Intervention de Alice Rufo

Réunion du mercredi 11 octobre 2023 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alice Rufo :

C'est un grand honneur de m'exprimer devant vous en tant que responsable du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». Avant de vous en présenter les orientations dans le cadre du projet de loi de finances 2024, je souhaite revenir rapidement sur le double contexte dans lequel nos travaux s'inscrivent.

Le premier concerne bien évidemment celui du durcissement du contexte stratégique, y compris depuis la revue nationale stratégique présentée l'an dernier, et comme celle-ci l'a d'ailleurs anticipé. L'actualité ne cesse de le démontrer : l'évolution de la conflictualité autour du triptyque compétition-contestation-affrontement, sous des formes militaires ou hybrides, dans les champs matériels et immatériels, est marquée par un phénomène d'intensification et d'accélération.

Ce durcissement se traduit notamment par l'inscription dans la durée sur le continent européen d'une guerre conventionnelle de haute intensité, menée par une puissance dotée, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, contre un État souverain. J'avais eu l'occasion d'échanger avec votre commission sur le retour d'expérience (Retex) de la guerre en Ukraine et je crois que les conclusions que nous avions alors pu dégager, mais également les conséquences que nous en avons tirées, démontrent toute leur pertinence et leur actualité.

Le durcissement se manifeste ensuite par la multiplication des foyers de crises régionales qui perdurent et se multiplient, les unes ne chassant pas les autres. Il est également marqué par l'aggravation et l'extension des menaces qui s'additionnent, mais ne s'annulent pas. Ainsi, la menace terroriste ne faiblit pas et se nourrit au contraire de toutes les déstabilisations du contexte international. Les conséquences des dérèglements climatiques et les tensions liées aux enjeux énergétiques structurent de plus en plus l'espace de la conflictualité qui, dans le même temps, s'élargit chaque jour davantage à de nouveaux domaines dans les espaces communs (l'espace, la haute mer, les fonds marins, le numérique, le cyberespace), dans le champ informationnel et jusqu'à l'utilisation de l'arme alimentaire ou migratoire.

Enfin, le durcissement s'illustre par la fragmentation de l'ordre international qui affaiblit les cadres de règlement des conflits, rendant plus difficiles encore des réponses collectives et coopératives, pourtant incontournables pour des enjeux par essence globaux, à l'image du changement climatique.

Le deuxième élément cadre de nos travaux est bien sûr l'adoption de la LPM qui nous donne les moyens de faire face à ce durcissement du contexte stratégique et de nous préparer aussi à la conflictualité de demain. Les deux LPM successives, reposant chacune sur des exercices stratégiques solides, nous permettent d'avoir un outil militaire encore plus crédible grâce au doublement du budget de nos armées, en consolidant notre modèle d'armée complet et en faisant face aux risques et aux conflictualités nouvelles.

Le contexte international tel que nous le connaissons et tel que nous pouvons l'anticiper implique de renforcer nos capacités de renseignement et d'innovation, qui sont au cœur du programme 144, de même que nos capacités de lecture du contexte stratégique comme de construction de nos partenariats et de nos alliances, au cœur des missions de la DGRIS.

Face au durcissement du contexte stratégique et en application de la LPM, la ressource du programme 144 dans le cadre du projet de loi de finances 2024 s'élève à 2 198,4 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1 967,6 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 3,2 % en CP (61,4 millions d'euros) par rapport à la loi de finances initiale (LFI) 2023. Depuis 2019, première année de la précédente LPM, le programme 144 bénéficie ainsi d'une augmentation continue de sa ressource, portée par le renseignement et l'innovation, en pleine cohérence avec les conclusions de nos travaux et documents stratégiques, qui trouvent leur traduction dans la nouvelle LPM. Sous la conduite de l'état-major des armées (EMA), de la DGSE, de la DRSD, de la direction générale de l'armement (DGA) et de la DGRIS, les crédits inscrits au PLF 2024 permettront de poursuivre la remontée en puissance capacitaire des services de renseignement ; d'atteindre un niveau d'ambition élevé en matière d'innovation ; de disposer d'une expertise de haut niveau sur l'évolution de l'environnement stratégique ; de conduire la diplomatie de défense et de contribuer à notre influence, érigée l'an dernier en nouvelle fonction stratégique.

S'agissant de l'action 3, qui couvre les besoins de la DGSE et de la DRSD, les crédits s'élèvent à 540,7 millions d'euros en AE et 476,2 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 15,7 % en AE pour un niveau quasi équivalent en CP. La DGSE poursuivra en 2024 la déclinaison de son plan stratégique, avec l'objectif de renforcer son modèle intégré, de garantir la résilience de ses infrastructures, de répondre aux exigences de sécurité liées à sa mission et d'accroître ses capacités d'action. Intégrant les axes définis par la LPM, l'année 2024 sera en particulier marquée par le développement de capacités techniques dans le domaine de la cyberdéfense, la poursuite des investissements indispensables aux standards d'un service de renseignement moderne et au profit de l'ensemble de la communauté du renseignement et le début des travaux sur le site du Fort-Neuf de Vincennes, en vue de la construction du nouveau siège.

La DRSD, dont les ressources s'élèveront à 31,7 millions d'euros en AE et 51 millions d'euros en CP, poursuivra sa montée en puissance capacitaire en effectifs et en moyens au travers d'investissements significatifs : l'acquisition d'outils de contre ingérence efficaces et innovants ; le développement de sa base de souveraineté afin de stocker et d'exploiter le renseignement à partir d'une solution nationale ; le développement de capacités pour permettre de protéger notre base industrielle et technologique de défense (BITD) face aux risques d'ingérence, et l'augmentation de la conflictualité, dont nos entreprises peuvent également être victimes.

