Intervention de Émilie Bonnivard

Séance en hémicycle du mercredi 24 janvier 2024 à 14h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Bonnivard :

« Les représentants du peuple français […] ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs […] » Ces mots sont ceux du préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Nous, constituants, avons un devoir fondamental : celui de veiller au respect de l'esprit et de la lettre de cette déclaration quand nous nous apprêtons à modifier notre Constitution. Parmi les droits que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qualifie de « naturels et imprescriptibles » figure notamment, en son article 2, la liberté. C'est en s'appuyant sur cet article que le Conseil constitutionnel a jugé l'interruption volontaire de grossesse comme principe à valeur constitutionnelle, la liberté pour la femme de mettre fin à sa grossesse étant déduit du droit fondamental à la liberté. Mais dans leur immense sagesse, nos illustres prédécesseurs ont défini à l'article 4 de cette même déclaration ce qu'est la liberté en tant que droit naturel et imprescriptible : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui […]. » La liberté ici mentionnée n'est donc pas absolue, elle ne revient pas à permettre de faire absolument tout ce que l'on veut ; elle est limitée par le fait de ne pas nuire à autrui et donc par un autre droit fondamental : celui du droit de toute personne à la vie, déduit de cette même déclaration et mentionné à l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

C'est précisément cet équilibre fragile entre ces deux libertés, entre ces deux droits fondamentaux, que la loi Veil du 17 janvier 1975 a réussi à protéger en consacrant à la fois le respect de la liberté de la femme de mettre un terme à sa grossesse et la protection du droit de l'enfant à naître. Je souhaite rappeler ici que dans son article 1er , elle consacre le principe du « respect de tout être humain dès le commencement de sa vie », tout en permettant à la femme de mettre un terme à sa grossesse – à l'époque jusqu'à la dixième semaine et dans des conditions spécifiques, telle une situation de détresse. La loi Veil, c'est aussi cela. Elle prévoit qu'au cours des premières semaines de la grossesse, dont le nombre est déterminé par la loi, c'est la liberté de la femme qui prévaut, mais qu'après la fin du délai légalement prévu, c'est la protection de l'enfant à naître qui prévaut. C'est donc cet équilibre délicat qui permet la conciliation de ces deux principes fondamentaux que nous devons préserver quand nous débattons de l'inscription de l'IVG dans notre Constitution. À la lecture du discours tenu par Simone Veil à cette tribune, il y a quarante-neuf ans, je suis convaincue que son intention ne relevait pas du militantisme. Je crois qu'elle visait comme législatrice, de manière pragmatique, responsable et humaine, à mettre fin à des situations de détresse inacceptables pour les femmes, alors que les pratiques illégales d'IVG étaient courantes et notoirement risquées pour la vie et la fertilité à venir des femmes. Elle cherchait à accorder le droit de l'époque à une réalité sociale incontestable. Elle visait aussi à mettre fin à la peur et à la culpabilité des femmes d'être hors la loi. Valéry Giscard d'Estaing, alors Président de la République, disait au sujet de ce texte qu'il s'agissait de mettre fin à une situation de désordre et d'injustice, et d'apporter une solution mesurée et humaine à l'un des problèmes les plus difficiles de notre temps. Sans la volonté de Valéry Giscard d'Estaing et de Jacques Chirac, alors Premier ministre, sans l'humilité de Simone Veil et sans la mobilisation de députés sur tous les bancs, l'IVG n'aurait pas été inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée et n'aurait donc pas été votée. Je ne laisserai donc personne, durant ces débats, tenir des propos réducteurs à l'égard de la droite républicaine, en l'occurrence des Républicains que j'ai l'honneur de représenter à cette tribune.

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