Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du mardi 13 septembre 2022 à 15h00
Commission des affaires économiques

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique :

Merci, pour cette introduction tonique qui met chacun dans une bonne posture d'écoute !

Je vous remercie d'organiser cette audition sur les priorités de mon ministère en matière de politique énergétique, lesquelles rejoindront aussi les travaux que vous conduirez concernant la politique énergétique puisque, vous le savez, un débat relatif à la politique énergétique sera organisé à l'Assemblée nationale et au Sénat dans les prochaines semaines, en amont de l'examen du projet de loi « accélération des énergies renouvelables ».

Nous vivons un moment singulier, qui nous impose de revoir nos modes d'action en profondeur, avec une double temporalité : l'urgence de l'hiver prochain et notre objectif de neutralité carbone d'ici à 2050. Paradoxalement, c'est bien cet objectif qui revêt le plus grand caractère d'urgence. La politique énergétique est une vision stratégique de long terme. Vous l'avez d'ailleurs rappelé s'agissant du nucléaire, l'incidence des décisions se compte en dizaines d'années et l'enjeu est éminemment géopolitique – les événements en Ukraine et en Russie nous le rappellent quotidiennement. Nos décisions d'aujourd'hui conditionneront donc notre indépendance et notre souveraineté énergétique de demain. J'y reviendrai.

L'état de lieux est clair et, je crois, assez largement partagé. Le sixième rapport d'évaluation du Giec nous alerte quant à la nécessité d'engager des actions rapides et à grande échelle pour limiter le réchauffement climatique. Les scénarios qui prévoient de limiter le réchauffement à 1,5 degré impliquent que les émissions mondiales de gaz à effet de serre atteignent un pic au plus tard en 2025, avant de diminuer. Or 2025, c'est maintenant. L'été que nous venons de traverser a constitué une démonstration concrète du dérèglement climatique au travers des différents épisodes de canicule, d'incendies et d'assèchement de nos nappes phréatiques. Le réchauffement climatique n'est plus une abstraction pour un pays tempéré comme la France. Il est entré dans la vie quotidienne des Français, avec les conséquences que nous connaissons comme la fonte de nos glaciers, les épisodes de gel, de canicule et de pluies abondantes qui fragilisent notre agriculture ou, dans un autre registre, la disparition d'une partie de notre biodiversité. Ces phénomènes sont la conséquence de l'activité humaine. Nous vivons en même temps un bouleversement de l'ordre mondial : la guerre en Ukraine et ses conséquences géopolitiques ont perturbé les circuits d'approvisionnement des produits énergétiques fossiles, pétroliers et de gaz naturel. Avant la crise ukrainienne, la Russie fournissait environ 40 % du gaz européen, dont 17 % pour la France, et près de 50 % du diesel de l'Union européenne, dont 20 à 25 % pour la France. Cette crise a rappelé la dépendance de notre économie et de nos modes de vie aux énergies fossiles importées, de la même manière que la crise de la covid nous avait rappelé notre dépendance à des productions industrielles stratégiques et parfois à faible valeur ajoutée produites à plusieurs milliers de kilomètres de nos frontières. Les Français subissent directement les conséquences de cette situation sur leur pouvoir d'achat. L'augmentation des prix de l'énergie représente 60 % de l'inflation, en dépit du blocage des prix du gaz et de l'électricité et des mesures carburant que nous avons instaurées. Ce sont surtout les entreprises et les collectivités locales qui subissent, à différents degrés, ces augmentations. Le Gouvernement a pris des mesures massives pour limiter ces hausses. Notre priorité est de tout faire pour protéger les Français. Le coût des boucliers tarifaires et des mesures carburant se chiffre à plus de vingt milliards d'euros. Il est sans aucun équivalent en Europe, et plus largement dans le monde. Une récente étude économique fait de la France le pays dans lequel le bouclier énergétique a été mis en place le plus rapidement et avec l'effet le plus important pour les ménages – j'insiste sur ce point – et pour les très petites entreprises s'agissant de l'électricité.

Face à cette situation, la feuille de route d'action de mon ministère est claire et répond aux exigences de cette double temporalité. J'ai lancé, dès mon arrivée, plusieurs grands chantiers. Le premier est celui de la préparation de l'hiver et, plus largement, de l'aide pour notre pays à se passer des importations du gaz et du pétrole russes. Dans ce contexte incertain et imprévisible, notre responsabilité est d'anticiper tous les risques. Nous y travaillons depuis plusieurs mois, y compris avec un scénario du pire – car il existe. Je l'ai dit devant vous cet été lors de l'audition sur le projet de loi relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, nous sommes dans une course contre la montre que nous avons anticipée et préparée depuis plusieurs mois.