S'agissant de l'action 7, qui couvre les besoins de la prospective de défense portés par la DGRIS, l'EMA et la DGA, ses crédits connaissent une augmentation de 4,2 % et s'élèvent à 1 447,2 millions d'euros en CP. L'action 7 se décline en quatre sous-actions. La première concerne les études prospectives et stratégiques pilotées par la DGRIS, qui représentent 9,8 millions d'euros en AE et 9,6 millions d'euros CP, et constituent, avec le Pacte enseignement supérieur, les études de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) et les subventions pour publication, le quatrième pilier du dispositif de soutien à la recherche stratégique mis en œuvre par la DGRIS. Sur ce point, je veux souligner le fort renfort en AE de cette ligne, pour augmenter par exemple le nombre et le montant des contrats pluriannuels que nous confions aux think tanks ; une augmentation du budget dédié aux « centres d'excellence » dans les universités ; et l'ouverture d'une antenne de l'Irsem à Bruxelles. Cela concerne également le programme personnalités d'avenir défense (PAD), qui contribue à renforcer notre réseau et à sensibiliser de futures élites étrangères, civiles et militaires, aux positions françaises en matière de sécurité et de défense.

La deuxième sous-action concerne les études opérationnelles et technico-opérationnelles pilotées par l'EMA au titre de la prospective des systèmes de forces, dont les crédits sont portés à 27,5 millions d'euros en AE et en CP.

La troisième sous-action a trait aux études amont pilotées par la DGA, qui représentent le volume le plus important de l'action 7, et dont la ressource s'élève à 1 183,2 millions d'euros en AE et 1 017 millions d'euros en CP, conformément aux orientations de la LPM et à l'effort sans précédent voulu sur l'innovation. Cet effort portera sur trois axes : les nouveaux domaines de conflictualité (les fonds marins, l'espace, le champ informationnel) ; les technologies de rupture (les armes à énergie dirigée, l'hypervélocité, l'intelligence artificielle, le spectre électromagnétique, la guerre électronique) et les modes d'action. Sur ce dernier point, l'idée consiste à nous appuyer sur des démonstrateurs d'envergure et à soutenir les filières critiques pour renforcer nos capacités.

Le fonds d'investissement en capital-risque Fonds innovation défense poursuivra ses investissements dans les entreprises développant des technologies d'intérêt défense, duales et transversales aux différents systèmes de défense. Le fonds d'investissement Definvest poursuivra quant à lui son action consistant à sauvegarder des PME d'intérêt stratégique pour notre défense par des dotations en capital.

La dernière sous-action, qui comprend la gestion des moyens et subventions, est dotée de 393 millions d'euros en AE et en CP. Pilotée par la DGA, elle recouvre les subventions octroyées aux opérateurs participant à des études et recherches en matière de défense à l'instar de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) et les écoles de la DGA, dont l'École polytechnique.

L'action 8 du programme 144 consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense, dont la gestion relève de la DGRIS, est dotée de 44,2 millions d'euros en AE et en CP, soit une augmentation de 7,6 %. Ces crédits permettront d'abord de financer la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti au titre de l'implantation des forces françaises. Dans le cadre de l'actuel traité de coopération militaire avec Djibouti, la France s'est engagée à verser une redevance. Le programme 144 participe également au fonds de soutien à la modernisation des forces armées djiboutiennes, acté par la signature en 2021 d'une déclaration d'intention entre les présidents français et djiboutien.

Le deuxième pilier de ce budget concerne la contribution française au budget de fonctionnement de l'Agence européenne de défense (AED), dont la France est le deuxième contributeur (17 %) derrière l'Allemagne. L'année 2023 sera marquée par le renforcement du rôle de l'AED en matière de soutien à l'innovation de défense à la suite de la création en mai 2022 d'un hub dédié qui constituait l'un des livrables de la boussole stratégique et de la présidence française de l'Union européenne.

L'action 8 couvre en outre les actions de coopération bilatérale et multilatérale entreprises dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive (PMG7). Elle porte enfin sur les dépenses liées au soutien de notre réseau diplomatique de défense, qui est constitué de quatre-vingt-onze missions de défense et de trois représentations militaires auprès de l'Otan, de l'Union européenne (UE) et de l'ONU. Ce réseau, le troisième au monde, est une ressource essentielle dans le contexte stratégique que nous connaissons. Il est appelé à évoluer et à se renforcer. Notre réseau de postes permanents à l'étranger (PPE) concerne 1 480 postes d'officiers, de sous-officiers et de civils présents dans les organisations internationales. Des PPE sont également présents dans des think tanks étrangers, comme l'Atlantic Council à Washington, mais aussi au Sénégal, dans l'Indo-Pacifique ou en Europe de l'Est.

Les évolutions de ce réseau sont le fruit d'un travail d'étroite concertation avec l'état-major des armées et la DGA. Le pilotage de ce réseau est essentiel dans les missions de la DGRIS, dont je rappelle ici les deux grands axes : d'une part, la stratégie, en nous focalisant sur la production de documents stratégiques, qui doivent être actualisés en permanence en nous détachant de l'urgence, pour adopter un regard adapté au temps long ; et d'autre part, le pilotage au quotidien du réseau et des relations internationales de défense, dans le cadre des dialogues stratégiques que nous menons.

Une dernière mission porte sur l'influence. Nous travaillons ici sous l'égide du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui a la responsabilité principale de la définition de notre stratégie d'influence.

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