Intervention de Jean-Pierre Cubertafon

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Cubertafon, rapporteur pour avis :

À compter de la fin de cette année, les premières des 238 nouvelles brigades de gendarmerie annoncées par le Président de la République seront installées. Parmi ces brigades, quatre-vingt-quinze sont des brigades fixes et 144 sont des brigades mobiles. Elles représentent un effectif de 2 144 gendarmes supplémentaires en France d'ici 2027. En outre, sept nouveaux escadrons de gendarmerie mobile seront déployés sur la même période. Ces créations comptent parmi les principales mesures de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), qui consacre à la mission Sécurités un effort budgétaire sans précédent de 15 milliards d'euros sur cinq ans.

Il fut un temps où, en France, on fermait des brigades. De 2007 à 2016, près de 500 brigades ont été fermées. Ce temps n'est plus. La population vivant dans les zones de compétence de la gendarmerie nationale n'ayant cessé de croître depuis 2015, votre rapporteur salue ce mouvement de fond, qui concrétise les promesses de la Lopmi.

Globalement, le rapporteur des crédits du programme 152 Gendarmerie nationale de la mission Sécurités que je suis est un rapporteur plutôt heureux, compte tenu de leur montant. Je ne suis pas, toutefois, un rapporteur béat, et j'ai sur ce budget plusieurs points de vigilance.

La mission Sécurités, qui relève du ministère de l'intérieur, comporte quatre programmes. Dans le budget 2024, les crédits de la gendarmerie nationale représentent 39 % des moyens de la mission. Ils s'élèvent à 10,87 milliards en autorisations d'engagement et à 10,39 milliards en crédits de paiement. Ils sont en hausse de 500 millions en autorisations d'engagement par rapport à la loi de finances pour 2023.

Le programme 152 prévoit 4,92 milliards de crédits de titre II (T2) hors compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, soit 292,4 millions de plus que la loi de finances pour 2023. Ces crédits permettront notamment de financer le schéma d'emploi de 1 045 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, la montée en puissance de la réserve opérationnelle et citoyenne de la gendarmerie nationale (ROGN), la revalorisation du point d'indice de la fonction publique, le protocole social adossé à la Lopmi et diverses mesures interministérielles, dont la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM).

La modernisation et le renouvellement des moyens mobiles de la gendarmerie nationale se poursuivront. En 2024, elle accueillera les dernières livraisons de véhicules d'intervention polyvalents de la gendarmerie (VIPG) Centaure, ce colosse de quatorze tonnes et 300 chevaux. Cinquante-huit des quatre-vingt-dix véhicules prévus par la loi de finances pour 2022 seront livrés, ce qui augmentera de trente unités le parc de véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG). Par ailleurs, dans le cadre d'un marché conclu avec Airbus, la gendarmerie procédera, d'ici la fin de l'année, au renouvellement de ses flottes d'hélicoptères.

En 2024, la gendarmerie densifiera encore davantage son maillage territorial, dans le cadre du passage d'une logique de guichet à une logique de pas-de-porte, afin d'aller vers la population. À cet effet, l'Agence du numérique des forces de sécurité intérieure (ANFSI), qui a vu le jour en septembre 2023, bénéficiera en 2024 d'un abondement d'effectifs significatif pour atteindre, à terme, 528 ETP.

Le Parcours Victimes sera rénové afin de proposer un accueil adapté aux besoins de la victime et un suivi dans la durée. L'application grand public Ma Sécurité et la Plateforme numérique et d'accompagnement des victimes (PNAV) s'intégreront pleinement à ce dispositif. Par ailleurs, la procédure pénale numérique (PPN) permettra, à terme, la prise en charge de tout usager par le biais d'une procédure dématérialisée. La plainte en ligne et la visio-plainte, en cours d'expérimentation, devraient être intégrées à cette démarche.

La gendarmerie nationale poursuit l'effort de transformation et de modernisation des outils de travail du quotidien des gendarmes, en continuant à déployer des ordinateurs portables Ubiquity et des téléphones NEO 2, ainsi que des appareils NEO de prise instantanée d'empreintes digitales. Le déploiement de solutions d'accueil en mobilité sur les points de concentration des populations, tels que les « Gend Drive » et les points d'accueil dans les centres commerciaux et en mairie, ainsi que dans les territoires les plus reculés, tels que les « Gend Truck » des brigades mobiles, permettra à la gendarmerie de renforcer significativement sa présence dans les territoires, dans une logique de proximité.

En 2024, la gendarmerie nationale consolidera sa présence dans les nouveaux champs de la délinquance, notamment celui de la violence contre les élus. Elle assure la mise en œuvre du plan « Présent pour les élus » (PPE) et poursuit son action par le biais de dispositifs innovants, tels que l'application mobile « GEND'ÉLUS » et le dispositif « MAIRES » visant à guider l'analyse des situations et à développer les bons réflexes pour éviter les agressions.

Concernant la lutte contre les violences intrafamiliales et contre les violences à caractère sexuel et sexiste, la gendarmerie poursuivra la montée en charge du dispositif de prévention, grâce aux quatre-vingt-dix-neuf Maisons de protection des familles (MPF) et à la création, dans certains groupements de gendarmerie départementale (GGD), de cellules d'enquêteurs dédiées à la prise en charge des victimes de violences.

En matière de protection de l'environnement et de la santé, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) connaît une montée en puissance caractérisée par l'augmentation de ses effectifs et par la création de la division nationale de lutte contre la maltraitance animale (DNLMA) en 2023.