Nous avons sécurisé nos stocks stratégiques de gaz, en disposant de deux mois d'avance de remplissage. Nous avons également travaillé sur notre consommation d'énergie. L'objectif est de réduire cette consommation, en particulier de gaz. C'est pourquoi je me réjouis du vote des mesures de la loi « pouvoir d'achat ». Elles procurent des leviers essentiels à l'État pour sécuriser nos stocks d'énergie : outre le remplissage, la mise en place du régime d'effacement sur le réseau électrique, la réquisition de centrales à gaz, la prolongation de la centrale de Saint-Avold – qui n'est pas une bonne nouvelle de vue climatique, personne n'en disconvient, mais qui constitue un levier parmi d'autres de sécurisation de notre alimentation électrique et représente 1 % de notre production électrique –, et le démarrage du projet de terminal méthanier au port du Havre, pour lequel nous avions pris de mesure de sécurisation dont nous n'aurons pas à user finalement puisque les enquêtes environnementales ne témoignent pas de difficultés particulières.

Nous avons également engagé la diversification de nos approvisionnements, si bien que nous avons réduit la part d'importation de gaz russe de 17 % en 2020 à environ 7 à 9 %. Nous poursuivons ce travail. J'ai, en parallèle, pris des mesures réglementaires pour débloquer des projets d'énergies renouvelables rapidement mobilisables et qui représentent un potentiel de 6 à 7 gigawatts de projets « solaire » et 5 à 6 gigawatts de projets éoliens. J'ai fait de même avec le biogaz.

Le fonctionnement de notre parc nucléaire cet hiver sera également déterminant dans notre capacité à répondre aux possibles pics de consommation, liés au caractère aléatoire de la météo. Trente et un réacteurs nucléaires sur cinquante-deux sont à l'arrêt – ce nombre varie d'un jour sur l'autre, mais nous sommes dans cette épure –, à la fois en raison de maintenances programmées et, pour douze d'entre eux, pour des problématiques de corrosion sous contrainte. C'est pourquoi nous attendons d'EDF le respect de son calendrier de maintenance, lequel est communiqué publiquement conformément à la directive européenne qui exige que tous les producteurs soient transparents concernant les démarrages et les arrêts de leurs sites de production. Ce sera l'une des priorités de la nouvelle direction d'EDF que de s'assurer de la bonne tenue de ce calendrier et de la prise en compte des mesures d'amélioration des maintenances dans les mois qui viennent.

Le deuxième levier est celui de la sobriété énergétique, qui nous a conduits à un plan de sobriété annoncé par la Première ministre et le Président de la République avant l'été, avec pour objectif de réduire notre consommation d'énergie de 10 % d'ici à deux ans. C'est la première marche du plan de sobriété que nous devons appliquer pour atteindre notre neutralité carbone à horizon 2050. Il s'agit bien d'un plan structurel et non conjoncturel. Cette démarche a vocation à se poursuivre au-delà des deux années qui viennent, pour accompagner durablement le changement de nos habitudes de travail. Ce plan mobilise en premier lieu les grands acteurs, ceux qui ont la plus grande capacité à obtenir des résultats parce qu'ils ont des moyens, parce qu'ils gèrent des millions de mètres carrés de bâtiments et parce qu'ils sont à l'origine du déplacement de millions de personnes – soit dans le cadre professionnel, soit dans le cadre des trajets domicile-travail. Nous avons constitué neuf groupes de travail sectoriels, qui réunissent non seulement l'administration et l'État, qui devra être exemplaire en la matière, et nous sommes conscients qu'il y a beaucoup à faire, mais également l'ensemble des grandes entreprises et des secteurs, dans l'objectif de revoir structurellement sinon leur manière de chauffer, celle d'utiliser l'eau chaude sanitaire, de se déplacer et d'utiliser les véhicules de société – je ne vais pas entrer dans le détail. Ce plan de sobriété est construit par les acteurs sur le terrain et a vocation à remonter au niveau de l'État : ce n'est pas ce dernier qui fixera les températures de chauffage ou de l'eau chaude sanitaire. Des textes clairs existent déjà, mais certains éléments dépendent de l'organisation du travail de tous les jours de chaque entreprise et de chaque administration.

