Intervention de Maud Gatel

Réunion du mercredi 20 décembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Gatel, rapporteure :

Cette proposition de loi, déposée par le président de notre commission, a été cosignée par des représentants de l'ensemble des groupes politiques de notre Assemblée, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Cela témoigne du caractère transpartisan et de l'unanimité que dégage ce texte, qui ne consiste qu'à permettre la mise en œuvre concrète de dispositions que nous avons votées dans la loi du 4 août 2021. Il s'agit de respecter la volonté du législateur tout en donnant à ce dernier les outils lui permettant de mener à bien ses missions.

Notre ancien collègue Hervé Berville, aujourd'hui secrétaire d'État chargé de la mer, avait bien souligné le sens et l'intérêt de cette mission d'évaluation. La France s'engage fortement, tant sur le plan financier que par la mobilisation de son expertise et de ses spécialistes, pour mettre en œuvre des projets de développement partout dans le monde. Ces projets changent-ils réellement les choses ? Atteignent-ils leurs objectifs ? Peut-on mesurer leur impact ? Par exemple, le taux de mortalité maternelle et infantile recule-t-il ? Voilà autant de questions auxquelles nous avons besoin de répondre pour conduire notre mission de législateur, dont la dimension d'évaluation est trop souvent absente de nos travaux.

C'est précisément sur ce type de questions que la commission d'évaluation de l'APD est appelée à se pencher. Elle pourra évaluer les projets de développement, tant au stade de leur conception qu'à celui de leur mise en œuvre. Elle sera un puissant aiguillon pour les acteurs du développement, notamment – mais pas seulement – pour l'Agence française de développement (AFD). Ses travaux permettront également d'informer utilement le public et le Parlement. La loi de 2021 prévoit en effet que la commission adressera l'ensemble de ses rapports d'évaluation au Parlement et qu'elle remettra à ce dernier, une fois par an, un rapport faisant la synthèse de ses travaux et de ses recommandations.

Ce type d'organe d'évaluation existe chez nombre de nos partenaires et voisins. Le Royaume-Uni, réputé pour son pragmatisme, dispose ainsi de l' Independant Commission for Aid Impact (ICAI).

Compte tenu des volumes qu'atteint désormais notre aide au développement – plus de 15 milliards d'euros en 2022 – et de la gravité des enjeux auxquels nous sommes confrontés, il est à la fois nécessaire et urgent de mener une véritable politique d'évaluation de l'APD. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le législateur a prévu la création de cette commission d'évaluation dans la loi de 2021, adoptée à l'unanimité. Pourtant, deux ans et demi plus tard, cette instance n'a toujours pas été mise en place. Le président de notre commission a expliqué les raisons de cette situation ; on pourrait les résumer en évoquant un décalage entre le souhait du législateur et les mesures d'application envisagées par le Gouvernement.

Le législateur avait adossé la commission d'évaluation à la Cour des comptes, sans pour autant l'intégrer dans la sphère de cette dernière. Il avait au contraire insisté sur sa nécessaire indépendance, notamment pour l'organisation de son programme et de sa méthode de travail. Son président devait être élu à la majorité parmi ses membres. Le rôle de la Cour des comptes devait se limiter à en assurer le secrétariat. Or le décret d'application du 6 mai 2022 s'écarte sensiblement des travaux du législateur. Il prévoit ainsi la présence, au sein du collège d'experts, de deux magistrats de la Cour des comptes, dont son premier président. Il prévoit aussi une élection du président de la commission d'évaluation à l'unanimité – et non plus à la majorité –, ce qui revient en pratique à accorder cette présidence au premier président de la Cour des comptes. Au fond, ce décret assimile la commission d'évaluation aux organismes associés à la Cour des comptes tels que le HCFP et le CPO, à la tête desquels se trouve le premier président. Il la conçoit essentiellement comme une instance de contrôle de la régularité de l'emploi de l'argent public, alors que le Parlement avait souhaité l'investir d'une mission beaucoup plus large touchant à l'efficacité et à l'impact des projets et des stratégies d'APD.

La Cour des comptes n'étant pas désireuse de se voir adosser une commission qu'elle ne superviserait pas, il est apparu nécessaire de trouver un rattachement plus approprié. La solution du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui est institutionnellement le chef de file de la politique française de développement, s'est alors imposée. C'est à ce ministère qu'est rattaché le secrétariat d'État chargé du développement, aujourd'hui confié à Chrysoula Zacharopoulou, et c'est au ministre des affaires étrangères qu'incombe le suivi des projets de loi relatifs à l'aide publique au développement : la loi de 2021 a été défendue par Jean-Yves Le Drian. J'ai auditionné des représentants de la direction générale de la mondialisation, chargée du développement au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui m'ont confirmé qu'ils étaient tout à fait prêts à assumer cette responsabilité.

Cette proposition de loi place donc la commission d'évaluation auprès du ministère chargé des affaires étrangères et prévoit que son secrétariat est assuré par la direction générale en charge du développement international au sein de ce même ministère. Afin de prévenir tout conflit d'intérêts, les déclarations d'intérêts des experts devront être remises au secrétariat général du ministère. Le texte précise aussi de manière plus explicite les missions de la commission ; il souligne notamment que l'évaluation des projets pourra être menée aussi bien ex ante qu' ex post, c'est-à-dire de leur élaboration à leur mise en œuvre.

La proposition de loi n'a pas d'autres objets que ceux-ci. C'est pourquoi je suis reconnaissante aux groupes de n'avoir pas rouvert d'autres débats concernant l'APD, qui sont parfaitement légitimes mais que nous pourrons avoir en d'autres occasions. Il importe de ne pas remettre en cause les équilibres trouvés et de faire en sorte que cette proposition de loi transpartisane soit directement opérante. Il est dans l'intérêt du législateur d'assurer la mise en place de cette commission d'évaluation et de lui permettre de mener très rapidement des travaux qui nourriront nos débats relatifs à l'aide publique au développement.

Je vous invite donc à voter en faveur de ce texte. Songez à l'intérêt que nous aurons à bénéficier, lors de l'examen des prochains projets de loi de finances, lorsque nous nous pencherons sur les crédits relatifs à l'APD, des premiers résultats des travaux d'évaluation réalisés par cette commission tant attendue.

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