Intervention de Mélanie Thomin

Réunion du mercredi 14 février 2024 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMélanie Thomin, rapporteure :

Au 31 décembre 2023, 25 313 de nos concitoyens attendaient encore le versement de leur pension par le régime général d'assurance vieillesse alors même que la date de leur départ en retraite était passée, parfois depuis plusieurs mois.

À ces 25 313 salariés s'ajoutent près de 7 500 agriculteurs et 3 300 fonctionnaires qui, malgré une vie de labeur, ne bénéficient pas de leur pension de retraite à la date souhaitée alors qu'ils ont cessé leur activité professionnelle.

Intolérables, ces ruptures de ressources alimentent une défiance envers notre système de retraites par répartition – défiance qui croît depuis plusieurs années. Selon un sondage Odoxa d'octobre 2023, les non-retraités sont à peine 39 % à avoir confiance dans le système de retraite.

Le débat qui s'est tenu à l'occasion de la réforme des retraites a largement contribué à accroître l'inquiétude de nos concitoyens. Outre le report de deux ans de l'âge de départ et l'accélération du calendrier d'allongement de la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein, auxquels s'oppose une grande majorité de Français, de nombreuses mesures dites d'accompagnement n'ont pas encore produit leurs effets – soit que les décrets d'application tardent à être pris, soit qu'ils ne correspondent pas aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Ainsi, alors que la réforme promulguée en avril dernier prévoyait une revalorisation des pensions des retraités les plus modestes dès le 1er septembre 2023, un nombre encore important d'entre eux attendent encore les versements correspondants, six mois plus tard.

Méconnaissant les conclusions de la mission « flash » menée par Paul Christophe et Arthur Delaporte en décembre 2022, le Gouvernement a décidé, par voie réglementaire, de ne pas prendre en compte les trimestres validés par les personnes qui ont été employées dans le cadre de travaux d'utilité collective (TUC) pour déterminer l'éligibilité au dispositif de départ anticipé pour carrières longues.

De même, les sapeurs-pompiers volontaires attendent la parution du décret permettant la prise en compte de leurs années de service sous la forme de trimestres supplémentaires pour leurs droits à la retraite.

Enfin, malgré un vote à l'unanimité à l'Assemblée nationale et le vote conforme du Sénat dès la première lecture, la loi du 13 février 2023 subit déjà les tentatives du Gouvernement d'enterrer la réforme visant à prendre en compte les vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites agricoles. Le rapport remis en application de la « loi Dive » écarte en effet les scénarios qui seraient les plus bénéfiques aux agriculteurs pour en privilégier d'autres par construction moins favorables.

En tant qu'élue d'un territoire rural, je me dois de rappeler que les agriculteurs continuent de percevoir des pensions près de deux fois plus faibles que celles du reste de la population, en dépit des difficultés qu'ils connaissent et que personne dans cette commission ne peut contester.

Dans ce contexte de défiance, il me semble urgent de réintroduire une forme de sérénité dans le moment si particulier et si important qu'est le passage à la retraite. Tel est l'objectif de la proposition de loi que j'ai l'honneur de présenter, qui vise à permettre aux retraités de toucher leur pension dès le premier jour.

À l'image de notre système de retraite, le calcul des droits à la retraite est une opération complexe. Elle suppose de reconstituer la carrière de l'assuré pour définir le montant précis de la pension à laquelle il peut prétendre. Cette opération est d'autant plus délicate qu'un nombre croissant de Français sont désormais polypensionnés, c'est-à-dire qu'ils ont été affiliés successivement ou simultanément à plusieurs régimes de retraite.

Cette complexité justifie que le traitement des demandes de départ prenne du temps aux caisses de retraite. Au régime général, le délai de traitement moyen des demandes est de soixante-dix jours, mais certains dossiers complexes prennent plusieurs mois. En tout, ce sont près de 15 % de l'ensemble des dossiers en cours de traitement au régime général qui présentent un retard de paiement. Si la Mutualité sociale agricole n'a pas été en mesure de nous indiquer le délai de traitement des dossiers déposés par ses adhérents, les auditions ont toutefois permis de révéler que plus de 50 % des dossiers de départ à la retraite des agriculteurs font l'objet d'un paiement après la date souhaitée de départ !

Deux causes principales expliquent ce phénomène.

La première raison réside dans la complexité de certains dossiers, particulièrement aiguë pour les assurés polypensionnés, les invalides qui demandent une reconnaissance médicale, les assurés aux carrières hachées ou ayant exercé une partie de leur carrière à l'étranger.

