Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du mercredi 28 février 2024 à 14h00
Suites données à la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

La commission d'enquête sur les raisons de la perte de la souveraineté énergétique de la France a mis en évidence les erreurs stratégiques des trente dernières années, commises par chaque camp politique, faites de mauvais choix, d'atermoiements ou de changements de pied au détriment de l'investissement ou du maintien du savoir-faire industriel.

Lors de la conclusion de ses travaux, en mars 2023, la commission insistait sur la nécessité de déployer une ambition industrielle et écologique à l'horizon 2050, inscrite dans une loi-cadre, en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles, en accélérant la marche vers la sobriété et l'efficacité et en recherchant une évolution du cadre européen, trop défavorable aux spécificités françaises. Un an après, où en sommes-nous ? En premier lieu, aucune vision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) n'a été proposée par le Gouvernement ni n'a fait l'objet d'un débat au Parlement alors qu'il est prévu par la loi. Même la révision du seul volet nucléaire de la PPE, à défaut de révision globale, semble avoir pris un important retard.

C'est d'autant plus dommageable que la recherche de coalitions majoritaires différentes selon les textes législatifs en matière d'énergie génère des incohérences d'ensemble dans les priorités fixées. S'agissant de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, à l'élaboration de laquelle nous avons très largement contribué, la volonté d'aboutir à un accord en commission mixte paritaire (CMP) avec la droite au Sénat a rendu inopérantes les dispositions relatives à la planification territoriale. Quant aux autres dispositions, une large coalition de nos collègues, allant de Dominique Potier à Éric Bothorel, juge inacceptable le projet de décret sur l'agrivoltaïsme. Nous avançons donc encore très péniblement quand le Danemark, par exemple, a doublé depuis dix ans la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique.

Une loi visant à accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires a bien été votée en juin 2023 et quatre des six décrets d'application qu'elle requiert ont été pris, celui relatif à la notion de proximité immédiate devant l'être très bientôt. Cependant, comme cela a été rappelé dans le rapport d'application à six mois, présenté il y a une dizaine de jours, cette loi ne sera efficace que si l'État mobilise effectivement d'importants moyens supplémentaires dans ses services instructeurs, au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), au-delà même de la question des moyens humains nécessaires pour concevoir puis construire ces installations.

À cet égard, nous apprenions il y a quelques jours que la mise au point définitive du basic design des réacteurs pressurisés européens (EPR 2) connaîtrait un retard d'au moins neuf mois et que la réévaluation du coût des six premiers réacteurs, estimé à 52 milliards d'euros en 2021, serait renvoyée à la fin de 2024. Or le dérapage pourrait être considérable car, outre l'explosion du coût des matières premières depuis trois ans, le coût du financement, que la Cour des comptes estimait en 2020 à 4 milliards d'euros pour Flamanville 3, a également fortement progressé. Alors qu'EDF est déjà très endetté, et face à la menace financière que fait peser le projet d'Hinkley Point, la question de la capacité du groupe à faire face à un tel niveau d'investissement – sans parler du programme du grand carénage – est sérieusement posée.

Bien plus que la durée des procédures d'urbanisme traitées par la loi d'accélération, la question des moyens financiers et humains est au cœur de la faisabilité de l'ambition présidentielle pour le nucléaire. Elle se pose d'autant plus que, pour EDF, elle est aussi liée à la question de l'application du cadre de régulation devant succéder à l'Arenh, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, ainsi qu'à celle du devenir des concessions hydroélectriques. Le report sine die du projet de loi relative à la souveraineté énergétique nous inquiète à cet égard. Alors qu'EDF et l'État ont annoncé avoir trouvé un accord, la réalité du marché semble remettre celui-ci en question. Où en sommes-nous des discussions sur le futur prix de référence pour EDF ? Est-il désormais nécessaire de revenir à une logique de contrats de long terme, préférable à celle des contrats sur la différence (CFD) ?

Monsieur le ministre, les enjeux sont colossaux, qu'il s'agisse de renouveler la capacité nucléaire historique – alors que la prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs demeure incertaine –, du développement massif des énergies renouvelables, de la construction des nouvelles centrales que vous appelez de vos vœux ou de l'accompagnement d'un mix diversifié. Il est impératif de donner aux industriels et aux acteurs économiques des perspectives et une vision, d'autant que la France n'est pas à l'abri, dans ce contexte géopolitique tourmenté, de subir un nouveau choc des énergies fossiles. Nous ne pouvons donc plus attendre. À quand un projet de loi de programmation pour l'énergie et le climat ? À quand la réforme du cadre post-Arenh ? À quand le règlement de la situation de contentieux européen sur les concessions hydroélectriques, pour libérer enfin les investissements dont a besoin cette filière d'excellence, indispensable à l'équilibre de notre système électrique et à la gestion de la pointe ? À quand la validation des dossiers d'augmentation de puissance des barrages dont on a tant besoin ? Monsieur le ministre, le temps presse. Nous sommes prêts, alors agissons !

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