Intervention de Thomas Portes

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Portes, rapporteur :

Monsieur Rudigoz, vous avez évoqué la mission d'information qui est en cours. Vous entendre parler de démocratie et de respect du débat, quand vous soutenez un Gouvernement qui utilise le 49.3 tous les quatre jours pour nous empêcher de débattre, me fait doucement sourire. Nous n'avons pas besoin d'une mission d'information, car les chiffres sont déjà sur la table : quinze décès ont eu lieu depuis le 1er janvier 2022. Par ailleurs, on a compté 596 tirs sur des véhicules en mouvement entre 2012 et 2016, soit 119 par an, contre 967 entre 2017 et 2022, ce qui en fait désormais 161 par an. Et ce ne sont pas mes chiffres, mais ceux de l'IGPN, selon qui la hausse est de 35 %. En ce qui concerne la police, l'augmentation a même été de 47 % entre 2016 et 2017. Autre chiffre, le nombre mensuel de décès après des tirs sur des véhicules en mouvement est passé de 0,06 de 2011 à 2017 à 0,32 entre 2017 et 2022. Voilà la réalité de la loi adoptée en 2017 à la demande de Bernard Cazeneuve.

Ce n'est pas la foire à celui qui aura la proposition la plus radicale : ce que je souhaite, c'est que plus aucun jeune ou aucune jeune, plus aucun passager ou aucune passagère ne décède après un refus d'obtempérer et que plus aucun policier ou aucune policière, plus aucun gendarme ou aucune gendarme ne soit blessé après un refus d'obtempérer. La loi de 2017 n'a rien réglé. Elle entraîne simplement la mort de davantage de personnes. Trop de familles sont endeuillées, trop de gens ont perdu la vie pour un refus d'obtempérer : c'est absolument inacceptable.

Les amendements de suppression qui ont été déposés montrent qu'il existe une coalition entre la droite, l'extrême droite et la Macronie pour faire tomber cette proposition de loi et, partant, faire en sorte que des policiers continuent à faire usage de leur arme dans un cadre qui n'est pas celui de la légitime défense et qui entraîne des morts. Car oui, des gens sont tués par des policiers, c'est une réalité que les chiffres établissent d'une manière incontestable.

Le collègue qui s'est exprimé au nom du Rassemblement national a rappelé des faits absolument dramatiques, dans lesquels on a attenté à la vie de policiers ou de gendarmes, mais je ne vois pas en quoi la légitime défense, telle qu'elle est prévue par le code pénal, n'aurait pas permis à des policiers ou à des gendarmes d'intervenir.

Vous dites, par ailleurs, que nous sommes anti-police et que nous ne proposons rien pour elle. Je rappelle pourtant que mon collègue Alexis Corbière a demandé, durant la précédente législature, la création d'une commission d'enquête sur les suicides dans la police. Aujourd'hui, la principale cause de décès des fonctionnaires de police est en effet le suicide par arme à feu. Le nombre de policiers qui décèdent dans l'exercice de leurs fonctions est, en revanche, plus faible qu'il y a vingt ans, ce qui est tout à fait heureux et il faut continuer à faire baisser ce chiffre. Évitez de caricaturer nos positions. Personne n'a dit, s'agissant de ce texte, qu'il fallait désarmer la police. Si nous posons cette question, c'est dans le cadre du schéma national du maintien de l'ordre, qui est un sujet différent. Nous constatons en l'occurrence, selon les chiffres de l'IGPN, je le répète, une hausse du nombre de tirs et de décès.

Je ne reviendrai pas, en réponse à notre collègue socialiste, sur la question de la mission d'information, sinon pour redire que les chiffres sont là. Il faut abroger la loi de 2017 : on ne peut plus accepter que des gens décèdent dans ces conditions. Si un nouveau décès a lieu, malheureusement, dans les prochaines semaines après un refus d'obtempérer, vous expliquerez sans doute à la famille qu'il existait une mission d'information mais qu'on attendait ses conclusions. Ce n'est pas sérieux ! Je comprends que vous soyez mal à l'aise, car la majorité qui était la vôtre, à l'époque, a voté le texte dont nous parlons, mais vous devez faire face à vos choix politiques.

Vous avez également parlé de faits divers : je m'inscris en faux contre l'usage de ces termes. Les décès en cause ne sont pas des faits divers, ce sont des familles endeuillées et des jeunes qui sont morts à la suite de tirs de policiers. Cela nous impose de mener une réflexion politique sur la manière d'éviter que des jeunes continuent à être tués après un refus d'obtempérer. Les statistiques le montrent, et ce ne sont pas, encore une fois, les chiffres de La France insoumise ou d'organisations syndicales, mais ceux d'instances qui dépendent du ministère de l'intérieur : l'usage des armes à feu a augmenté après l'adoption de la loi de 2017.

