Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Je suis tout à fait d'accord avec vous : la France conserve des atouts très importants. En effet, beaucoup d'aspects immatériels sont essentiels, tels que la langue. Par exemple, les pays anglophones reçoivent, de façon démesurée par rapport aux pays francophones, des investissements directs parce que le fait de parler en anglais, de faire des contrats en anglais et de travailler en common law rassemble les grands investisseurs institutionnels. Le Ghana et la Côte d'Ivoire sont deux économies qui se ressemblent énormément mais le Ghana reçoit dix fois plus d'investissements étrangers, en moyenne période, car il se sert utilement de la langue, de la culture, ainsi que de la culture juridique anglaises. Le travail sur la francophonie est à mon avis très important : d'ailleurs, il y a maintenant beaucoup plus de locuteurs francophones en Afrique qu'en Europe. Il en va de même pour la coopération culturelle, muséale, en santé, etc.

Par ailleurs, nous avons des opinions publiques contrastées parce que, au Mali, je crois que la majorité de la population est très favorable à la junte, voulait se débarrasser du régime civil précédent et pense que la France entretenait des liens particuliers avec celui-ci. Il est vrai que le président Ibrahim Boubacar Keïta était membre de l'Internationale socialiste et avait une discussion avec M. François Hollande en tant que collègue à l'intérieur de l'Internationale socialiste. Son régime, qui constituait un progrès démocratique par rapport au passé, était perçu comme défaillant sur certaines dimensions, peut-être même sur l'intégrité ou sur son rejet des accords d'Alger. Pour rappel, le président Issoufou au Niger, le président Ibrahim Boubacar Keïta au Mali et le président Alpha Condé en Guinée ont été des membres de l'Internationale socialiste.

Mme la députée Abomangoli me demandait si la France dialoguait suffisamment avec les opposants mais les opposants démocrates des pays francophones sont réfugiés en France. Cependant, la situation de la Guinée et du Mali n'a rien à voir avec celle du Gabon, ce pour quoi il ne faut pas tout mélanger. Toutefois, il est probable qu'au Mali – un sondage de la coopération allemande semble le montrer –, M. Goïta va devenir un civil puis sera président.

Le président de la République insiste énormément sur le mémoriel avec l'Algérie ou le Rwanda et, au Mali, les populations négro-africaines se sont toujours méfiées des affinités entre la France et les populations arabes ou arabophones du Nord du Mali. Concrètement, l'idée d'une histoire séculaire entre les Touaregs et les Français a toujours créé un problème avec les populations majoritaires des rives du fleuve Niger. Ces éléments entrent dans l'imaginaire et n'ont pas de lien avec l'opinion publique gabonaise. Entre le Mali et la France, l'histoire est en effet très différente de celles des pays côtiers. Il y existe par exemple une longue fraternité avec la Russie et beaucoup d'élites maliennes ont été formées en Russie. Au Gabon, il n'y a pas un seul russophone. La Guinée aussi a eu des relations compliquées avec la Russie, mais durables contre la France du temps de Sékou Touré. Par conséquent, chaque pays a des opinions publiques et des situations différentes.

De plus, les problèmes ethniques dans certains pays sont beaucoup moins sensibles que dans d'autres, ou du moins pas de la même façon. La France, pour des raisons historiques, est associée à ces problèmes. A-t-elle poussé les Peuls ? Était-elle l'amie des Touaregs contre les Bambaras ? Nous avons la chance et la richesse d'une histoire commune très longue mais deux générations seront encore nécessaires pour que cette mémoire soit documentée, objectivée et dépassée.

Même l'esclavage a encore une actualité dans l'imaginaire des populations en Afrique car la loi Houphouët-Boigny sur le travail forcé, qui est quand même l'autre nom de l'esclavage, est passée devant l'Assemblée nationale en 1946. Il existe donc encore des survivants du travail forcé. Les situations sont donc différentes dans chaque pays et les histoires avec la France sont passionnantes et expliquent pourquoi la diaspora malienne est la plus grande diaspora subsaharienne dans ce pays. Par exemple, Europe Écologie-Les Verts doit beaucoup à la communauté malienne à Montreuil. Cette richesse d'échanges correspond également à une mémoire incroyablement complexe et il faudra encore deux générations pour dissiper les imaginations de défiance.

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