La seconde raison réside dans le fait qu'un certain nombre de futurs retraités déposent encore leur demande de départ tardivement, dans des délais qui ne leur permettent pas de bénéficier de la garantie de versement créée par le décret du 19 août 2015. Ce dispositif impose aux caisses de retraite de procéder au versement de la pension des assurés ayant déposé leur demande au moins quatre mois civils avant la date de liquidation dès le mois suivant leur départ à la retraite. Il ne s'applique toutefois ni aux fonctionnaires, ni aux exploitants agricoles.

Certes, les caisses de retraite ont pris des mesures pour faciliter le traitement des dossiers et pour les ruptures de ressources des nouveaux retraités. Nous nous en réjouissons. Outre les démarches de communication ciblées et le développement des échanges inter-régimes, elles procèdent de plus en plus à des liquidations provisoires, avec un calcul « en l'état » fondé sur les informations dont elles disposent. Cette procédure, qui concernait un peu plus de 13 % des demandes du régime général en 2021, a été appliquée à près de 20 % des dossiers en 2023. Elle n'est toutefois encadrée par aucun texte législatif ou réglementaire et exclut de fait un certain nombre de nos concitoyens.

Face à ce constat, le texte que nous nous apprêtons à examiner propose d'instaurer un bouclier social pour la retraite, sous la forme d'une pension temporaire versée aux retraités dont la demande de liquidation, déposée au moins un mois civil avant la date effective de départ à la retraite, n'aurait pas été traitée dans les délais souhaités.

Cette proposition revêt deux intérêts principaux.

D'une part, elle limite les situations de rupture de ressources en permettant à l'assuré de toucher une partie de sa pension dès le mois suivant son départ à la retraite, et ce même si sa demande de liquidation n'a pas été définitivement traitée par les caisses de retraite.

D'autre part, elle renforce la confiance des assurés envers ces caisses, qui doivent traiter un nombre toujours plus important de dossiers malgré les constantes suppressions de postes qu'elles subissent.

Le bouclier social pour la retraite protégerait la grande majorité de nos concitoyens, qu'ils aient été salariés, indépendants, fonctionnaires ou agriculteurs. Ainsi, parmi les 875 000 assurés ayant liquidé un droit direct en 2021, 98 % étaient affiliés à au moins l'un des régimes concernés.

Grâce au dispositif prévu par l'article 1er, certains assurés, qui ne sont pas éligibles à la garantie de versement au motif qu'ils n'ont pas suffisamment anticipé le dépôt de leur demande de liquidation, pourront au moins bénéficier d'une pension temporaire le temps de l'instruction de leur dossier. Cela permet de couvrir les personnes qui ont le plus de difficultés à accéder aux informations sur leurs droits à la retraite et les procédures de liquidation.

En pratique, le montant de la pension temporaire serait calculé par référence aux documents transmis aux assurés par les caisses de retraite, dans le cadre de leur droit à l'information. Je veux lever une ambigüité qui a fait l'objet de débats lors des auditions : l'estimation indicative globale sur laquelle se fonde ce calcul n'est pas une simple simulation faite par un assuré curieux de connaître ses droits en fonction d'hypothèses qu'il pourrait modifier à sa guise. Il s'agit d'un document dont la transmission est une obligation légale et que les caisses de retraite produisent sur la base des informations figurant dans le relevé de situation de l'assuré. Remettre en cause la fiabilité de l'estimation indicative globale revient à remettre en cause la qualité des renseignements dont disposent les caisses de retraite et, plus largement, la pertinence des outils d'information à destination des assurés.

Une fois le montant de la pension définitivement arrêté, la différence avec celui de la pension temporaire perçue ferait l'objet d'une régularisation, avec la possibilité d'échelonner le remboursement en cas de trop-perçu.

Les travaux préparatoires m'ont permis d'identifier plusieurs possibilités d'amélioration. Il s'agit notamment des risques d'indus ou de la situation particulière des personnes qui, pensant à tort avoir atteint l'âge de partir à la retraite, voient leur demande de départ refusée. J'aurai l'occasion de revenir sur ces sujets lors de l'examen des amendements que j'ai déposés.

Le texte que je vous propose vise à répondre à une question simple mais cruciale : accepte-t-on, en 2024, que plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens attendent chaque mois le début de versement de leur retraite, ce droit acquis après une vie de travail, une vie à cotiser pour assurer le financement de la sécurité sociale ?

Pierre Laroque disait : « La sécurité sociale répond [...] à la préoccupation fondamentale de débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain. » Près de quatre-vingt ans après la création de la sécurité sociale, je crois que cette proposition de loi participe, modestement mais concrètement, à cette œuvre ambitieuse.

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