Enfin, je souhaite faire une mise au point au regard de ce que j'ai pu entendre ici et là : je ne dérogerai pas au principe de justice sociale. Il ne s'agit pas de demander aux douze millions de Français en situation de précarité énergétique, qui subissent déjà la sobriété au quotidien, de fournir des efforts de sobriété. C'est une question de justice sociale. L'une des premières mesures que j'ai prises visait d'ailleurs à instaurer un plan d'accompagnement des plus précaires, pour leur permettre de vivre dans des conditions dignes – notamment des conditions dignes de chauffage. Dans cette optique, nous avons mobilisé 150 millions d'euros d'équivalents C2E (certificats d'économie d'énergie) avant l'été, lesquels s'ajoutent aux autres mesures financières d'accompagnement : il s'agit donc de 150 millions de plus à destination des acteurs qui accompagnent les personnes en situation précaire.

J'ai également demandé aux énergéticiens de s'engager, en proposant en Français et aux entreprises des contrats qui valorisent leurs efforts de sobriété et offrent des contreparties à leurs efforts. Tarifs de pointe mobile, incitation à mieux piloter sa consommation à distance… : beaucoup peut être fait.

Par ailleurs, nous engageons les grandes transformations nécessaires pour accélérer la sortie des énergies fossiles et renforcer notre souveraineté énergétique. La production massive d'énergie décarbonée est déterminante pour notre souveraineté et pour notre indépendance énergétique. Elle est notre levier pour sortir de notre dépendance mortifère aux énergies fossiles. Nous devons être en mesure de produire 60 % d'électricité de plus qu'aujourd'hui pour atteindre la neutralité carbone en 2050 – je me fonde sur les scénarios RTE qui ont été publiés en 2021. Le rapport RTE indique que nous pouvons y parvenir en nous appuyant sur un mix décarboné et équilibré, reposant sur l'énergie nucléaire et le développement massif d'énergies renouvelables : c'est le choix écologique le plus pertinent, le choix économique le plus opportun et le choix financier le moins coûteux.

La transition commence dès aujourd'hui avec le développement massif des énergies renouvelables. Le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux pour notre production d'énergie solaire – multiplication par dix – et le développement de parcs éoliens marins d'ici à 2050. Ce développement s'inscrit dans une volonté d'associer les filières industrielles françaises existantes et d'en bâtir de nouvelles grâce au plan France 2030.

La France accuse un retard dans le déploiement des énergies renouvelables par rapport aux autres pays européens, non pas faute de projets, mais en raison de ses procédures administratives et contentieuses. Il faut en moyenne cinq ans de procédure pour construire un parc solaire qui nécessite quelques mois de travaux, sept ans pour un parc éolien et près de dix ans pour un parc éolien en mer – ce qui explique que la France n'en possède qu'un en fonctionnement. Comment l'accepter, à l'heure des crises climatique, géopolitique et énergétique ? Nos voisins ont pris le taureau par les cornes ; en Allemagne, le délai de procédure est passé de sept ans à sept mois pour l'éolien. Nous devons donc aller plus vite en levant les barrières réglementaires, sans renier nos exigences environnementales.

Nous devons aller plus vite et créer les conditions de l'acceptabilité locale de ces projets, qui sera déterminante dans leur réussite et dans le développement des suivants dans d'autres territoires. Nous devons le faire avec les territoires et non contre eux, en leur confiant à nouveau les leviers de la politique énergétique territoriale. Ce sera l'objet du projet de loi sur l'accélération du développement des énergies renouvelables, qui s'inscrit dans un plan pour les énergies renouvelables plus large, lequel comprend des leviers administratifs dans le fonctionnement courant de l'État – nous enverrons une circulaire aux préfets en ce sens –, pour accompagner les collectivités locales dans la cartographie des lieux les plus propices à l'installation d'énergies renouvelables et pour débloquer les projets au fur et à mesure. Un renforcement des équipes est également nécessaire pour l'instruction, au sein des Dreal (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement), comme vous avez été nombreux à nous le faire savoir. S'y ajoutent des mesures réglementaires, dont j'ai cité certaines, autour du biogaz, du photovoltaïque et de l'éolien terrestre.

Le projet de loi sur l'accélération du développement des énergies renouvelables, qui vous a été transmis cet été dans une version qui n'a pas encore été adressée au Conseil des ministres et qui sera appelée à être modifiée puisque nous tenons compte du retour des concertations diverses que nous organisons, répond à ces impératifs majeurs. C'est un texte en faveur de l'indépendance et de la souveraineté énergétique de notre nation, qui met en ligne avec nos objectifs de neutralité carbone. Aussi allons-nous le travailler dans un esprit de dialogue et de concertation. Pour cela, je compte sur vous – car j'en entends beaucoup, sur ces bancs, parler de souveraineté. J'en entends aussi beaucoup parler de la nécessité de faire face au réchauffement climatique. C'est donc l'occasion, pour chacun, de prendre ses responsabilités.