Dans ce tableau en apparence réjouissant, les indicateurs ne sont pas tous au beau fixe. Plusieurs points de vigilance subsistent.

Les mesures d'augmentation générales dites « Guérini » induiront en 2024, pour la gendarmerie, un surcoût non budgété dans la LOPMI de 120 millions d'euros en année pleine. Il s'agit notamment de la revalorisation du point d'indice de 1,5 % au 1er juillet 2023, de l'attribution de cinq points d'indice supplémentaires à tous les agents au 1er janvier 2024 et de mesures spécifiques « bas de grille » consistant à attribuer d'un à neuf points d'indice supplémentaires aux rémunérations les plus basses.

Ce surcoût s'ajoute à celui des mesures d'augmentation générale prises l'an dernier, qui s'élève à 170 millions, soit un total de 290 millions sur deux ans. Sachant que l'inflation induit un surcoût d'environ 100 millions, le budget hors T2 de la gendarmerie nationale pour 2024 présente un surcoût non budgété en LOPMI de près de 400 millions. Il est donc en baisse de 69 millions.

Sachant que les dépenses de fonctionnement de la gendarmerie sont fortement contraintes, en raison notamment du poids des loyers et de l'énergie, l'investissement subira les frais de ce trou d'air. Le budget d'équipement sera également en baisse, ce qui risque de pénaliser la fonction habillement. Les dépenses en faveur des systèmes d'information et de communication de la gendarmerie (SICG) diminueront aussi, ce qui risque de pénaliser l'innovation numérique.

Surtout, la politique immobilière de la gendarmerie sera pénalisée. Aucun projet ne sera lancé, à l'exception de quelques marchés de partenariat. Or l'entretien des casernes domaniales n'est pas à la hauteur. L'investissement nécessaire est estimé à 300 millions par an. Quant au renouvellement de la flotte de véhicules légers, il sera limité à 500 véhicules, alors qu'il est nécessaire de renouveler environ 3 700 véhicules par an pour maintenir le parc en bon état.

Compte tenu de ces points de vigilance, j'ai déposé un amendement visant à renforcer significativement le budget d'investissement de la gendarmerie nationale.

J'en viens à la partie thématique de mon rapport, consacrée à la gendarmerie en Guyane, plus précisément aux moyens matériels et humains dédiés par la gendarmerie à la lutte contre l'orpaillage illégal.

Être gendarme en Guyane, c'est exercer son métier aux confins de la France, dans un département immense, grand comme la région Nouvelle-Aquitaine, couvert à 95 % de forêt équatoriale, au cœur du continent sud-américain. Certaines brigades isolées, les unités dites du fleuve, ne comptent que deux gendarmes. Leur ravitaillement arrive par pirogue, depuis Saint-Laurent-du-Maroni, d'où la durée du trajet se compte en jours.

Être gendarme en Guyane, c'est exercer des missions intenses et éprouvantes sur le plan opérationnel. Le taux de circulation des armes à feu y est très élevé. Le taux d'homicides rapportés à la population y est vingt-et-une fois supérieur à celui observé dans l'Hexagone.

Être gendarme en Guyane, c'est participer, de près ou de loin, à l'opération Harpie de lutte contre l'orpaillage illégal, lequel est un fléau aux conséquences désastreuses pour l'environnement et la santé des habitants du Plateau des Guyanes. Dans une région aux frontières poreuses avec le Brésil et le Surinam, les orpailleurs illégaux essaiment. D'après les estimations, près de 7 000 d'entre eux sont actifs dans la forêt guyanaise.

La traque des orpailleurs, appelés garimpeiros en brésilien, ainsi que le démantèlement et la saisie des sites illégaux, repose sur une coordination exemplaire entre les Forces armées en Guyane (FAG) et la gendarmerie nationale. Chaque jour, près de 300 militaires sont déployés en forêt, parmi lesquels 240 militaires des FAG et soixante militaires de la gendarmerie nationale.

J'ai beaucoup d'admiration pour les personnels de la gendarmerie et des FAG, que j'ai eu la chance de rencontrer lors de mon déplacement en septembre. J'ai notamment rencontré le général de brigade Jean-Christophe Sintive, commandant de la gendarmerie de Guyane, et le général de brigade aérienne Marc Le Bouil, commandant supérieur des forces armées en Guyane (FAG).

Dans la forêt guyanaise, les militaires français se heurtent à une violence croissante, car les bandes armées brésiliennes prennent peu à peu le contrôle des orpailleurs illégaux. Je rends hommage au major Arnaud Blanc, militaire du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), décédé le 25 mars dernier au camp de Dorlin, dans l'exercice de ses fonctions, sous le feu d'une bande armée brésilienne. J'ai une pensée pour sa famille.

La mission Harpie produit des résultats tangibles et permet de porter un réel préjudice à l'orpaillage illégal. L'anéantir totalement est une chimère ; l'endiguer est un vœu réaliste, que concrétise la mission Harpie. Dans mon rapport, je formule plusieurs propositions visant à renforcer les moyens matériels et humains consacrés à cette mission et plus largement à la gendarmerie de Guyane. J'appelle notamment de mes vœux le retour pérenne d'un septième escadron de gendarmerie mobile en Guyane et la sanctuarisation des effectifs de la « Task force » judiciaire rattachée à la section de recherche (SR) de Guyane.

Pour terminer mon propos, je remercie les personnels de la gendarmerie que j'ai rencontrés lors de mon déplacement en Guyane et les personnels de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) que j'ai auditionnés à mon retour. Cohésion, solidarité, courage, justice, engagement : telles sont les valeurs de nos gendarmes.

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