Intervention de Christine Arrighi

Séance en hémicycle du mardi 28 novembre 2023 à 15h00
Respect du droit international dans le secours des migrants en mer méditerranée — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi :

Nous sommes les acteurs d'un monde en profonde mutation. Cette transformation se caractérise d'abord par l'évolution des rapports entre les pays du Sud et l'Occident. Une ère nouvelle s'est ouverte, marquée par une défiance croissante envers l'hégémonie occidentale, et une instabilité grandissante, particulièrement palpable en Afrique et au Moyen-Orient.

La misère et les conflits ne sont plus des échos lointains mais des réalités vives et douloureuses. La progression de l'extrême pauvreté – une première depuis les années 1990 – et la régression de l'indice de développement humain (IDH), pour la deuxième année consécutive, soulèvent de graves difficultés pour ceux qui, comme nous, sont engagés dans la construction d'un monde plus juste et équitable. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques, mais le reflet d'une souffrance humaine qui ébranle notre conscience et sollicite notre action.

S'agissant des conflits, il est crucial de reconnaître le rôle significatif joué par la France et les pays européens, bien qu'ils ne soient pas seuls en cause. Notre approche internationale est trop souvent guidée par la recherche d'une hégémonie politique et économique, au détriment des populations concernées.

Notre approche du changement climatique suit un schéma similaire. Cette crise, qui constitue le grand défi de notre siècle, affecte en premier lieu les pays du Sud, et particulièrement l'Afrique. Toutefois, l'Europe, qui représente seulement 10 % de la population mondiale, a réalisé environ 23 % des émissions cumulées de dioxyde de carbone depuis 1850 – un fardeau historique qui pèse lourdement et souligne notre responsabilité climatique.

Face à ces enjeux, nous devons repenser notre action internationale. Il faut abandonner une vision du monde définie par un libéralisme sans frein, pour embrasser une approche plaçant l'humain et l'environnement au cœur des préoccupations.

Le contexte international qui se dessine entraînera inéluctablement des mouvements massifs de populations vers l'Europe. Ces personnes, déracinées, arrachées à leurs familles et à leurs foyers, ne fuient pas par caprice ou pour de simples motifs économiques ; elles sont poussées par la guerre, par le réchauffement climatique, et par des conditions de vie devenues insoutenables.

Chaque année, chaque jour, dans ce voyage forcé, des familles entières périssent : en 2022, plus de 1 500 hommes, femmes et enfants sont morts ou disparus en Méditerranée, soit plus de deux fois et demie le nombre des députés.

Dans ce contexte, il est inacceptable de stigmatiser ceux qui viennent en aide à ces personnes en profonde détresse. Des ONG comme SOS Méditerranée effectuent un travail remarquable, souvent au péril de leur propre sécurité, pour sauver des vies. Accuser ces organisations de complicité avec les passeurs est non seulement injustifié et injuste, mais aussi profondément déconnecté de la réalité. C'est une inversion scandaleuse des valeurs.

Alors que le Président Macron a refusé à plusieurs reprises l'accueil de bateaux tels que l'Ocean Viking, je le dis et le répète : nous avons, plus que jamais, besoin d'un élan humaniste.

Le règlement Dublin, plusieurs fois révisé, a montré son inefficacité face aux défis de la migration. Le remplacer par le pacte sur la migration et l'asile proposé par la Commission européenne risque d'accentuer cette dérive, et de perpétuer une politique publique migratoire exclusivement centrée sur la sécurité, au détriment des droits de l'homme et de la dignité.

Frontex est en réalité incapable de protéger les droits fondamentaux des personnes qu'elle arrête aux frontières extérieures de l'UE. Des organisations non gouvernementales internationales, tels Human Rights Watch, ont à maintes reprises signalé des abus – violences, refoulements illégaux, déni d'accès à l'asile – perpétrés par des fonctionnaires des États membres de l'UE où opère Frontex. Cette agence a pourtant le devoir de suspendre ou de mettre fin à ces opérations en cas d'abus graves ; mais elle n'a exercé ce pouvoir qu'une fois, en Hongrie, à la suite d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne.

Dans ce contexte de crise migratoire, le rôle des ONG devient plus prépondérant encore. Ces organisations, souvent seules contre tous, réalisent un travail essentiel et vital. Alors que la réglementation est en retard sur les besoins urgents d'accueil des migrants, le soutien aux ONG mériterait d'être renforcé, le temps que les systèmes d'accueil s'adaptent et se réforment pour assurer une gestion humaine et équitable.

Il est impératif de renouer avec une politique d'accueil humaniste, fondée sur les droits et la dignité de chaque individu. L'Union européenne doit se réinventer, non seulement en matière de capacités politiques et financières, mais aussi en redéfinissant son socle démocratique. Il est temps de repenser notre politique migratoire, non plus sous l'angle d'un défi sécuritaire, mais comme une question profondément morale, ouverte aux richesses humaines à venir. Nous voterons donc, évidemment, contre cette proposition de résolution.

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