Intervention de Robert Pierre Cecchetti

Réunion du mardi 24 octobre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Robert Pierre Cecchetti, président de la commission technique de l'ANPP :

Au nom de l'ANPP, je tiens à vous remercier pour cette audition. Nous suivons avec intérêt les travaux de votre commission depuis son lancement, et nous sommes satisfaits de pouvoir échanger avec vous sur les réalités et les contraintes de notre production.

Mon propos liminaire sera centré sur la pomme. La France compte 42 000 hectares de vergers de pommiers, pour un potentiel de production de 1,7 million de tonnes. Or, la production moyenne, depuis cinq ans, s'établit à 1,455 million de tonnes. Au cours de cette période, le potentiel n'a donc jamais été atteint. Les aléas climatiques, l'apparition de nouveaux ravageurs, le retour d'anciens ravageurs et la diminution du nombre de solutions phytosanitaires expliquent cet état de fait. Sur la même période, en effet, les surfaces en production sont restées stables.

La consommation de pommes en France avoisine 1,2 million de tonnes. Une exportation d'environ 300 000 tonnes est donc nécessaire chaque année pour assurer l'équilibre de la filière. La pomme est connectée avec le marché européen et le marché mondial. Sa contribution à la balance commerciale nationale est estimée à près de 600 millions d'euros en 2021. La production de pommes doit être compétitive face à la concurrence. À côté du coût de la main-d'œuvre, qui représente 60 % des charges, l'accès aux solutions techniques de gestion des ravageurs pèse lourd. Nous partageons donc les mêmes préoccupations que nos confrères au regard de l'équilibre par rapport aux concurrents européens.

Dans nos vergers, la base technique est la production fruitière intégrée (PFI), mais les garanties apportées par le label Vergers écoresponsables vont bien au-delà. Dans ce cadre, la séparation de la vente et du conseil est une réalité depuis 1997, tout comme l'obligation de formation de nos adhérents et de leurs salariés, et le contrôle annuel est indépendant de nos structures.

Cette démarche repose sur un principe simple, qui est de n'intervenir que sur observation motivée. C'est bien parce que j'ai observé que les conditions du développement de la tavelure sont réunies – humidité, température, germination des spores – que je décide d'une intervention phytosanitaire adaptée.

Par ailleurs, Vergers écoresponsables porte une attention particulière à toutes les solutions de prévention accessibles. Ainsi, en milieu d'année 2000, lorsque la confusion sexuelle par le biais des phéromones était techniquement au point pour lutter contre le carpocapse – le ver de la pomme –, elle a été pleinement et rapidement adoptée. En l'espace de dix ans, elle était présente dans la majorité des vergers écoresponsables, et depuis 2018, la confusion sexuelle est l'une des exigences des vergers écoresponsables. Toutefois, elle ne fonctionne que sur un niveau de pression faible, et doit être appuyée par une protection insecticide adaptée.

Par ailleurs, le programme d'obtention de nouvelles variétés nous donne depuis vingt ans accès à des plantes résistantes ou tolérantes à la tavelure. Les pomiculteurs s'en sont emparés. En 2022, ces variétés résistantes représentent 40 % des surfaces implantées. Cependant, le taux de renouvellement global des cultures étant de 5 %, la diffusion de ces innovations prend du temps. J'ajoute que ces innovations ne trouvent pas forcément leur place dans les rayons.

Au travers de ces quelques exemples, nous souhaitons vous montrer que l'arboriculture se pense et s'adapte sur le temps long, et au prix de lourds investissements. Cela conduit, peut-être davantage que dans d'autres productions, à déployer les solutions uniquement lorsqu'elles sont pleinement fiabilisées.

La reconception des systèmes de production, que de nombreux chercheurs ont à la bouche, ne portera pas ses fruits en arboriculture avant plusieurs décennies. Cette démarche sera donc sans effet sur l'usage des produits phytosanitaires à moyen terme. Nous souhaitons d'ailleurs être pleinement impliqués dans les orientations de la recherche publique, afin de la raccrocher aux réalités de terrain, notamment au regard de leur pertinence technico-économique.

Pour notre part, nous faisons confiance aux solutions dites combinatoires, qui peuvent être appliquées sur les vergers existants. Ces solutions figurent d'ailleurs dès aujourd'hui dans le cahier des charges Vergers écoresponsables. Nous favorisons la présence des auxiliaires – insectes et oiseaux – aménageant des abris. Des outils d'aide à la décision nous permettent d'affiner nos observations et d'ajuster à la baisse les doses de produits phytosanitaires en fonction des besoins.

À titre d'exemple, j'utilise depuis trois ans sur mon verger un dispositif de caméras filmant la densité des fleurs pour chaque arbre. Je peux ainsi identifier les arbres qui seront trop chargés en fruits et de dresser une cartographie à l'intention du pulvérisateur, qui pourra ainsi évaluer la dose à administrer à chaque arbre. Cette technologie en devenir m'a permis d'économiser 20 % de produit, tout en gagnant en efficacité.

En conclusion, le verger français de pommes et poires n'a pas attendu les politiques publiques pour être pleinement acteur de la transition agroécologique. Chaque innovation, dès lors qu'elle est mature, a été adoptée et mise en œuvre avec le tempo propre aux cultures pérennes.

Pour comprendre ces éléments et découvrir notre travail, nous vous invitons à une visite en verger.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion