Intervention de Christelle Ratignier-Carbonneil

Réunion du mercredi 13 décembre 2023 à 9h00
Commission des affaires sociales

Christelle Ratignier-Carbonneil :

C'est un honneur pour moi que d'être entendue par votre commission en vue du renouvellement de mon mandat de directrice générale de l'ANSM, pour une deuxième et dernière période de trois ans. Cette procédure d'audition devant le Parlement a pour moi une valeur hautement symbolique puisqu'elle prend sa source dans la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, qui entendait garantir la pleine inscription de cet établissement d'expertise dans son environnement politique et social. Indispensable au bon fonctionnement démocratique, l'expertise doit pouvoir être questionnée par les citoyens et leurs représentants ; et l'ANSM doit pouvoir rendre compte de manière régulière et en tant que de besoin de son action et de sa gestion.

Chercheuse de formation en immuno-hématologie, j'ai dédié ma carrière au service public. Trois raisons principales m'ont conduite à demander le renouvellement de mon mandat à la tête de l'ANSM : mon intérêt prononcé pour les missions de service public de l'agence, dédiées aux questions de sécurité sanitaire ; un attachement profond à l'agence et à ses agents, que je salue pour leur très haut niveau d'expertise et leur implication personnelle au service quotidien de la sécurité de nos concitoyens ; la conviction, enfin, qu'elle a besoin de stabilité pour poursuivre son évolution dans le cadre du futur contrat d'objectifs et de performance (COP) 2024-2028.

Créée il y a onze ans, en application de la loi du 29 décembre 2011, l'ANSM est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la santé et de la prévention. Ses quelque 1 000 collaborateurs exercent des missions qui couvrent l'ensemble des produits de santé : les médicaments, chimiques et biologiques, anciens comme expérimentaux, curatifs ou préventifs, soit plus de 12 000 spécialités au total, mais aussi des centaines de milliers de dispositifs médicaux qui vont des lunettes aux pansements en passant par les dispositifs implantables les plus sophistiqués, les logiciels ou les appareils de radiologie, les produits sanguins labiles, les greffes, et même les plantes ou l'homéopathie.

L'agence, qui s'appuie sur son expertise interne comme sur des experts externes, dans un cadre déontologique strictement défini et totalement transparent, exerce de multiples missions : autorisation, surveillance, inspection et contrôle dans ses propres laboratoires. Elle a des pouvoirs de police sanitaire qui lui permettent, si nécessaire, de modifier, suspendre ou interdire des activités, des productions et des autorisations, dans le but de garantir la sécurité des patients qui sont exposés aux produits de santé. Elle peut également prendre des sanctions financières à l'encontre des entreprises en cas de non-respect de la réglementation. Au total, elle prend environ 85 000 décisions chaque année.

Enfin, l'agence est pleinement inscrite dans son environnement européen, qui a pris une place considérable en matière de produits de santé. Elle participe au quotidien au fonctionnement de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et à l'application des règlements européens dans les domaines du médicament et des dispositifs médicaux. Je précise que l'EMA ne fonctionne pas comme une structure supranationale, mais comme une structure de coordination, qui s'appuie exclusivement sur les experts des agences sanitaires nationales. Ces derniers construisent ensemble les évaluations et décident des mesures d'autorisation et de renforcement de la surveillance.

J'en viens au bilan des trois années qui viennent de s'écouler. Dans le cadre du COP conclu avec le ministère des solidarités et de la santé le 23 mai 2019, l'agence s'est pleinement mobilisée autour de ses quatre axes stratégiques, dont le premier était l'ouverture aux parties prenantes et le renforcement de la transparence sur ses travaux. Ces trois années ont surtout été marquées par la gestion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19. Dès le mois de mars 2020, notre activité en a été fortement affectée, aussi bien en matière de sécurité sanitaire que d'accès à l'innovation thérapeutique.

Ainsi, les procédures d'évaluation des essais cliniques ont connu une nette accélération : alors qu'elles prenaient habituellement quarante-cinq jours, ce délai a été ramené à sept jours pour les traitements contre la covid-19. Nous avons également favorisé l'accès précoce à certains médicaments : plus de 18 000 autorisations ont permis à de nombreux patients de bénéficier, bien avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM), des premiers traitements préventifs et curatifs de la covid. Nous exerçons une surveillance renforcée et continue des effets indésirables des médicaments et des vaccins contre la covid-19, grâce aux études menées par le réseau national des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) et par le groupement d'intérêt scientifique Epi-Phare que nous avons créé avec la Caisse nationale de l'assurance maladie. Nous veillons également à assurer une information en continu des usagers, des patients et des professionnels de santé, au travers de webinaires ou de communications hebdomadaires.

Durant cette période, nous avons dû garantir la disponibilité des médicaments indispensables en réanimation, mais aussi de tous les traitements dont ont besoin les malades chroniques. Le fort engagement de l'agence dans la gestion de la crise sanitaire ne l'a pas empêchée de poursuivre ses autres activités, en particulier l'intégration de nouvelles réglementations comme le règlement européen relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ou la réforme de l'accès précoce, en collaboration étroite avec la Haute Autorité de santé (HAS). Près de 63 400 autorisations d'accès dérogatoire ont été octroyées en 2022, qui ont permis à plusieurs dizaines de milliers de patients de bénéficier de traitements avant l'AMM. Il faut également mentionner le nouveau règlement européen sur les essais cliniques, qui est entré en vigueur fin janvier 2022 et qui a introduit une évaluation partagée à l'échelon européen. L'année dernière, plus de 800 autorisations ont été octroyées ; la France figure dans le trio de tête du concert européen, ce qui montre le dynamisme de notre recherche clinique. J'évoquerai enfin le décret « stocks », qui vise à éviter les pénuries de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur – soit 6 000 des 12 000 spécialités – en obligeant les industriels concernés à avoir deux mois de stocks de sécurité, et même quatre mois pour 10 % d'entre eux.

Le premier semestre de l'année 2022 a été marqué par la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Dans ce cadre, l'ANSM a organisé vingt réunions de groupes de travail et de comités européens. Ce fut une mobilisation exceptionnelle, avec 157 heures de réunions, plus de 2 000 participants et 115 agents de l'ANSM investis. Au total, en cette dernière année du COP 2019-2023, on note une nette amélioration de la perception de l'ANSM par les parties prenantes, grâce aux efforts visant à l'intégration de l'ensemble des acteurs, notamment des représentants des usagers, dans toutes nos instances et nos processus de construction de la décision, à la multiplication de nos canaux de communication et à la recherche constante d'une information adaptée, compréhensible et accessibles aux différents publics concernés.

Nous avons mené une politique volontariste en matière d'innovation. Outre la dynamique sur les essais cliniques, il faut souligner la pertinence du guichet innovation et orientation qui, depuis son entrée en vigueur il y a trois ans, a accompagné plus de 700 porteurs de projets innovants, aussi bien sur les médicaments que sur les dispositifs médicaux. Nous avons institué le Casar, notre centre d'appui aux situations d'urgence, aux alertes sanitaires et à la gestion des risques, ainsi qu'un guichet qui centralise toutes les demandes des usagers. La France, enfin, a retrouvé sa place au niveau européen, puisque des représentants de l'ANSM occupent la présidence ou la vice-présidence de plusieurs comités scientifiques européens. J'ai moi-même l'honneur d'avoir été élue en juin 2022 vice-présidente du conseil d'administration de l'Agence européenne des médicaments.

Le projet que je souhaite mettre en œuvre si vous m'honorez à nouveau de votre confiance se fonde sur ce bilan extrêmement riche, permis par la mobilisation sans faille des 1 000 agents que j'ai l'honneur de diriger. Les activités de l'ANSM doivent être poursuivies et renforcées. Il faut un investissement majeur dans la gestion des pénuries et développer des modes de communication encore plus près des patients et des professionnels de santé. Nos objectifs ambitieux en matière d'épidémiologie des produits de santé devront être maintenus, tout comme ceux relatifs à la gestion des données.

Ce projet pour les trois années à venir, mais qui s'inscrira dans le COP 2024-2028, se doit d'être ambitieux pour répondre aux nombreux défis qui se présenteront. Il s'organise autour de quatre axes stratégiques. Il faut créer une agence garante de la sécurité des patients utilisant des produits de santé, en mettant l'accent sur la gestion des pénuries, l'anticipation et le renforcement du bon usage ; une agence agile et qui accompagne l'innovation scientifique, en facilitant l'accès des patients à l'innovation et en formant nos agents aux ruptures technologiques, dont l'intelligence artificielle ; une agence à l'écoute et au service des citoyens, avec un renforcement de la transparence et de l'accès à ses données, une personnalisation de l'information au public et surtout une coordination, un investissement dans les territoires pour créer de nouvelles collaborations avec les parties prenantes, les agences régionales de santé (ARS) et l'ensemble des acteurs de la santé à l'échelon régional ; enfin, une agence performante et engagée, en mettant l'accent sur la qualité de vie au travail de l'ensemble de mes agents.

L'ANSM a beaucoup évolué au cours de ces trois dernières années, dans la continuité des changements commencés en 2016. Si l'opportunité m'est donnée de poursuivre mes fonctions auprès de ses collaborateurs, je m'emploierai à ce que l'ANSM reste une agence à l'écoute de ses usagers et de leurs attentes, agile et résolument en prise avec son temps, une agence au service de la sécurité de tous les patients qui utilisent au quotidien des produits de santé.

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