Intervention de Gérard Leseul

Séance en hémicycle du lundi 4 décembre 2023 à 15h00
Adaptation du droit de la responsabilité civile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Leseul :

Les querelles de voisinage, qu'elles soient picrocholines, pittoresques ou justifiées, sont aussi vieilles que les relations humaines. Elles donnent parfois lieu au combat du pot de terre contre le pot de fer ; en d'autres occasions, le bon sens et le dialogue permettent heureusement de régler le différend et de restaurer les conditions du vivre ensemble. Dans certains cas, les enjeux économiques, moraux, esthétiques ou psychologiques sont tels que le litige doit être porté devant les tribunaux.

Depuis l'examen en commission de cette proposition de loi, le groupe Socialistes s'interroge sur son opportunité, sans pour autant y être hostile. Quel est l'intérêt de toucher à la responsabilité civile à travers un texte qui ne va pas au-delà d'une simple reconnaissance formelle de principes déjà bien établis par la jurisprudence, laquelle est utile et ne saurait être confondue avec du « bavardage » ?

Depuis près de quarante ans, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Il s'agit d'un régime de responsabilité objective, c'est-à-dire qu'il ne dépend pas de la démonstration d'un comportement fautif mais requiert la démonstration d'un trouble excédant la gêne normalement attendue dans le cadre des relations de voisinage – gêne évaluée par le juge en tenant compte des circonstances spécifiques dans lesquelles le plaignant se trouve.

Ainsi, l'absence de faute ne constitue pas un moyen d'échapper à une condamnation et, inversement, la simple existence d'une faute ne suffit pas à caractériser un trouble anormal du voisinage. La jurisprudence a élargi la notion de voisinage au-delà des immeubles contigus englobant une aire de proximité où vivent plusieurs personnes, en ville comme à la campagne. Enfin, pour qu'un trouble soit reconnu, il doit excéder les inconvénients normaux du voisinage et présenter un caractère continu et permanent.

Ce texte vise à consacrer dans la loi ces principes jurisprudentiels, en introduisant dans le code civil le principe de responsabilité fondé sur les troubles anormaux du voisinage, avec une exception, liée notamment à l'antériorité du trouble constaté.

Nous avons participé aux travaux en commission, et suivi la discussion générale, mais nous continuons à nous interroger sur la pertinence de cette initiative. Était-ce une priorité, pour la commission des lois et l'Assemblée, de traiter cette question alors que la jurisprudence a déjà défini avec précision les éléments constitutifs d'un trouble du voisinage et les exceptions qui l'entourent ? N'y avait-il pas d'autres urgences à régler, monsieur le ministre, pour conforter le vivre ensemble ?

Le code civil, comme les autres codes, n'a pas besoin d'être exhaustif et, s'agissant de troubles complexes à évaluer, l'appréciation du juge est précieuse. Il est évidemment louable de vouloir rendre le droit plus lisible, mais il peut être préjudiciable de l'enfermer dans des dispositions strictes.

En définitive, cette proposition de loi, à travers un article unique, entend simplement inscrire dans le marbre de la loi la construction prétorienne présentée précédemment. Espérons tout de même que ces dispositions pourront alléger la charge des élus locaux – et en premier lieu des maires –, qui se trouvent bien souvent en position de médiateurs ou de conciliateurs de situations conflictuelles inextricables.

Bien que ce texte ne change pas grand-chose…

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