Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Je suis très honoré, et intimidé, d'être devant vous. Étant citoyen français né en France de parents français, j'ai mes propres biais dans l'analyse de la relation entre l'Afrique et la France. Mon père est d'origine dahoméenne, ou béninoise, et a hérité de la nationalité française de mon grand-père : nous sommes donc Français dans la branche africaine depuis 1920. Ma mère est quant à elle Savoyarde. Pour moi, la relation entre la France et l'Afrique correspond à la relation entre le lobe droit et le lobe gauche du cerveau : c'est donc une question intime.

Par ailleurs, je suis fonctionnaire français d'extraction puisque je suis agrégé de l'université. J'ai été économiste et j'ai été enseignant à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. Ensuite, j'ai fait une carrière privée chez Danone, dans la banque Rothschild & Co – où j'étais associé gérant – et chez Paribas Affaires Industrielles, dont j'étais président. Je suis donc tout de même assez français dans mon expérience.

Néanmoins, mon oncle était président de la République du Dahomey dans les années 1960. Au Bénin, j'ai essayé de créer une entreprise, j'ai créé une fondation culturelle et, malgré de grands efforts pour ne pas rejoindre le gouvernement, j'ai fini par céder à mes devoirs civiques : j'ai donc été brièvement premier ministre de la République du Bénin et candidat à l'élection présidentielle, ce qui me permet d'avoir une relation avec le peuple qui me paraît essentielle. Ma présence devant vous montre que je n'ai pas été élu président de la République du Bénin et, le Bénin étant un pays démocratique, je peux encore être un citoyen actif dans mon pays, mais je n'en suis plus un responsable public.

Cette espèce de vie commune entre la France et l'Afrique crée de nombreux biais mais apporte également un peu d'expérience.

Je voudrais d'abord dire ma gratitude aux rapporteurs et à votre commission parce que je pense que ce rapport était nécessaire et je m'associe à beaucoup de ses recommandations. Je suis très sensible au fait que vous souhaitez qu'il y ait une politique africaine. Je pense d'ailleurs que la formule du président de la République en 2017, à Ouagadougou – « il n'y a plus de politique africaine » – était probablement un peu maladroite. J'ai une grande proximité avec le président de la République et je ne le critiquerai pas en profondeur mais je pense que ce n'était pas la bonne expression.

Je pense que vous insistez beaucoup, notamment quand vous parlez d'aide publique au développement (APD) et de l'Agence française de développement (AFD), sur la nécessité d'un portage politique. De plus, vous insistez sur les besoins de connaissance intime du terrain, qui avaient été rassemblés dans les équipes de l'ancien ministère de la coopération. Je pense que les sujets entre Afrique et Europe sont vraiment importants pour l'avenir du point de vue économique, culturel, des échanges de populations, etc. Je pense aussi qu'ils méritent d'être mieux identifiés, ainsi que mieux portés politiquement, et je me félicite que vous l'ayez dit.

Je vous remercie également d'avoir ouvert ce rapport par des considérations démographiques car la compréhension de la démographie africaine est déterminante, économiquement et politiquement. Vous la présentez comme un moteur de croissance. Toutefois, le plus intéressant n'est pas que nous soyons jeunes – l'âge médian au Bénin s'élève à 17 ans et demi –, mais que nous n'ayons pas encore de seniors. Les plus de 65 ans représentent en effet 5 % de la population du continent.

Cependant, il nous arrive quelque chose qui était arrivé à la Chine il y a cinquante ans et qui arrive aujourd'hui à l'Inde : la révolution démographique fait baisser la fécondité, qui part certes de haut, dans tous les pays d'Afrique et, dans une génération, nous aurons la population de jeunes actifs la plus nombreuse au monde. Ce fut un atout considérable de l'économie chinoise avant son vieillissement. Nous allons donc avoir la meilleure pyramide des âges d'un point de vue économique, c'est-à-dire celle qui dégage le plus d'épargne, qui crée le plus de vitalité et qui génère le plus de capacités d'innovation. De plus, nous aurons de moins en moins d'inactifs et pas encore beaucoup de personnes âgées. Nous avons la situation inverse de l'Europe pour nos mécanismes de protection sociale, où les inactifs à la charge des actifs sont de plus en plus nombreux.

