Intervention de Sophie Taillé-Polian

Séance en hémicycle du mardi 12 décembre 2023 à 15h00
Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Taillé-Polian :

Nous avons besoin de faire face à notre passé, de le connaître et de le comprendre pour mieux construire l'avenir de notre nation par des actes forts. La restitution des biens juifs spoliés pendant la seconde guerre mondiale était une première étape. Cette proposition de loi en constitue une deuxième : elle propose de restituer aux États qui en feraient la demande les restes humains appartenant à nos collections publiques. C'est une évolution importante que nous soutenons.

Je regrette cependant que les modifications apportées au texte du Sénat par notre assemblée en première lecture n'aient pas toutes été reprises par la commission mixte paritaire. Pourquoi ne pas avoir conservé l'adjectif « mémorielles » pour qualifier les fins conditionnant la restitution ? Le seul adjectif « funéraires » ouvre la possibilité d'une interprétation restrictive, voire prescriptive. Nous ne devons exiger des pays tiers auxquels nous serions amenés à rendre des restes humains que le respect de la dignité des corps ainsi restitués. Qui sommes-nous donc pour leur demander de s'en tenir à une démarche funéraire au sens strict du terme ? La mémoire des atrocités commises lors des colonisations ne doit pas être occultée, au contraire, nous devons nous y confronter. Les mots ont un sens, ils ont une portée et traduisent une volonté politique. Mal nommer les choses, c'est ajouter de la souffrance, c'est continuer d'entretenir un tabou qui fait du mal à notre société.

Je prends acte des arguments de Mme la Ministre qui a indiqué que le terme « funéraires » ne devait pas être compris dans un sens trop étroit, comme l'avait souligné le sénateur Ouzoulias lors de la CMP, et que des mesures réglementaires seraient prises pour favoriser une interprétation juridique large. Mes regrets quant à la rédaction retenue persistent néanmoins.

Nous ne devons pas craindre de regarder en face notre passé, bien au contraire. Il est nécessaire de le faire. Cette partie de notre histoire reste une plaie ouverte au cœur de notre République, pour ses enfants, qu'ils soient descendants de colonisés ou de colonisateurs. Il n'est plus question de grandes déclarations d'intention mais d'actes forts et concrets – la loi-cadre relative aux restitutions en est un. Si elle vaut pour le retour des restes dans les pays d'origine, elle aurait également dû le permettre dans les territoires ultramarins. Là encore, le texte n'est pas au rendez-vous. Nous avons bien compris qu'il n'avait vocation qu'à traiter les relations avec les États étrangers, mais nous considérons qu'il aurait été bon de faire d'une pierre deux coups et d'élargir ses dispositions aux restitutions au sein de notre République. C'est urgent. Vous nous avez précisé, madame la ministre, que le Gouvernement lancerait une mission parlementaire au début de l'année prochaine pour traiter de cette question, et nous prenons bonne note de votre initiative.

Au-delà de cette remarque, nous considérons que cette proposition de loi constitue une avancée réelle. Nous soutenons fortement le principe d'une loi-cadre car elle permet de sortir de la logique du cas par cas et des petits arrangements diplomatiques, au profit d'une volonté politique claire. Nous devons pouvoir restituer rapidement tout ce qui n'a plus rien à faire dans nos musées. Il ne nous appartient pas d'être les gardiens de ce que nos aïeux considéraient comme des trophées exotiques à brandir.

Cette loi-cadre, qui fait suite à la loi-cadre relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, appelle une autre loi-cadre qui porterait sur la restitution de tous les autres biens spoliés, en particulier pendant l'ère coloniale française. Nous devons rapidement engager un débat sur cette question en nous appuyant sur un travail tout à la fois politique et scientifique, destiné à éclairer les décisions à venir.

Madame Genevard, l'union et l'apaisement ne sont pas synonymes de silence et d'inaction. Au contraire, ils impliquent une confrontation avec notre passé pour enfin le surmonter.

C'est un soutien à une politique globale de restitutions à travers des lois-cadres que le groupe Écologiste – NUPES manifeste en votant cette proposition de loi.

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