Intervention de Delphine Batho

Séance en hémicycle du mardi 14 novembre 2023 à 15h00
Lutte contre l'inflation concernant les produits de grande consommation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

Ce doit être un moment difficile pour les collègues de la majorité de constater que chaque fois qu'il faudrait réguler, encadrer, réglementer, les tenants du laisser-faire s'y opposent et finissent par avoir gain de cause.

Interrogée à la radio fin octobre sur ce projet de loi, la ministre déléguée Olivia Grégoire ne dénonçait-elle pas les acteurs industriels qui, selon ses propres mots, « ne jouent pas le jeu » alors qu'ils promettaient que les prix baisseraient grâce aux négociations commerciales elles-mêmes ? Après les avoir entendus et fait ce qu'ils demandaient, elle appelait de leur part, et non sans agacement, « un peu de cohérence », constatant que le compte n'y était pas. Les prix des matières premières agricoles ont en effet baissé de 7 % en moyenne, tandis que les prix des produits alimentaires ont continué de progresser de 7 % cette année – hausse qui s'élève à 18 % depuis 2022.

Nul ne peut reprocher au Gouvernement d'avoir, dans un premier temps, cherché à dialoguer avec les acteurs économiques. En effet, l'économie ne se manie pas par la brutalité, sans discuter. Mais elle ne fonctionne pas non plus par le seul miracle de la courtoisie et de discussions de salon entre gens de bonne compagnie. Elle est affaire de rapports de force qui, au nom de l'intérêt général, appellent des règles et de la régulation.

Ce projet de loi est ainsi le symbole d'une politique infantile qui se contente de demander aux acteurs industriels de faire un geste pour que les Français puissent manger à leur faim. C'est l'échec d'une méthode face à des oligopoles puissants – méthode qui consiste à fermer les yeux sur la profitation, fait pourtant reconnu par la Banque centrale européenne depuis le printemps dernier. Cette dernière souligne en effet que certaines entreprises ont augmenté leurs marges au-delà de ce qui était nécessaire pour absorber la hausse des coûts, les deux tiers de l'inflation actuelle étant, dit la BCE, dus au comportement d'entreprises qui ont augmenté leurs prix.

La profitation est également reconnue par l'Autorité de la concurrence, qui assure disposer d'« un certain nombre d'indices très clairs et même plus que des indices, des faits, qui montrent que la persistance de l'inflation est en partie due aux profits excessifs des entreprises qui profitent de la situation actuelle pour maintenir des prix élevés ».

Cependant, elle ne l'est pas par le Gouvernement, et ce malgré le niveau historique des marges de l'industrie agroalimentaire, qui se sont élevées à 48,5 % au deuxième trimestre 2023 ; malgré la hausse de 16 % des incidents de paiement recensés par la Banque de France ; malgré 9 millions de personnes en situation de privation matérielle et sociale et l'explosion de la pauvreté ; malgré le recul des salaires réels sur sept trimestres consécutifs depuis 2021.

Votre faute politique est de croire naïvement à la force des engagements volontaires, là où s'impose la nécessité de la loi pour imposer la transparence, le plafonnement et l'encadrement des marges. Même de simples engagements, il n'en est plus question, puisque la promesse faite par le Président de la République le 24 septembre d'un « accord sur la modération des marges » a disparu des écrans radar. Il en va de même de la liste des 5 000 produits à prix bloqués ou réduits annoncée par Bruno Le Maire à la télévision le 31 août : cette liste est introuvable, au point qu'on en vient à se demander si elle n'est pas fictive.

Chers collègues, avec ce projet de loi, le Gouvernement continue de se contenter d'un service minimum contre la vie chère.

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