Intervention de Philippe Henry

Réunion du jeudi 28 septembre 2023 à 9h15
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Philippe Henry, vice-président de l'Agence Bio :

Je suis agriculteur en Meurthe-et-Moselle sur une exploitation de polyculture-élevage en bio depuis 1997 et, par ailleurs, l'un des vice-présidents de l'Agence Bio. Je siège également à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), en charge de l'interprétation française du cahier des charges bio européen.

L'agriculture bio représente aujourd'hui 14 % des agriculteurs français, 2,8 millions d'hectares et un marché alimentaire de 12,5 milliards d'euros. Elle est présente partout sur le territoire. À défaut d'être majoritaire, ce système a connu une croissance extrêmement forte. À l'époque de mon installation, nous devions être une centaine en Lorraine. Nous sommes plus de 1 000 aujourd'hui. Mais aujourd'hui, l'agriculture bio traverse une période un peu plus difficile, en raison notamment d'un contexte de baisse de la consommation alimentaire, qui affecte tant le bio que l'agriculture conventionnelle.

80 % des produits bio consommés en France sont français. J'exclus de ce chiffre les produits exotiques, qui ne sont nécessairement pas produits en France, exception faite de la Martinique et de la Guadeloupe. Nous importons quelques produits bio, mais pas beaucoup. Nous sommes également exportateurs. La filière des vins bio, largement exportatrice, se porte assez bien malgré le contexte actuel de ralentissement.

L'agriculture bio dispose d'un cahier des charges très complet de 300 pages qui a été construit au cours des cinquante dernières années. Ce cahier des charges est aujourd'hui européen. Il précise que l'agriculture bio s'appuie sur les cycles naturels et que son objectif est la protection de l'environnement ; ces deux piliers sont déclinés au fil des articles suivants.

Nous utilisons en bio un certain nombre de produits de protection des cultures, mais c'est assez limité. Ils sont précisés à l'annexe 1 du règlement européen. Parmi les quelque 400 produits communément utilisés dans l'agriculture en général, seuls une cinquantaine – parmi les moins agressifs – sont autorisés en bio. Nous connaissons tous des produits tels que le cuivre, le soufre et le vinaigre blanc.

Le principe de base est l'absence de chimie de synthèse. Cette distinction a l'air simple sur le papier, c'est plus compliqué dans la réalité. Il arrive souvent que des fabricants nous expliquent que leurs molécules sont presque les mêmes que celles qui figurent dans le cahier des charges. Ils font des demandes auprès d'un groupe d'experts de la Commission européenne, l'Egtop – Expert group for technical advice on organic production – qui est chargé de la validation des autorisations de produits pouvant être utilisés en agriculture biologique.

Je trouve l'organisation française assez intéressante dans le sens où l'INAO rassemble l'ensemble des opérateurs concernés par ces questions afin de trouver le juste milieu en termes d'exigences du cahier des charges et de pragmatisme. Par exemple, la bouillie bordelaise est autorisée en viticulture bio parce qu'on ne peut pas faire autrement. C'est toujours un compromis entre l'exigence du plus naturel possible et la prise en compte de la réalité du terrain.

La grande culture bio représente 800 000 hectares en France. On n'utilise quasiment pas de produits pour ces hectares : ni soufre, ni bouillie bordelaise, etc. Du moins, c'est très rare, hormis quelques traitements ou produits de semence tels que le vinaigre blanc.

En revanche, c'est un peu différent en viticulture et en arboriculture, car les pressions de ravageurs sont un peu différentes. La diversité des cultures sur une exploitation, notamment la présence de productions végétales et animales sur une même exploitation, est un atout en agriculture biologique pour lutter contre les ravageurs. Cependant, certaines exploitations sont nécessairement spécialisées, en particulier en viticulture et en arboriculture. Cela fait qu'il y a un certain nombre de ravageurs – animaux ou champignons – contre lesquels il faut lutter.

En bio, nous essayons de prévenir plutôt que de guérir en utilisant des produits. Nous utilisons des variétés résistantes. Ce n'est pas possible en viticulture en raison des appellations d'origine contrôlée (AOC) : la culture d'un cépage n'est évidemment pas possible n'importe où. C'est un peu différent en arboriculture. Les producteurs de pommes, notamment, s'appuient sur une génétique offrant une résistance permettant de s'affranchir d'un certain nombre de traitements.

Nous avons des problèmes de mildiou sur la pomme de terre. Tout comme en viticulture ou en arboriculture, des variétés résistantes existent aujourd'hui. Mais il y a un problème d'adéquation entre production et consommation : on nous demande des variétés qui ne sont pas résistantes. Si je fais de l'Allians, une variété de pommes de terre résistante, j'aurai donc des difficultés à la vendre. Mais pour faire des Charlotte, je suis obligé de mettre de la bouillie bordelaise lorsqu'il pleut. On ne peut pas déconnecter la production de la consommation. Pour préserver l'environnement, les consommateurs doivent comprendre qu'il y a peut-être des variétés à choisir ou des produits à privilégier.

L'agriculture biologique est forcément un levier intéressant pour réduire l'utilisation globale de pesticides. La consommation de milliers de tonnes de produits de synthèse est ainsi évitée grâce à l'agriculture biologique. Pour autant, nous sommes dans une période de crise dont il faut sortir. Nous pourrons le faire si nous lions la production à la consommation. Les politiques publiques doivent se mettre en cohérence les unes avec les autres afin de développer cette agriculture qui, outre sa performance en matière environnementale, est un formidable laboratoire. Les agriculteurs bio ont, en effet, une appétence naturelle pour l'innovation technique.

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