Intervention de Angélique Palle

Réunion du mardi 12 décembre 2023 à 18h00
Commission des affaires étrangères

Angélique Palle, chercheuse associée à l'IRSEM et à l'INSP :

Je commencerai ma présentation en vous parlant du consensus scientifique sur le lien entre conflit et climat. Dans un deuxième temps, je vous présenterai deux exemples, à partir des travaux du GIEC et de ceux menés à l'IRSEM sur la question de la sécurité climatique. Enfin, dans un troisième temps, je conclurai sur les effets du changement climatique sur la conduite des conflits en Afrique.

Tout d'abord, il n'existe pas de consensus sur le lien entre changement climatique et conflit : la communauté scientifique se refuse à établir un lien de causalité direct entre le changement climatique et des guerres, qui seraient jugées comme « climatiques ». En effet, tout dépend de la façon dont une société ou un État réagit au changement climatique, la façon dont leur gouvernance s'adapte. Tout dépend de la gestion des chocs climatiques par la société qui en est victime.

En revanche, il existe une confiance relative au sein de la communauté scientifique sur le fait que le changement climatique est un risque pour la paix. Ce risque est donc la conséquence de ces chocs qui sont produits sur les sociétés par les effets du changement climatique. Un premier modèle porte sur les « guerres du climat », qui ont été théorisées à la fin des années 2010, notamment en Allemagne, avec l'idée que le changement climatique induit une compétition pour la ressource, qui mène nécessairement à des guerres formalisées entre États.

Un deuxième modèle est situé à l'extrémité inverse du spectre. Il considère que l'absence de ressources conduit, dans une certaine mesure, à une absence de guerre formalisée, dans la mesure où les sociétés sont trop accaparées par la gestion des effets du changement climatique pour recourir à des conflits prenant la forme de guerres. Un certain nombre de travaux publiés par des hauts responsables militaires américains émettent des avertissements concernant l'implication de leurs forces armées sur leur propre sol pour la gestion de catastrophes environnementales imputables pour partie au changement climatique (incendies sur la côte Ouest des États-Unis, ouragans de type Katrina, engagement des forces armées dans la gestion du Covid). Selon eux, le système militaire américain ne pourra pas s'engager de façon durable sur son territoire national sans le faire au détriment de sa capacité de projection.

Entre ces deux modèles, il existe un troisième, celui d'une violence sociale généralisée. Il ne s'agit pas d'une guerre. Il s'agit en revanche, dans un contexte où la puissance publique est faible et le consensus social fragile, de phénomènes de violence entre communautés, entre individus, qui sont documentés par la communauté scientifique et qui mènent à ce climat de violence généralisée.

Ces trois modèles doivent être gardés en tête lorsque l'on évoque le continent africain, où la puissance publique et le consensus social font partie des plus fragiles au monde. Laissez-moi illustrer mes propos par quelques exemples à partir des cartes qui vous sont diffusées. Un premier exemple est issu des travaux du GIEC, qui a cartographié les campements de réfugiés du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et les campements de déplacés internes, dans un contexte d'augmentation des températures. Ces cartes de projection pour la période 2040-2060 illustrent à la fois la vulnérabilité sociale et le choc climatique. La question qui se pose ici est celle du sens de la causalité. S'agit-il d'une causalité génératrice de conflits ou s'agit-il au contraire d'une causalité génératrice d'effondrement, qui conduit non pas à des conflits armés entre États mais à des phénomènes de violence généralisée à l'intérieur de sociétés constituées ?

Un deuxième exemple concerne des travaux menés par l'axe de recherche sur la sécurité climatique de l'IRSEM, où nous avons essayé d'anticiper les effets des paramètres environnementaux sur la conduite des opérations au Sahel. La carte qui vous est projetée superpose des effets de choc.

Le premier porte sur les espaces pour lequel le GIEC anticipe, d'ici 2040 une augmentation du nombre de jours annuels (au-delà trente jours par an) où la température dépasse 35 degrés. La quasi-totalité de la zone sahélienne est ainsi concernée.

Le deuxième effet de choc concerne le glissement des isohyètes, c'est-à-dire des lignes de pluviométrie, en l'espèce un front de pluviométrie à hauteur de 200 millimètres par an, entre deux périodes : d'une part entre 1940 et 1967 et d'autre part entre 1968 et 2000. Ce front recule vers le Sud de la zone étudiée, avec des effets très importants sur les cultures, les possibilités d'élevage, le type de végétation disponible.

Le troisième élément cartographié concerne les espaces de surpâturage qui ont été identifiés par les chercheurs en sciences sociales, à la fois français et africains.

Vous pouvez constater sur les cartes que la zone autour de Gao concentre ces trois chocs, où la croissance des températures, le changement dans la pluviométrie et le surpâturage, entraînent des effets importants sur les sociétés présentes dans cet espace. Nous avons projeté cette cartographie sur le dispositif français au Sahel, et notamment sur les lignes d'approvisionnement, en l'occurrence l'approvisionnement en carburant. La zone de Gao était l'un des plots importants de la logistique de l'opération française Barkhane. Cette carte introduit l'idée que ce changement climatique, qui a des effets sur la paix en Afrique et des effets de déstabilisation sur les sociétés, produit également des effets sur la façon dont les conflits sont et seront conduits dans cette zone.

Le changement climatique affecte aussi les armées dans la conduite des opérations. De manière très pratique, cela peut concerner le poids du paquetage qu'un soldat est capable de transporter, des horaires auxquels une opération peut être menée dans des conditions à plus de 35 degrés, trente à cent cinquante jours par an, ou de la capacité de refroidissement d'un véhicule.

De fait, il est d'ores et déjà possible de dire que les effets du changement climatique sur les conflits déjà existants en Afrique seront importants à la fois sur un plan stratégique, parce que les zones conflictuelles peuvent être affectées par les effets du changement climatique, mais aussi sur la conduite des opérations, parce que les effets du changement climatique sur celle-ci sont déjà importants et qu'ils iront croissants.

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