Intervention de Hadrien Clouet

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHadrien Clouet :

Notre collègue rapporteure du Sénat a déclaré : « Certes, ce texte comporte des imperfections. Toutefois, la navette parlementaire pourrait porter ses fruits ; c'est en tout cas ce que nous espérons vivement. » Manifestement, ses espoirs sont douchés, ce qui est d'autant plus malheureux que la lutte contre les dérives sectaires est une politique d'intérêt public que nous approuvons tous, sur tous les bancs. Rien que dans ma circonscription, on trouve la Communauté des Béatitudes, qui soigne les gens en invoquant l'Esprit saint, tandis que la Communauté des douze tribus a échoué à s'installer à Toulouse. Nous ne pouvons donc que soutenir l'action résolue des associations, qui est vraiment nécessaire.

Dès lors, ce texte aide-t-il les associations à renforcer leur action ? En l'état, non. La copie initiale du Gouvernement le permet-elle ? Non plus. C'est pourquoi les propositions que nous allons vous soumettre dessinent une voie étroite, entre un texte d'utilité réduite, comme l'est celui que nous avons reçu, et le texte inapplicable que nous obtiendrons si l'ensemble des amendements gouvernementaux sont adoptés.

Le texte du Gouvernement, loin d'être l'ambitieux projet transpartisan nourri des réflexions des assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires, est en effet devenu un texte assez fourre-tout qui, en quelques articles répressifs, entend régler le problème à la fois des dérives sectaires et des dérives thérapeutiques. Or on n'émancipe pas les gens par la seule poursuite des gourous dangereux, mais en leur permettant de faire des choix de vie éclairés, en adéquation avec les connaissances les plus avancées de la société.

Ici, aucune mesure préventive, éducative ou d'aide aux victimes – et pour cause : les budgets de l'enseignement supérieur et de la recherche, de l'éducation nationale, des finances publiques, de la répression des fraudes et de la santé publique ont été largement sabrés ces dernières années.

Le cadre assez rigide qui nous est proposé pour lutter contre les dérives sectaires a rendu irrecevables plusieurs de nos amendements qui ambitionnaient, par exemple, de protéger le monde de la formation professionnelle. Ils ont été jugés hors sujet dès lors que le texte présenté était uniquement répressif.

Vous ne tenez compte ni des propositions du rapport Mézard, pourtant très riche, ni de celles issues des assises nationales de la lutte contre des dérives sectaires, alors même que l'étude d'impact souligne les difficultés liées à l'absence de service d'enquête dédié. À la page 35, il est ainsi précisé « qu'en dehors de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), il n'existe pas de service enquêteur spécialisé dans les phénomènes sectaires ». Sur ce plan-là, que change le texte ? Rien. Cette surdité vous a contraints à faire circuler, depuis six mois, un brouillon retoqué à peu près partout et réécrit trois fois pour faire suite aux observations du Conseil d'État.

Ce même Conseil d'État, qui n'est pas connu pour être une officine gauchiste, vous reproche de mettre en danger plusieurs libertés fondamentales. Les sénateurs l'ont suivi, à raison, et ont continué à hacher menu le texte d'étape en étape. Ils proposent d'inscrire dans la loi l'acteur central de la lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes : c'est la moindre des choses puisque ses effectifs ont été sabrés, qu'elle a survécu deux ans sans présidence et qu'elle se trouve rattachée au ministère de l'intérieur plutôt qu'à Matignon. Ils proposent aussi que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) soient saisis des dérives sectaires : cela ne compensera pas les baisses de dotation mais, là encore, c'est toujours cela de pris. Les autres dispositions proposées se limitent malheureusement presque exclusivement à des peines. Une partie d'entre elles concernent le secteur du numérique mais sont déjà prévues par le projet de loi Sren. Le champ d'application des autres est beaucoup trop vague, ce qui risque de les rendre inopérantes. Bref, la loi deviendrait un simple outil de communication gouvernementale.

C'est ce que représentait, en l'état, l'article 4, balayé au Sénat, qui sanctionnait la provocation à adopter des pratiques exposant la victime à un risque immédiat pour sa santé. Nous sommes tout à fait d'accord pour protéger les personnes menacées par des discours pseudo-thérapeutiques ; mais il existe déjà une peine sanctionnant la mise en danger de la vie d'autrui. Cela montre bien que, sans moyens accordés à la prévention, à l'enquête et à la justice, l'ensemble du texte relèvera du verbiage.

Si l'on ne voit pas très bien ce qu'apportent ces nouvelles peines, on comprend encore moins pourquoi vous dessaisissez des associations d'utilité publique – qui peuvent, conformément aux dispositions du code de procédure pénale, se constituer partie civile – au profit d'associations que vous désignerez vous-mêmes. Je sais que tout le monde n'est pas Marlène Schiappa, mais si l'on pouvait avoir des règles un peu strictes s'agissant du recours aux associations et de leurs prérogatives, on ne s'en porterait que mieux. La constitution de partie civile nécessite une expertise du sujet concerné et une solidité juridique et financière – deux qualités tout aussi indispensables pour rédiger ce texte, en l'état défaillant.

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