Beaucoup de choses sont concentrées sur le contrôle des naissances et la maîtrise de la fertilité. Toutefois, des pays d'Afrique ont très peu d'enfants. Par exemple, la Tunisie a le même nombre d'enfants que la France et ce phénomène ne permet pas le renouvellement de la population tunisienne ; de plus, le Maroc ou l'Algérie sont désormais parmi les premiers à avoir des indicateurs quasi-européens de fécondité. Pourtant, la population tunisienne augmente car le vrai moteur en Afrique de la démographie correspond à l'augmentation de l'espérance de vie, et non à un excès de naissances. Même si nous avons encore les pires indicateurs mondiaux de mortalité, ils sont maintenant beaucoup plus encourageants qu'il y a dix ans.

Certains pays sont traumatisés au Sahel, comme le Mali, qui est en guerre depuis 2007 – et d'une façon aiguë depuis 2012, tandis que l'opération Serval date de 2013. Cependant, il a gagné dix ans d'espérance de vie lors des dix dernières années. Même des pays qui sont en guerre enregistrent des progrès d'éducation, d'autonomie des femmes, de santé publique et de rations nutritionnelles. Au moment de son indépendance en 1960, le Mali connaissait une espérance de vie à la naissance de 28 ans ; aujourd'hui, elle avoisine les 62 ans.

Je vous remercie également d'avoir insisté sur les nouvelles bases sur lesquelles construire une relation plus confiante et positive, de même que sur les sujets humains et culturels, ainsi que sur les approfondissements dans l'efficacité de l'APD. Vous avez en effet réussi à montrer qu'il était possible d'avoir une relation de plus en plus riche.

Vous avez également mis en lumière les besoins de meilleure connaissance pour le personnel diplomatique et d'APD – je crois d'ailleurs que vous faites confiance aux militaires pour être parmi les plus compétents sur le terrain. De manière générale, je trouve fondamental que vous mettiez en avant les aspects cognitifs et de connaissance. Dans la relation franco-africaine, une forme de déperdition cognitive affaiblit la France : on ne connaît pas l'Afrique, notamment sur le terrain économique. On est toutefois meilleurs dans les domaines culturels, académiques et de la santé. Cependant, il existe de véritables obstacles épistémologiques dans le domaine économique : la description, la perception ou la réputation des économies africaines sont en arrêt sur image sur les années 1960 ou 1970. Nous sommes très loin derrière les États-Unis, qui ont pourtant des relations économiques avec l'Afrique plus faibles que celles de l'Europe.

L'Allemagne est un cas plus particulier et est sûrement plus savante sur la Namibie que sur le Bénin. Toutefois, en matière d'appui à la démocratie, il existe la fondation Ebert et la fondation Konrad Adenauer, qui constituent une présence positive. Je crois qu'il est également très opportun que la France ait créé une fondation pour la démocratie. En effet, les deux grandes fondations allemandes – associées au SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) et à la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands) – représentent un multiplicateur d'influence puissant auprès de nos journalistes, syndicalistes et élus. Elles sont également très utiles aux valeurs de développement et de démocratie.

Il est aussi nécessaire de rappeler que la politique des visas dans le monde entier doit évoluer, comme Paul Hermelin l'a indiqué dans son rapport. Un de mes amis, qui est ambassadeur au Brésil, était en Chine au moment où M. Fabius était ministre des affaires étrangères. Il était consul général à Shanghai et a constaté que, pour entrer dans la zone Schengen, les touristes et hommes d'affaires chinois allaient chercher un visa au consulat général d'Allemagne, et non à celui de France car le délai y était beaucoup trop important. En effet, il était nécessaire d'envoyer toute l'équipe de Pékin à Shanghai pour faire à la main des distributions de visas. Le problème ne se pose donc pas qu'à Dakar et à Kampala. D'ailleurs, je suis souvent en Grande-Bretagne et, quand je vois une queue de trois heures devant le consulat français – la situation est parfois similaire à New York –, je suis rassuré par rapport à la file à Cotonou. Je crains que ce problème de visas soit générique et vous insistez beaucoup sur la création d'un ressentiment, notamment chez cette élite mobile dont on voudrait faire la conquête sentimentale.

Par ailleurs, j'ai peut-être trop d'amis dans la diplomatie française pour être aussi sévère que vous. Vous dites en effet qu'il faut une culture bien plus africaine, emphatique, de terrain et bien moins arrogante des fonctionnaires français sur le terrain. Cependant, nous avons probablement la diplomatie swahiliphone la plus remarquable du monde et notre diplomatie arabophone est assez exceptionnelle. Je ne suis donc pas tellement sûr que notre diplomatie ait tant de défauts sur le terrain mais la politique française n'est peut-être pas aussi claire. Je me félicite d'ailleurs d'avoir entendu Mme Colonna expliquer qu'il y aurait désormais un concours d'Orient avec des épreuves de peul et de mandingue.

En outre, vous n'avez pas beaucoup parlé de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), certainement par prudence ou parce que vous ne jugiez pas nécessaire de faire des commentaires sur elle dans un rapport d'information. Cependant, je ne crois pas du tout que la DGSE soit faible en Afrique et que ses interactions avec la diplomatie française soient réduites. Il existe en effet des échanges de personnels entre la DGSE et la diplomatie française et je pense que la première avait vu venir les rejets au Sahel.

Je vous rappelle d'ailleurs au sujet des coups d'État, le scandale qu'avait provoqué une note du centre d'analyse, de prévision et de stratégie du Quai d'Orsay datée d'avril 2020, en plein confinement, non destinée à la publication et décrivant ce que l'on avait appelé « l'effet Pangolin ». Cette note mettait en lumière des prévisions sur les coups d'État liés à l'affaiblissement des sociétés civiles et des économies, ainsi qu'à l'augmentation de la pauvreté exacerbée par la pandémie de coronavirus puis aggravée par l'inflation alimentaire liée à la guerre en Ukraine. Elle allait pratiquement jusqu'à identifier les pays susceptibles d'être touchés. Elle pointait donc la faiblesse d'un certain nombre de régimes, qui avaient peut-être duré un peu trop longtemps ou qui n'avaient pas pratiqué nécessairement tout ce qu'il fallait en matière démocratique.

Cependant, l'erreur résidait dans la prédiction selon laquelle ce seraient la société civile, les intellectuels, les diasporas et les églises qui allaient fomenter les changements de régime. En réalité, des officiers, formés à notre propre école de guerre, se sont avérés plus efficaces pour influencer les changements de régimes. D'ailleurs, l'école de guerre est devenue celle parmi les grandes écoles françaises qui compte le plus grand nombre de chefs d'État en exercice dans le monde : Saint-Cyr Coëtquidan a ainsi dépassé l'École normale supérieure ou l'École polytechnique. J'en veux pour preuve le Togo, qui joue actuellement un rôle de médiateur, essaie de lever les sanctions sur le Niger et cherche un compromis avec la junte nigérienne. Il joue également le rôle de passeur de messages de paix entre le Mali et le reste de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Or, l'aide de camp du président Faure Gnassingbé est l'ami et promotionnaire à l'école de guerre du lieutenant-colonel Goïta.

Vous dites que la France a renoncé à former les élites mais je n'en suis pas sûr. Le Maroc est tout de même gouverné par des polytechniciens, des centraliens et des ingénieurs des ponts. L'Afrique francophone a des élites qui sont en plus allées à Harvard ou Wharton et très peu d'entre elles viennent de Moscou ou de Shanghai.

En outre, j'aurais apprécié voir plusieurs points davantage développés dans votre rapport. Ils sont présents mais pas assez évoqués à mon sens.

Premièrement, les entreprises françaises constituent un pilier très important de la présence de la France en Afrique. Par exemple, vous évoquez une baisse de parts de marché de la France sur les marchés africains par rapport à la Chine et d'autres pays européens. Toutefois, la France a doublé le nombre d'entreprises françaises installées en Afrique entre 2010 et 2020. De plus, 4 000 entreprises françaises sont présentes à la chambre de commerce franco-marocaine au Maroc. Ce constat se retrouve dans énormément de pays. Par conséquent, la France exporte peut-être moins vers l'Afrique que vers d'autres pays mais cela s'explique par le fait qu'elle fabrique davantage sur le continent.

D'ailleurs, les parts de marché sont analysées dans les statistiques douanières mais que faites-vous des usines de Renault à Tanger, ainsi que de Peugeot à Kénitra et Kaduna, qui apparaissent dans les exportations marocaines ou nigériennes, étant donné que ce sont des véhicules destinés à l'Europe ou aux autres pays africains ? Certes les Pays-Bas et l'Allemagne progressent mais nous ne savons pas précisément, pour pouvoir dresser des comparaisons exhaustives, ce que représentent les entreprises françaises au niveau de la production locale. La France a une particularité historique car elle est le pays qui achète le plus d'actifs productifs à l'étranger, juste après les États-Unis. Ceci rapporté au produit intérieur brut (PIB), nous sommes des champions de multinationales achetant des actifs productifs.

Vous écrivez dans le rapport que la Belgique progresse fortement en Afrique dans les marchés, mais qui a acheté la Société générale de Belgique, qui possède l'Union minière du Haut Katanga, qui a acheté les centrales nucléaires ? D'ailleurs, Tractebel, Electrobel, Engie et Suez sont très présents en Afrique, mais qui est la première banque qui a acheté notamment la Belgolaise ? C'est la Banque nationale de Paris (BNP). La France devrait revendiquer une partie des parts de marché européennes car ce sont des entreprises françaises qui ont investi. Cependant, les chiffres bruts servent à exacerber un sentiment de déclin et font l'impasse sur le fait que l'économie française n'est pas l'économie belge ou allemande.

Vous trouvez que la Turquie progresse trop vite par rapport à un pays comme la France, mais la Turquie exporte des voitures françaises. De même, la Roumanie fait partie des pays qui vont le plus vite en croissance en Afrique, mais elle exporte essentiellement des Dacia qui appartiennent à Renault. Les entreprises représentent donc une grande force de la France.

Vous faites par ailleurs référence au syndicat patronal CIAN (Conseil français des investisseurs en Afrique), qui montre que les élites préfèrent en termes d'image positive les États-Unis, le Canada ou l'Allemagne, tandis que la France serait toujours reléguée. J'ai énormément d'amis au CIAN mais cet indicateur ne vaut absolument rien d'un point de vue méthodologique : l'échantillon n'est absolument pas significatif. De plus, les seules entreprises étrangères significatives dans les pays francophones sont Orange, Castel – qui réunit 37 000 salariés en Afrique –, Electricité de France (EDF), Engie, TotalEnergies, etc. La seule expérience des élites économiques des pays francophones réside dans les entreprises françaises.

Quand un salarié du Bénin a le choix entre un emploi dans une entreprise française et un emploi dans une entreprise chinoise, il n'a pas une minute d'hésitation. Les entreprises européennes, et françaises en particulier, ont l'image de respecter le droit du travail, notamment les entreprises cotées qui sont obligées de rendre des comptes. Cet indicateur sert donc seulement à nourrir le pessimisme et le déclinisme français. Le CIAN continue probablement de le produire pour obtenir plus de soutien de la République française en montrant que les entreprises françaises ne sont plus aimées. Toutefois, les personnes qui, en Côte d'Ivoire, préfèrent le Canada à la France doivent se compter sur les doigts d'une main.

Deuxièmement, le rapport contient un chapitre passionnant sur la géopolitique et la puissance française effacée. En tant qu'Africain, mon regard est différent, même si je le comprends en tant que Français, car votre rapport est un résumé des peurs françaises. Il fait allusion à un péril jaune terrible et au fait que la Chine nous écraserait du point de vue des investissements. Cependant, le stock d'actifs productifs de la République populaire de Chine est inférieur à celui du Portugal. Construire des infrastructures, des chemins de fer, des stades et le siège de l'Union africaine est formidable et crée de belles images mais, à nouveau, le stock de capital productif de la Chine est encore inférieur à celui du Portugal. Je ne vous parle même pas des deux grands pays en stock de capital que sont la Grande-Bretagne et la France pour des raisons historiques évidentes.

Par ailleurs, le rapport indique que les échanges entre la Chine et l'Afrique subsaharienne étaient inférieurs à 3 milliards de dollars il y a vingt ans, tandis qu'aujourd'hui, ils approchent les 60 milliards de dollars. Cependant, les importations chinoises vers l'Union européenne représentaient moins de 200 milliards de dollars il y a vingt ans, contre 650 milliards de dollars aujourd'hui. L'Afrique subsaharienne maintient, quant à elle, un équilibre dans ses relations commerciales avec la Chine, contrairement à l'Europe, qui enregistre un déficit de 390 milliards de dollars vis-à-vis de la Chine. En 2023, le déficit de l'Afrique subsaharienne vis-à-vis de la Chine devrait, quant à lui, s'élever à 2 milliards de dollars.

Même si les échanges entre la Chine et l'ensemble de l'Afrique s'élèvent environ à 250 milliards de dollars, la Chine ne s'intéresse pas encore au marché africain. Si vous nous transmettez à travers ce rapport la peur que la Chine déstabilise toutes les parts de marché, il faut être encore plus pessimistes : lorsque la Chine s'éveillera à l'intérêt du marché africain, il y aura de quoi trembler. Actuellement, l'Afrique sert de fournisseur de matières premières et, même si on nous vend du matériel de télécom, des chemins de fer, du textile et des jouets, nous ne servons pas de débouchés à la Chine. Cela arrivera, car le PIB du continent équivaut à l'addition des économies française et allemande. En réalité, nos matières premières sont transformées dans l'usine du monde qu'est la Chine pour la demande française et allemande. Tout le discours sur la néo-colonisation chinoise est donc dérisoire.

D'autre part, Vladimir Poutine, communique sur un total d'exportations de la Russie de 20 milliards, montant probablement surestimé et gonflé par les prix des hydrocarbures, du blé et des engrais ; les importations de la Russie venant d'Afrique représentent quant à elles 2 milliards. Je crois qu'il faut donc être prudents s'agissant de la peur russe car la Russie est l'ombre de ce qu'était l'Union soviétique. En effet, l'Europe absorbe une partie considérable des exportations d'Afrique, ce qui n'est pas du tout le cas de la Russie.

De même, les États-Unis ont diminué leur flux de commerce avec l'Afrique car ils sont devenus exportateurs nets d'hydrocarbures. Le Nigéria, l'Angola ou l'Algérie ont donc dû se tourner vers l'Inde, la Chine et l'Europe. Les États-Unis ont un discours qui se dissocie de celui de la France et, même si beaucoup de chefs d'État souhaitent venir à Washington parler avec le président Biden, la relation économique entre les États-Unis et l'Afrique est faible et en déclin, ce qui n'est jamais arrivé à l'Europe.

Troisièmement, je suis désolé d'aller contre une idée reçue mais il n'y a pas de rejet de la France par l'opinion en Afrique. D'ailleurs, personne ne la mesure. Il faut simplement admettre que, comme le monde entier, nous avons une opinion publique traversée par des courants différents. Je ne vais pas nier que nous ayons des souverainistes, des nationalistes ou des panafricanistes, qui sont des activistes et qui, dans les pays francophones, n'attaquent pas tout l'Occident mais plus spécifiquement la France, parce que c'est ce qu'ils font et ce qu'ils connaissent. Ils sont d'ailleurs souvent de nationalité française. Par exemple, on a découvert que Kémi Séba était franco-béninois lorsqu'il a fallu l'expulser du Sénégal. La France n'apparaissait pas comme un bon choix pour son renvoi, étant donné qu'il était le contempteur du franc CFA et le plus légèrement stipendié par Wagner. Ainsi, il était peut-être l'activiste le plus violent contre la France, et devait plutôt de ce fait être renvoyé au Bénin, mais il était surtout Français.

Nous avons le droit d'avoir nos extrémistes et personne ne dirait qu'il y a plus de souverainistes en France qu'en Afrique subsaharienne. Je crois qu'il y a d'ailleurs plus de populistes en France que chez nous. Par ailleurs, la France prend les attaques contre TotalEnergies au Mozambique, en Ouganda ou en Tanzanie comme des attaques à son encontre. Cependant, il s'agit d'une controverse levée par des organisations non-gouvernementales (ONG) françaises contre TotalEnergies. Les attentes des ONG africaines sur le développement du pétrole et du gaz en Namibie, au Mozambique et en Ouganda sont très grandes et le soutien à ce type d'investissement est écrasant parmi nos populations. Ces investissements français sont d'ailleurs les plus grands investissements jamais réalisés en Afrique, tous secteurs et géographies confondus.

Par conséquent, nous avons une opinion publique et on trouvera toujours 500 personnes pour faire le siège de l'ambassade de France à Niamey, mais les Nigériens sont 22 millions. Concrètement, on trouvera toujours de quoi remplir un stade parce que nous avons une opinion publique, des progrès de la démocratie – malgré les apparences –, ainsi qu'une liberté d'expression et des réseaux sociaux. Lorsque j'étais candidat à la présidence de la République du Bénin, j'apparaissais comme un blanc sur les réseaux sociaux : je suis d'ailleurs très habitué à être un blanc en Afrique comme je suis très habitué à être un noir en France. Par conséquent, j'apparaissais comme le « sale » blanc envoyé par François Hollande en tant que « gouverneur des colonies » : 10 % de la population du Bénin le pensait sans doute réellement, mais cet avis représentait peut-être 80 % de l'expression d'opposition sur les réseaux sociaux lors de la présidentielle et lorsque j'étais premier ministre. Ce sont des miroirs déformants et les armées réalisent d'ailleurs une étude dans le cadre des opérations de contre-influence sur l'origine des contenus, qui correspondent très largement à des fake news et qui nourrissent le rejet de la France.

Les diasporas sont, pour plus de la moitié des contenus utilisés en Afrique, qui circulent en Afrique et qui reviennent dans la presse française, les promoteurs des fake news. Même quand on dit qu'il existe un rejet de la France, je ne crois pas qu'il y ait de rejet des Français. Ces deux concepts sont très différents mais la presse et l'opinion françaises sont incroyablement sensibles aux images, et non à la critique de celles-ci. Lorsque vous avez 500 personnes devant l'ambassade de France à Niamey et qu'il est dit qu'on abaisse le drapeau au départ du dernier soldat, il est nécessaire de rappeler qu'il n'y a jamais eu de base française ni à Niamey, ni à Ouagadougou, ni à Bamako. On ne chasse pas de leurs bases les militaires français de Djibouti, de Libreville, d'Abidjan ou de Dakar. Seulement, des résolutions avaient demandé à la France de venir dans ces pays et, à partir du moment où les autorités publiques ne veulent plus des troupes françaises, elles partent mais ce n'est pas une expulsion à la suite de décennies de présence.

Par ailleurs, le fait d'abaisser le drapeau donne l'impression qu'on quitte l'Afghanistan ou le Vietnam mais les 1 200 militaires à Niamey n'ont jamais été là avant ces deux dernières années. Cependant, ce sont des images à très fort contenu. Pour rappel, l'ambassadeur de France au Mali que vous avez auditionné a été expulsé par le gouvernement malien pendant la présidentielle française, en 2022. À ce moment, deux dames très importantes de la vie politique française – dont chacune pouvait penser qu'elle serait présidente de la République –, à savoir Mme Pécresse et Mme Le Pen, ont aussitôt répondu sur les médias qu'il fallait expulser l'ambassadeur du Mali en France alors qu'il n'y en avait plus depuis deux ans et que la France avait refusé d'en accréditer un autre. Il est nécessaire d'être attentif à ces symboles, qui doivent être critiqués et traités en images. L'imaginaire du rejet français correspond à une peur française. Toutefois, ce qui devrait inquiéter la représentation nationale n'est pas la Russie, la Chine ou la Turquie mais plutôt les diasporas en France.

Il existe une diaspora à laquelle je ressemble, qui est au service de la relation franco-africaine et qui représente peut-être un atout. Votre rapport propose d'utiliser ce type de diaspora et de nommer des binationaux ou des descendants africains. Cette diaspora, du point de vue des catégories socioprofessionnelles, est certainement acquise, contrairement à celle des cités. Le risque de rejet français intervient en effet en cas de croissance de la perception des discriminations ou de l'inégalité des chances. Le fait que la majorité de nos enfants en France se perçoivent comme discriminés serait grave pour la relation franco-africaine. Le reste relève plutôt de l'imaginaire et le président de la République française a eu raison de mettre l'accent sur la politique culturelle, les restitutions d'objets d'art, le développement de la créativité et la cité de Villers-Cotterêts car cette relation est très immatérielle : c'est donc sur le terrain immatériel, culturel et de l'imaginaire qu'il faut se départir de l'idée que la France décline en Afrique et que la France est rejetée par l'Afrique.

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