Il s'agit aussi, pour nous, de sécuriser les fonctionnaires de police. Un avocat qui n'est pas connu pour avoir des accointances avec la gauche, et encore moins avec La France insoumise, Thibault de Montbrial, a dénoncé cette loi dès 2017, en expliquant qu'elle placerait le policier dans une forme d'insécurité parce qu'il ne saurait pas s'il peut réellement utiliser son arme. Ce qui nous pose un problème dans cette loi, c'est qu'il s'agit, comme plusieurs organisations syndicales le soulignent, d'une légitime défense anticipative : il est question de situations dans lesquelles les policiers font face à des personnes « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ». On demande ainsi aux fonctionnaires de police d'imaginer ce qui pourrait ensuite se passer, ce qui diffère de la légitime défense, laquelle prévoit une concomitance, une riposte proportionnée et nécessaire. C'est précisément l'anticipation de ce qui pourrait ensuite se passer qui a occasionné une augmentation du nombre de tirs.

L'orateur du groupe LIOT a dit que cette proposition de loi pourrait conduire à une situation plus grave que celle d'aujourd'hui. Je suis évidemment en désaccord avec cette idée. Par ailleurs, nous ne cédons pas à l'émotion : nous partons des quinze décès qui se sont produits depuis le 1er janvier 2022. Quand on regarde ce qui se passe en Allemagne, il y a aussi de quoi s'interroger : en dix ans, un seul décès s'est produit à la suite d'un refus d'obtempérer.

Nous souhaitons, nous aussi, une amélioration de la relation entre la police et la population, car il y a eu une dégradation en la matière, notamment dans un certain nombre de quartiers populaires. C'est un sujet qui va néanmoins au-delà de la disposition du code de la sécurité intérieure dont nous demandons l'abrogation : il est lié à la question de la police de proximité, que nous défendons depuis des années, à la question du schéma national du maintien de l'ordre, que nous souhaiterions différent – notamment en ce qui concerne le commandement – et à la question de la défiance qui existe aujourd'hui, en particulier dans les quartiers populaires.

Comme Elsa Faucillon l'a dit, il faut regarder le profil – le nom, la couleur de peau – des jeunes décédés : ce sont des personnes racisées, noires ou arabes. Il y a un biais lors des refus d'obtempérer. Quand il s'agit de personnes à la peau blanche qui ont deux grammes d'alcool dans le sang, il n'y a jamais de tirs – c'est très concret.

Madame Ménard, vous avez évoqué un refus d'obtempérer toutes les trente minutes, mais on peut tout mettre derrière cette expression. Quand on vous demande vos papiers devant la gare du Nord et que vous partez en courant, c'est un refus d'obtempérer. Un policier est-il alors en danger ? Certainement pas. Vous englobez dans une seule statistique des refus d'obtempérer qui ne mettent pas en danger des policiers ou des gendarmes. C'est vrai, je l'ai dit dans mon propos liminaire, pour quatre refus d'obtempérer sur cinq.

Les gendarmes avaient effectivement, avant 2017, un système qui différait de celui de la légitime défense prévue par le code pénal, mais ils bénéficiaient d'une formation différente – et elle le reste –, et la culture n'était pas la même. Les ordres et le commandement sont différents. On a donné aux policiers le même droit qu'aux gendarmes, mais sans l'assortir de formations, et les ordres ne sont pas à la hauteur. Les directives sont extrêmement floues en ce qui concerne l'utilisation de cette disposition.

Nous ne demandons pas son abrogation, j'insiste sur ce point, pour désarmer la police ou l'empêcher de faire son travail. L'article du code pénal relatif à la légitime défense, si on veut bien le lire dans son intégralité, permettra toujours à un policier ou à un gendarme d'utiliser son arme lorsque sa vie, ou celle d'un tiers, est en danger. En revanche, je le répète, des faits sont là. J'ai une pensée pour les familles qui ont perdu un enfant, un proche, un de leurs membres, et qui ne sont pas entendues. La question du traitement judiciaire de ces affaires a été évoquée, mais il faudrait aussi parler de leur dépaysement. Les refus d'obtempérer et les décès consécutifs aux tirs des policiers font l'objet d'une omerta.

Cette proposition de loi a pour objectifs, tout à la fois, de sécuriser les forces de l'ordre lors de l'utilisation de leurs armes, comme c'était le cas avant 2017, et d'éviter d'avoir à débattre au sein de cette commission, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, d'un nouveau décès à la suite d'un refus d'obtempérer. Il est urgent d'abroger cet article, qui a endeuillé trop de familles.

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