Dans les années 1970, la France a fait le choix historique et audacieux de développer un parc nucléaire qui concourt à notre indépendance énergétique, à la limitation des gaz à effet de serre et à l'attractivité de notre territoire. Nous sommes l'un des pays qui dispose d'un mix électrique le plus décarboné au monde et notre enjeu est d'avoir un mix énergétique – pour la partie chaleur et déplacements – à ce même niveau de décarbonation. Il ne s'agit pas d'opposer énergies renouvelables et nucléaire, mais de savoir comment se passer du carburant, du gaz, du charbon et de toute autre énergie fossile. Parallèlement à l'essor des énergies renouvelables, nous faisons donc le choix de réaffirmer la place centrale et stratégique de la technologie nucléaire pour réussir notre transition énergétique. À Belfort, le Président de la République a annoncé des investissements massifs dans notre parc nucléaire, avec le lancement de six EPR 2 et d'études pour la construction de 8 autres. Un milliard d'euros du plan France 2030 est également consacré au développement de petits réacteurs SMR (pour small modular reactor, petit réacteur modulaire), le plan de relance ayant déjà consacré une somme importante au nucléaire, identifié comme l'un des six secteurs prioritaires de notre politique industrielle. En outre, tous les réacteurs pouvant être prolongés dans des conditions de sécurité exigeantes le seront. Un projet de loi sur le nucléaire introduira des dispositions pour gagner du temps de procédure pour le lancement des chantiers. Il sera probablement présenté début 2023.

L'opération de montée à 100 % du capital d'EDF que nous envisageons s'inscrit dans notre stratégie de déploiement d'énergies décarbonées. Elle réaffirme notre engagement à soutenir l'entreprise dans la durée pour relever les défis de la transition énergétique, de la poursuite du déploiement des énergies renouvelables en France, du maintien du parc actuel et du prochain programme d'EPR 2. La stratégie française pour l'énergie et le climat donnera lieu à une concertation nationale. Ce débat public se déroulera d'octobre à janvier prochain dans chaque territoire et associera les citoyens, les associations, les élus et les entreprises. Ce moment démocratique important visera à ce que chaque citoyen s'approprie son avenir énergétique. Il aboutira à un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat qui vous sera soumis au second semestre 2023.

Le développement massif de nos énergies décarbonées et nucléaire doit être un moteur pour notre économie et nos emplois. C'est le troisième axe de ma feuille de route : développer une politique industrielle de l'énergie. Je ne reviens pas sur les politiques déjà engagées pour l'hydrogène, les giga factories de batteries électriques, les flotteurs éoliens ou encore le nouveau nucléaire. Il existe clairement des angles morts – je pense au photovoltaïque. Ces investissements doivent être portés dans le cadre de France 2030 et supposent de renforcer la compétitivité de nos territoires. C'est un sujet que nous devrons suivre avec beaucoup d'attention, puisque différents facteurs expliquent que des entreprises décident de construire en France plutôt qu'ailleurs.

Nous poursuivrons également la décarbonation du secteur industriel, car c'est à la fois un levier de compétitivité pour nos entreprises et un levier de pérennité dans la durée. Nous consacrons 7 milliards d'euros à cette stratégie.

Je suis convaincue que les décisions européennes extrêmement ambitieuses du paquet Climat Fit for 55 adopté sous présidence française de l'Union européenne et grâce à l'impulsion du Président de la République, amorce les grandes transformations nécessaires pour préparer l'ensemble de notre modèle économique. Je ne reviendrai pas sur les enjeux de composants critiques et de métaux critiques, que vous connaissez. Il s'agira aussi de ne pas créer de nouvelles dépendances après être sorti des dépendances fossiles.

Quatrième aspect de ma feuille de route : notre action en plan diplomatique aux niveaux européen et international. Ce sera un enjeu de la COP27 à Charm el-Cheikh. Même si elle ne se tiendra pas dans les conditions d'enthousiasme qu'on aurait pu souhaiter, il conviendra d'être au rendez-vous pour créer les alliances qui permettront de continuer ce combat pour la lutte contre le réchauffement climatique. Je défends la position française au Conseil des ministres de l'énergie à Bruxelles. Cela a été le cas vendredi dernier, avec plusieurs mentions quant à notre façon de limiter la spéculation sur le marché de l'électricité et du gaz, de plafonner le prix du gaz, d'instaurer une contribution sur les profits inframarginaux – l'écart entre les prix du marché et les coûts de production d'un certain nombre d'énergéticiens – et de réformer à plus long terme le marché de l'électricité. Beaucoup, dans cette commission, soutiennent cette démarche, pour laquelle nous commençons à avoir un soutien plus large au niveau européen.

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