Intervention de Thomas Ménagé

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Ménagé :

Alimentation, santé, coaching, formation, spiritualité : les dérives sectaires progressent en France et n'épargnent aucun de nos concitoyens, qui peuvent tous être, à un moment ou à un autre de leur vie, confrontés à ce danger. Les chiffres, en augmentation constante, parlent d'eux-mêmes : en 2021, selon l'exposé des motifs du projet de loi, 4 020 signalements ont été enregistrés, soit plus de dix par jour.

Le problème de société auquel nous faisons face appelle une réponse forte et consensuelle, mais pas à n'importe quel prix. Le Conseil d'État rappelle, dans son avis, qu'il faut légiférer d'une main tremblante car nous touchons ici à des libertés publiques essentielles comme la liberté d'expression, d'opinion ou de conscience. En ce sens, et contrairement au projet initial du Gouvernement, le texte que nous examinons aujourd'hui, modifié par le Sénat, nous apparaît satisfaisant, sous réserve de quelques ajustements techniques.

Certaines dispositions sont souhaitables, telles que la sanctuarisation au niveau législatif d'une administration chargée de la lutte contre les dérives sectaires. Pour rappel, la Miviludes a été menacée de disparition en 2019 et en 2022, quand elle n'apparaissait plus dans les attributions d'aucun ministère, et le budget qui lui est alloué n'a fait que baisser ces dernières années. Une meilleure association des élus locaux, en particulier des maires, qui sont souvent les premiers interlocuteurs, est aussi une idée de bon sens. De même, une meilleure appréhension de l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie sur internet semble être un impératif face au développement du charlatanisme. Je citerai l'exemple tout récent d'un habitant de Nice qui utilisait sa page Facebook pour vanter les mérites de la biorésonance, qu'il présentait comme une thérapie de médecine quantique permettant de prévenir le cancer ou l'autisme. Il est évident, pour nous tous ici, qu'il faut sévir rapidement et efficacement face à de tels agissements.

Si nous soutenons ces dispositions louables, je tiens cependant à revenir sur le texte initialement déposé par le Gouvernement, qui contient des mesures dont les députés de la majorité ainsi que vous, madame la rapporteure, souhaitent la réintroduction par notre commission. Ce texte initial, la rapporteure de la commission des lois du Sénat l'a elle-même qualifié de « projet d'affichage au détriment de la qualité de la loi ».

L'article 1er relève plus du réagencement juridique que de la véritable réforme législative. Alors que la loi About-Picard de 2001 a montré son efficacité, il n'apparaît pas indispensable d'autonomiser l'infraction de mise sous sujétion d'une personne et d'abus frauduleux de cette sujétion – nous aurons l'occasion d'en débattre ce matin. Ce réaménagement pourrait même avoir des effets néfastes. Comme l'indique la rapporteure du Sénat, le doublement d'infractions déjà existantes « risque d'entraîner des confusions dommageables dans l'application du droit pénal, notamment s'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales ». Il faut donc encore une fois légiférer d'une main tremblante et s'interroger sur l'efficacité et l'utilité des mesures que nous voterons ou non ce matin.

Cela est d'autant plus vrai que les députés du groupe Rassemblement national voient dans la réintroduction de l'infraction définie par l'article 4, supprimé par le Sénat, une ligne rouge qui ne saurait être franchie. Qui trop embrasse mal étreint. Dans son avis du 17 novembre 2023, le Conseil d'État avait déjà souligné que « ni la nécessité ni la proportionnalité de ces nouvelles incriminations [n'étaient] avérées ». Pire, elles sont sans aucun doute inconstitutionnelles alors même que le droit existant répond déjà à l'objectif poursuivi.

Prenons garde à ne pas vouloir légiférer pour légiférer, au risque de rater le but que nous partageons tous, celui de lutter contre les véritables dérives sectaires. Si ce texte avait été en vigueur, Irène Frachon n'aurait jamais pu révéler le scandale du Mediator car l'ensemble des éléments matériels de cette nouvelle infraction auraient été constitués. Des milliers de personnes auraient peut-être perdu la vie ou souffert d'effets secondaires supplémentaires. Tout le débat scientifique et médical risque d'être mis sous cloche, provoquant soit l'autocensure de certains médecins, soit la condamnation d'autres sur la base de données faussées. Ce n'est pas le groupe Rassemblement national qui le dit mais le Conseil d'État, qui exprime des craintes notamment pour les lanceurs d'alerte. Il n'existe aujourd'hui aucun vide juridique puisque d'autres infractions, confirmées par le juge constitutionnel et par la pratique, permettent déjà de punir les cas ciblés par l'article 4.

Nous suivrons une ligne raisonnable, préservant l'équilibre entre la lutte contre les dérives sectaires et la protection des libertés publiques.

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