Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Vous avez tout à fait raison de parler du changement climatique et l'Afrique est du côté de la solution, non de celui du problème. En effet, elle représente 18 % de la population mondiale et entre 2 % et 3 % des émissions de gaz à effet de serre. Notre consommation est faible, notamment car la moitié des ménages n'ont pas accès à l'électricité et parce que peu d'entreprises sont de grandes consommatrices d'électricité. En outre, l'Afrique compte encore des terres arables disponibles et des forêts qui continuent de jouer leur rôle, là où l'Amazonie commence de cesser d'être le grand puits carbone de la planète. Il est possible d'agir pour la reconstitution des forêts en zones de savane, qui sont en fait des savanes d'épineux, c'est-à-dire des forêts détruites, et de reforester l'Afrique avec des modèles économiques appuyés par des crédits carbone.

En outre, l'Afrique est maîtresse des solutions sur les matières premières critiques car elle a les plus grandes réserves mondiales de graphite, de cuivre, de coltan et de lithium. Une course effrénée y a d'ailleurs cours et la Chine, les États-Unis et l'Allemagne forment le podium. Toutefois, la France n'est pas complètement absente pour assurer des investissements dans ces matières premières qui sont critiques pour les batteries, l'automobile et toute une série de productions à bas carbone. Cependant, il existe aujourd'hui une certaine aversion au risque liée à la crise mondiale, qui explique que ces investissements ne progressent pas suffisamment rapidement. En tous cas, la France n'est peut-être pas assez rapide par rapport à l'Allemagne ou aux États-Unis.

Par ailleurs, l'Afrique comptera prochainement 2 milliards d'habitants en raison de l'augmentation de l'espérance de vie. Vous disiez que la fécondité se modifie moins rapidement mais il s'agit du mouvement le plus rapide jamais observé historiquement. Normalement, l'évolution de la fécondité n'est pas très plastique. Dans un pays comme le mien, dans la partie Sud, qui est plus mondialisée, les femmes ont en moyenne trois enfants, tandis qu'au Nord, près du Niger, ce chiffre atteint sept enfants par femmes. D'ailleurs, lorsqu'on demande aux populations du Sud combien elles souhaitent d'enfants, elles répondent trois, là où les réponses des populations sahéliennes de notre pays portent plutôt sur dix enfants. En effet, les enfants constituent une forme de sécurité dans des pays sans prévoyance sociale organisée, ainsi que la survie de la génération ascendante. De plus, lorsqu'on a dix enfants à cet endroit, on en perd six. Cette dualité est incroyable mais, dans les métropoles africaines, la fécondité est en très forte baisse, comme en Tunisie, au Maroc ou en Afrique du Sud.

L'APD doit aider ces pays dans leur souveraineté et dans leur industrialisation mais elle doit surtout aller plus vite.

Barkhane représente un succès militaire mais ce type d'opérations doit être accompagné d'efforts considérables pour créer de l'emploi dans ces pays – le Nord du Mali ou du Niger –, où les djihadistes, les trafiquants et le crime organisé recrutent. Il faut absolument des alternatives, des investissements et des créations d'emplois. L'APD n'est d'ailleurs pas du tout marginale puisqu'elle représentait 40 % du budget du Niger avant le coup d'État.

J'ajouterai à l'intention de madame Tabarot que vous écrivez, dans votre rapport d'information, que les gens demandent qu'on passe à l'acte : vous avez infiniment raison de dire qu'il faut un portage politique, parce qu'un ministre en charge a besoin d'actions étant donné que son tempo est rapide ; un fonctionnaire de l'APD est quant à lui là pour toujours et n'est pas soumis à ce tempo fondamental. Il m'apparaît nécessaire de progresser rapidement dans la coopération civile.

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