de la comptabilité publique et des impôts, que nous avons parachevée en instaurant le prélèvement à la source. Elle avait fait l'objet des mêmes critiques mais aujourd'hui, chacun exerce son métier sans divulguer des informations relevant du secret fiscal, sous l'autorité d'un directeur départemental unique des finances publiques. Le préfet reçoit des informations de comptabilité publique, mais pas des informations couvertes par le secret fiscal.

Toutefois, pour lever toute ambiguïté dans cette matière délicate, j'ai proposé que toutes les affaires pouvant soulever des questions de probité, impliquant des personnes pouvant avoir un lien avec les pouvoirs publics – chefs d'entreprise, élus… – soient dépaysées au niveau zonal afin que le préfet de département ne se trouve pas en porte-à-faux vis-à-vis du directeur départemental de la police.

Enfin, certains s'inquiètent de l'indépendance des magistrats, mais qui choisit le service chargé de l'enquête, qui dirige les policiers et les gendarmes sur le terrain ? Ce sont bien les magistrats ! C'est la raison pour laquelle les policiers municipaux ne sont pas devenus officiers de police judiciaire dans la loi « sécurité globale » : les maires ont préféré garder la main sur eux plutôt que de la laisser au procureur. En tant que maire de Tourcoing, j'avais plus de pouvoir sur les contrôles menés par la police municipale que maintenant, où je me contente de mettre des policiers et des gendarmes à la disposition des magistrats.

Le préfet a bien évidemment un intérêt dans la sécurité de son département. Pour agir contre la délinquance, il a besoin de toutes les informations que les services – renseignements, police aux frontières, investigation, sécurité publique… – peuvent lui fournir ; c'est pourquoi ceux-ci doivent se parler. La police judiciaire fait un travail formidable, il faut simplement qu'elle se modernise. Je serai très attentif aux travaux de l'IGA et des parlementaires sur ce sujet.

Concernant les Jeux, madame Guévenoux, je rendrai prochainement un arbitrage sur le nombre de forces dont la présence sera nécessaire. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que nous annulons une grande partie des congés des préfets, des agents de préfecture et des forces de l'ordre pour l'été 2024.

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