Intervention de Delphine Batho

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure (Ecolo–NUPES) :

Merci Monsieur le Président d'avoir permis l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de résolution dans un délai compatible avec la discussion en cours au niveau européen. Je voudrais remercier aussi tous les collègues de différents groupes qui se sont associés au dépôt de cette proposition de résolution.

Chers collègues, l'Union européenne doit se prononcer de façon imminente sur une nouvelle autorisation du glyphosate. Chacune et chacun se souvient des conditions dans lesquelles la France avait, à juste titre, voté contre le renouvellement de l'autorisation de cette substance en 2017.

Ce contexte était celui d'un doute sérieux et de vives inquiétudes sur le plan scientifique concernant les conséquences du glyphosate pour la santé humaine. Le Centre international de recherche sur le cancer, organisme de recherche fondé par le Général de Gaulle et référence internationale incontestée en matière de substance cancérogène, avait classé le glyphosate en mars 2015 comme cancérogène probable, qualification qui n'avait pas été retenue ni reconnue par l'Autorité européenne de sécurité des aliments, dite EFSA, et l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

Il y avait par ailleurs un problème démocratique évident, lié à la découverte des « Monsanto Papers » sur les stratégies d'influence de la firme concernée, rachetée en 2017 par Bayer, et la découverte que des pans entiers du rapport d'évaluation du BfR, organisme de recherche allemand travaillant pour le compte de l'EFSA, n'étaient autre que des copiés-collés des rapports de Monsanto.

Cette situation, et notamment la divergence entre les instituts scientifiques académiques et les agences européennes, aurait dû alimenter un débat démocratique légitime et approfondi, et déboucher sur une refonte profonde de la procédure d'évaluation des pesticides. Il n'en a rien été. Les recommandations de notre Assemblée, au travers du rapport remarquable de l'OPESCT de mai 2019 de nos collègues Philippe Bolo et Anne Genetet, n'ont pas entraîné de refonte du système.

Le débat sur l'autorisation de la substance glyphosate revient aujourd'hui dans des conditions qui sont en bien des points comparables à celles de 2017.

Il y a néanmoins des éléments nouveaux sur le plan scientifique.

En ce qui concerne les conséquences du glyphosate pour la santé humaine, le rapport de l'INSERM de juin 2021, qui fait autorité sur le sujet des impacts des pesticides sur la santé humaine, a confirmé les inquiétudes.

Le niveau de présomption d'un lien entre le glyphosate et un certain type de cancer, le lymphome non hodgkinien, pour les expositions professionnelles, a été relevé de « faible » à « moyen », l'INSERM parlant d'une « association significative ».

L'INSERM a aussi mis en évidence des dommages génotoxiques, l'induction d'un stress oxydant (qui participe aux pathologies neurodégénératives) et des propriétés de perturbation endocrinienne. Le fait que la polémique se centre sur le caractère cancérogène du glyphosate ne doit pas occulter d'autres effets sanitaires importants, dont la perturbation endocrinienne, une toxicité mitochondriale, un mode d'action épigénétique du glyphosate observé dans cinq études, des effets sur le microbiote, sur la base d'études dont l'EFSA n'a pas tenu compte et des effets neurotoxiques, qui ont été confirmés par une récente étude aux Etats-Unis

Par ailleurs, comme vous le savez, le Fonds d'indemnisation des victimes des pesticides (FIVP) a reconnu il y a un an un possible lien de causalité entre les malformations de Théo Grataloup et l'utilisation du glyphosate par sa mère lorsqu'elle était enceinte.

D'autre part, alors qu'en 2017 le débat portait seulement sur les conséquences sur la santé, les effets désastreux du glyphosate pour la biodiversité sont désormais au centre de l'attention.

L'élimination de la flore par le glyphosate, qui est un herbicide, a des conséquences directes sur les insectes et est donc l'une des causes de l'effondrement des populations d'insectes supposées. Sont aussi relevés un risque élevé pour les petits mammifères herbivores reconnus par l'EFSA elle-même, une toxicité chronique pour les espèces aquatiques et la contamination généralisée des masses d'eau. Le glyphosate entraîne aussi une pollution massive des sols, avec des effets négatifs sur les vers de terre, dont vous savez que la présence augmente de 25 à 30 % la productivité végétale par le rôle qu'ils jouent dans la décomposition de la matière organique et la fertilité des sols. Enfin, un risque pour les pollinisateurs est souligné par les études.

Sur une base scientifique, toutes les raisons de voter contre le renouvellement du glyphosate sont donc confirmées.

Sur le plan économique, le coût des bénéfices de son utilisation est inférieur aux coûts de ses conséquences qui sont de 2,3 milliards d'euros par an. Les alternatives agronomiques en termes de pratiques agricoles existent, même si elles nécessitent un très fort accompagnement des agricultrices et des agriculteurs.

Sur le plan juridique enfin, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 janvier 2023 concernant les néonicotinoïdes a une portée plus générale et souligne que la protection de la santé et de la biodiversité doit primer dans les décisions sur la productivité végétale.

La proposition de résolution que j'ai l'honneur de vous présenter, salue le vote de la France en 2017 et invite le Gouvernement à renouveler son opposition à l'autorisation du glyphosate.

La proposition de la Commission européenne actuellement en débat n'est en effet pas acceptable.

Elle propose une nouvelle homologation pour une durée de dix ans, et donc pour une période allant bien au-delà de l'objectif 2030 de diminution importante des pesticides dans l'Union européenne et ce pour tous les usages agricoles.

La proposition de la Commission européenne repose sur une évaluation de l'EFSA dont les bases n'ont pas été fondamentalement modifiées. L'agence estime elle-même que les données prises en compte sont lacunaires en ce qui concerne la biodiversité, mais aussi concernant des effets sur la santé humaine et notamment le microbiote intestinal ou des effets neurotoxiques.

Enfin, la proposition de la Commission européenne renvoie aux États membres, et donc à l'aval, le soin de prendre en compte ces préoccupations scientifiques dans la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits à base de glyphosate. Autrement dit cette proposition prévoit une régulation à la carte, selon les États membres, ce dont nous ne voulons pas.

Il ne s'agit pas de refaire le débat de 2018 sur l'interdiction ou non de la substance en France mais bien de débattre de la décision qui doit être prise de façon harmonisée à l'échelle européenne.

Le 13 octobre dernier, lors de la réunion du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l'alimentation animale (SCoPAFF), aucune majorité qualifiée (au moins quinze pays représentant 65 % de la population de l'UE) n'a été trouvée autour de la proposition de la Commission européenne. Neuf États membres ont voté contre ou se sont abstenus, notamment la France et l'Allemagne. On se souvient que c'est l'Allemagne qui en 2017 avait fait basculer la décision en faveur de la ré-autorisation. Un comité d'appel est convoqué pour le 16 novembre.

C'est dans ce contexte que la résolution qui vous est présentée invite la France à voter contre le renouvellement de l'autorisation du glyphosate et à se mobiliser, afin que le glyphosate soit interdit dans toute l'Union européenne et qu'un plan de sortie soit mis en œuvre.

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