Intervention de Hubert Védrine

Réunion du mercredi 13 décembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Hubert Védrine, ancien secrétaire général de la présidence de la République, ancien ministre des affaires étrangères :

Ne pas rougir du passé n'est pas refuser l'histoire. Souvent, nous avons fait des erreurs gigantesques. Parfois, nous avons fait des choses condamnables. Ce dont il n'y a pas à rougir, c'est du bilan global. Je ne suis pas très favorable au "devoir de mémoire", qui est une fabrication déterminée par le rapport de forces ayant cours dans le pays qui la produit, mais je suis pour l'Histoire, pratiquée en totale liberté sur tous les sujets.

Sur les "valeurs", l'Occident prosélyte et missionnaire a vécu. Lorsque Poutine a attaqué l'Ukraine, un peu moins de quarante pays, représentent les deux-tiers de l'humanité, ont refusé de choisir un camp. Tous ne soutiennent pas la guerre, ni même Poutine, mais ils ne veulent pas être dans notre camp. Sur les horreurs commises au Proche-Orient, le bloc occidental et le bloc musulman s'opposent et de nombreux pays asiatiques refusent de se prononcer.

Nous ne pouvons plus fonder notre action sur le seul prosélytisme ni sur la croisade. Cela est dur à admettre – je suis critiqué à chaque fois que je le dis –, car nous sommes attachés à notre mission universelle, mais il faut être lucides. Quand la France se présente comme "la patrie des droits de l'Homme", les gens applaudissent automatiquement. Elle n'est en fait, comme le rappelle Robert Badinter malicieusement, que la patrie de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.

Cela ne nous donne pas de baguette magique pour transformer la Russie en un gros Danemark. Si le discours sur les valeurs, tenu à nouveau par l'Occident depuis la fin de l'URSS avec d'autant plus de vigueur que nous n'avions plus peur de le tenir, produisait des effets, Poutine n'aurait jamais attaqué l'Ukraine, la Chine serait restée sur la ligne de Deng et ne serait pas devenue ce qu'elle est et la situation au Proche-Orient ne serait pas ce qu'elle est.

L'un de mes sujets de réflexion consiste à se demander ce que serait un Occident non-prosélyte, soucieux que ses valeurs soient adoptées par les autres pays en raison de leurs dynamiques propres, car tout le monde tient au respect des droits fondamentaux de l'être humain, plutôt que par l'envoi de missionnaires et de militaires– je n'ai pas la réponse. Répondre à cette question est difficile, tant elle ressortit à nos fondamentaux, par-delà les clivages politiques. Nous devons nous réinventer comme entité défendant sa civilisation et son mode de vie, sans l'imposer aux autres. Sur ce point, je suis proche de Lévi-Strauss.

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