Intervention de Thomas Ménagé

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Ménagé, rapporteur :

Ces auditions successives nous ont permis de mettre en perspective des polémiques récurrentes liées aux accords de libre-échange et le regard des spécialistes du sujet.

D'emblée, je veux indiquer que le champ du rapport était trop étendu : chaque thématique aurait pu faire l'objet d'un rapport à part entière. Notre expérience nous invite à être collectivement vigilants lorsque nous déciderons de l'intitulé des rapports futurs afin de pouvoir fournir des travaux de qualité. Une autre difficulté à laquelle nous avons été confrontés a été que de nombreux accords majeurs ont été conclus ces dernières années, qui furent en outre des années marquées par l'épidémie de Covid-19 qui a conduit à une restriction drastique des échanges. Il était donc peut-être un peu tôt pour réaliser un tel bilan car nous manquions de recul. De plus, j'ai été frappé de la difficulté à obtenir des chiffres précis sur les échanges résultants des accords en vigueur. Un certain nombre de nos interlocuteurs ont partagé ce constat de l'existence de zones d'ombre, de l'absence de monitoring, qui ne nous permettent pas d'appréhender de façon précise l'impact de ces accords.

Pour autant, sur un plan strictement commercial, l'examen des données statistiques est, à mes yeux, accablant. Sur ce point, nous ne partageons pas nos constats avec ma co-rapporteure. Alors que l'objectif premier des accords de libre-échange conclus par l'Union européenne est de conduire à une hausse des échanges, pour la France, on peut constater en prenant connaissance des graphiques en annexe de ce rapport qu'il n'en est rien. Selon moi, les très rares cas où il existe des hausses consécutives à la conclusion des différents accords de libre-échange ne sont souvent que le reflet de dynamiques préexistantes. Pire, quand on regarde en détail ces rares hausses, la France n'est jamais le pays qui en bénéficie. Dans de nombreux cas, la balance commerciale semble même se détériorer a posteriori des accords. Mais une fois encore, il nous manque énormément de recul pour l'affirmer de manière indiscutable.

En matière de pouvoir d'achat, les avantages supposés de la hausse du commerce international ne sont pas non plus évidents. Une de nos interlocutrices, qui est représentante au niveau européen des associations de consommateurs, nous a indiqué qu'il n'y avait, selon elle, pas d'effets prouvés des accords de libre-échange sur la baisse des prix.

Il serait faux de dire que personne ne tire profit de ces accords. Mais, comme souvent au sein de l'Union européenne, certains en tirent profit plus que d'autres, voire au détriment des autres. Il n'y a qu'à regarder les balances commerciales des différents États membres pour s'en convaincre, tout particulièrement celle de l'Allemagne. De même, je reconnais que certains secteurs voient leur activité dopée par les accords de libre-échange, notamment ceux qui produisent des denrées auxquels de tels accords permettent de bénéficier d'indications d'origine protégée à travers le monde. Toutefois, les accords contribuent, selon moi, davantage à mettre en difficulté certains de nos producteurs qu'à en soutenir. Je pense notamment aux agriculteurs, et en particulier aux éleveurs, qui sont confrontés à un empilement d'accords qui ne cesse de les fragiliser alors qu'ils n'en ont pas vraiment besoin compte tenu du contexte.

Les critiques que l'on peut adresser aux accords de libre-échange ne s'arrêtent malheureusement pas là. On nous présentait communément ces accords comme la panacée, mais force est de constater qu'ils présentent de nombreux défauts. Par exemple, il faudra m'expliquer comment on peut sérieusement lutter contre le dérèglement climatique et, en même temps, accroître les échanges avec des pays aussi lointains que le Canada ou la Nouvelle-Zélande. Dans la continuité, je ne comprends toujours pas comment il est possible de concilier la position du gouvernement qui est favorable au Mercosur, et la position des 86 membres du groupe Renaissance qui ont voté la proposition de résolution de l'Assemblée nationale relative à cet accord, dont le contenu invite pourtant le gouvernement à exprimer l'opposition de la France à sa ratification en l'état auprès de la Commission européenne.

On nous a également rapporté qu'en amont de la négociation de certains accords de libre-échange, la Commission européenne avait eu recours à des cabinets de conseils privés qui se refuseraient à être trop critiques de peur de ne pas être sollicités à nouveau par la Commission. Les constats sont donc souvent faussés dès l'origine.

En matière d'aveux chocs, je pourrais également vous citer les propos de notre ministre du commerce extérieur qui a reconnu qu'il était aujourd'hui impossible de contrôler l'ensemble des produits importés. Or, je tiens à rappeler que l'Union européenne commerce essentiellement, si ce n'est exclusivement, avec des pays moins exigeants qu'elle sur le plan normatif. Je tiens à vous rappeler, par exemple, l'existence d'un accord de libre-échange avec le Vietnam, pays dans lequel l'emploi des enfants est encore monnaie courante, ou encore d'un accord avec la Colombie, pays dans lequel des centaines de syndicalistes sont assassinés. Je pourrais aussi évoquer les carences démocratiques lors du processus de négociation, mais j'en viens maintenant aux recommandations.

Je suis heureux que nous soyons parvenus à formuler avec ma collègue des recommandations communes malgré l'opposition ferme de nos groupes politiques respectifs sur cette question. En dépit de mon opposition personnelle générale sur ces accords de libre-échange, ces recommandations sont pour moi une manière de limiter leur impact négatif en cas de ratification future. Parmi celles-ci, je peux vous citer la volonté de conditionner la ratification des accords de libre-échange à celle des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de l'accord de Paris sur le climat par le pays ou la région cocontractant. Je peux également vous citer la volonté de définir des modalités de calcul du bilan carbone des accords de libre-échange, celle d'imposer des clauses de revoyure qui devront être enclenchées sous peine de suspension de l'accord ou encore celle d'impliquer davantage les parlements nationaux. En particulier, une mesure vous concerne toutes et tous, chers collègues : la recommandation visant à permettre aux députés et sénateurs français membres des commissions des affaires européennes de bénéficier d'un égal accès à l'information relative à la politique commerciale menée par l'Union à celui dont bénéficient les eurodéputés, notamment en période de négociation.

Je regrette toutefois que certaines recommandations soient restées non partagées. Je pense notamment à l'interdiction du transport d'animaux vivants dans les accords de libre-échange. Je pense que l'on aurait pu trouver un consensus sur ce point. Néanmoins, je suis heureux de voir que ma collègue a fait le choix hier de rejoindre trois autres recommandations que je défendais. Je pense notamment à celle visant à attribuer à une autorité indépendante, comme la Cour des comptes européenne, la conduite des études d'impact ex ante ou ex post, ou encore celle visant à instaurer un « carbone score » aux produits importés pour mieux informer les consommateurs.

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