Intervention de Tematai Le Gayic

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2023 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2024 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaTematai Le Gayic, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Ia ora na – bonjour à tous. Chers collègues, puisque nous allons aborder les aspects techniques du budget de la mission "Outre-mer" lors de la discussion des amendements, permettez-moi de centrer mon intervention liminaire sur les enjeux politiques de ce budget.

La première fois que l'administration française s'est organisée pour gérer ses possessions coloniales, c'était en 1710, avec la création du Bureau des colonies. Ni la Polynésie, ni Kanaky – la Nouvelle-Calédonie –, ni Uvea et Futuna, ni Mayotte, ni même la Corse n'étaient alors françaises. Durant deux siècles, les colonies furent vouées à la monoculture sous le joug de l'esclavage ou simplement considérées comme des positions géopolitiques importantes pour la France.

Le premier ministère des colonies de plein exercice a été créé en 1894, non pas dans un geste de considération à l'égard des peuples des colonies, mais pour relancer l'empire colonial français fortement diminué après le traité de Paris de 1763 et les guerres napoléoniennes, notamment après la victorieuse révolution haïtienne achevée en 1804. Sous la IIIe République, les colonies étaient considérées comme les joyaux de la couronne française, des possessions géopolitiques disséminées à travers le monde – cette France où le soleil ne se couche jamais.

Sous le gouvernement provisoire de la République française et la IVe République, l'État français rebaptise le ministère : finies les colonies et vive la France d'outre-mer ! Pendant la seconde guerre mondiale, les sujets coloniaux avaient largement participé à l'armée de la France libre – dont la capitale avait été Brazzaville, puis Alger. Après la guerre, soucieux de maintenir sa présence dans tous les océans et sur tous les continents, l'État s'engage dans plusieurs guerres contre les mouvements d'indépendance et de souveraineté et impose ses essais nucléaires en Algérie, puis à Mâ'ohi Nui – la Polynésie.

Bien que très court, ce rappel historique était nécessaire pour comprendre la situation actuelle : mal-logement, dépossession des terres, génocide culturel, extrême dépendance économique à l'égard des flux financiers de l'État, monopoles économiques imposés par le système capitaliste ou encore enrôlement de la jeunesse dans l'armée, en raison d'une adaptation défaillante du système éducatif aux sociétés des territoires d'outre-mer. Rappelons qu'en Polynésie, le service militaire adapté (SMA) est proposé aux jeunes dans le cadre de conventions avec les collèges et les lycées. Il est difficile de comprendre pourquoi le service militaire prend la place de l'État pour remédier aux défaillances de l'école dans l'enseignement des savoirs fondamentaux !

Sur la précarité, l'Insee est explicite : « La grande pauvreté est cinq à quinze fois plus fréquente dans les départements d'outre-mer (DOM) qu'en France métropolitaine. » Quant à la Cour des comptes, elle a publié en avril 2023 une analyse de l'exécution budgétaire 2022 de la mission "Outre-mer" afin de « permettre au Parlement d'encadrer de façon efficace l'ensemble des engagements contractés par les gestionnaires au nom de l'État » dans le cadre des lois de finances – j'espère que nous pourrons voter ce soir les crédits de l'outre-mer. La Cour y épingle le Gouvernement au sujet de la « surconsommation importante des crédits qui témoigne d'une difficulté d'expression précise des besoins et d'une exécution insuffisamment maîtrisée ». Dans sa communication de mars 2022 à la commission des finances du Sénat sur les financements de l'État en outre-mer, la Cour estime que « l'exécution et la présentation des dépenses de l'État en faveur des outre-mer constitue aussi le révélateur des imperfections et des faiblesses de la politique menée par l'État en faveur des outre-mer ».

Si l'on en croit les députés des pays et territoires d'outre-mer (Ptom) présents cet après-midi, les nombreux amendements dont a fait l'objet le budget de la mission et le vote de la commission des finances le 24 octobre, les chiffres présentés cette année, quel que soit leur nombre de zéros, ne se matérialisent pas dans la vie quotidienne des peuples de nos territoires.

Pointer les faiblesses de ce budget ne m'empêche cependant pas de saluer les financements engagés en faveur des dispositifs d'allègement et d'exonération des cotisations sociales, de la qualification professionnelle, du logement social, de l'accompagnement des collectivités ou encore des dispositifs d'aide à la mobilité.

Néanmoins, prenons exemple sur Toussaint Louverture plutôt que sur Saint-Nicolas et affranchissons-nous de notre dépendance à la métropole, plutôt que d'être gavés au point de frôler la servitude de l'addiction. Heureusement, l'addiction des pays et territoires d'outre-mer à la métropole est interdite depuis la loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer. Nous pouvons en remercier le sénateur Victorin Lurel, ancien député et ancien ministre.

Monsieur le ministre délégué chargé des outre-mer, ce n'est pas à vous personnellement que ces mots sont adressés, mais à l'appareil d'État qui a traversé les empires et les républiques dont vous êtes aujourd'hui l'héritier, tout comme nous sommes les héritiers de ces sujets coloniaux dont l'histoire ne doit pas être oubliée au moment d'examiner le projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

Comme le dit si bien mon père : « Pour connaître les priorités d'un gouvernement, il faut regarder son budget ! » Faites mentir la Cour des comptes et l'Insee, monsieur le ministre délégué : levez le gage sur nos amendements, soyez le défenseur des outre-mer au sein du Gouvernement, et non le père Noël du Gouvernement dans nos outre-mer, et votons ensemble un budget à la hauteur des défis conjoncturels et structurels des pays dits d'outre-mer ! Mauruuru maitai – merci beaucoup !

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