Intervention de Emmanuel Vire

Réunion du jeudi 8 février 2024 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes-CGT :

Nos quatre syndicats sont représentatifs de la profession ; l'intersyndicale est forte et unie. Je me reconnais totalement dans les propos de mon camarade Antoine Chuzeville, à l'exception de ceux concernant l'instance de déontologie.

Le problème ne date évidemment pas de la loi Bloche de 2016. Notre première déclaration en faveur de la reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle date de 2008. Mais nous avons l'impression de ne jamais être entendus, et que tout se décide sans nous. L'épisode d'hier révélé par Médiapart est stupéfiant. Comment des élus du peuple peuvent-ils prendre de telles dispositions sans s'adresser d'abord aux syndicats de journalistes ? Nous avons rencontré le même problème avec le gouvernement sur le schéma national de maintien de l'ordre dans la loi dite « sécurité globale ».

Secrétaire général du SNJ-CGT depuis 2010, je suis journaliste chez Géo, dans le groupe Prisma Media, qui a été racheté par Vincent Bolloré en juin 2021 et peux vous certifier qu'il n'est pas facile de travailler sous la coupe d'un milliardaire qui cherche à bâtir un groupe de presse d'extrême droite. Nous luttons depuis plus de quinze ans contre le phénomène de concentration des médias. Pendant quinze ans, on nous a dit que sans les milliardaires, la presse sombrerait, faute de financements. Mais avec eux, avec les Bolloré et les Dassault, la casse sociale est immense. Nous sommes passés de 40 000 à 34 000 journalistes en huit ans.

Quand M. Bolloré a racheté le premier groupe de presse magazine, Prisma Media, la moitié des journalistes a décidé de partir, en exerçant leur droit à la clause de cession. Il en a remplacé 40 % et nous sommes passés de 400 à 360 cartes de presse, pour accomplir le même travail. Cette situation n'est plus tenable, alors que nous nous apprêtons à fêter les 80 ans du programme du Conseil national de la résistance, dont les premières ordonnances portaient sur la liberté de la presse et la concentration.

Nous attendons d'abord de ces États généraux qu'ils assurent le pluralisme en luttant contre la concentration, en refondant complètement la loi de 1986. Nous avons peu d'espoir, mais nous maintiendrons toujours notre position, car dans les rédactions, nous subissons la pression de ces milliardaires. Il faudrait ainsi refondre la loi de 1986 en abaissant les seuils de concentration des médias, en intégrant pour leur calcul l'ensemble des supports papier et numérique et en supprimant le critère de périodicité.

Les seuils doivent prendre en compte la concentration horizontale – le nombre de titres détenus –, mais aussi verticale, c'est-à-dire inclure les activités en amont et en aval de la seule production des diffusions d'informations. Ces seuils doivent s'appliquer au niveau national, mais aussi niveau régional : dans la plupart des métropoles de France, il n'existe souvent plus qu'un seul quotidien. Dans l'est de la France, le Crédit Mutuel et le groupe Ebra ont créé un petit bureau à Paris avec une vingtaine de journalistes qui produisent l'ensemble de l'information nationale et internationale pour l'ensemble du groupe, limitant les titres du groupe à l'information locale.

Nous n'en pouvons plus de cette situation, notre profession va très mal. Aujourd'hui, 30 % des journalistes sont précaires, ce qui pousse 40 % des jeunes journalistes à quitter la profession au bout de sept ans.

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