Intervention de Rodolphe Belmer

Réunion du jeudi 8 février 2024 à 14h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Rodolphe Belmer, président-directeur général du groupe TF1 :

On observe effectivement un changement d'échelle dans l'intensité concurrentielle du secteur des médias. Alors que la concurrence s'est longtemps limitée aux acteurs locaux qui bénéficiaient des fréquences hertziennes attribuées par l'État dans un périmètre géographique donné, le développement de l'internet 2.0 comme vecteur de distribution de contenus audiovisuels a permis aux opérateurs d'intervenir à une échelle plus large et entraîné l'émergence d'acteurs mondiaux comme Netflix, Disney ou YouTube. Nous ne critiquons pas ces plateformes de SVOD, qui sont entrées sur le marché français avec les avantages liés à leur taille mais que nous avons réussi, collectivement, à intégrer à notre écosystème de la création. Ces opérateurs sont désormais des contributeurs importants à la création audiovisuelle nationale, parfaitement intégrés à la chronologie des médias et au financement des œuvres.

En revanche, il convient d'être attentif aux asymétries de concurrence. Nous, acteurs français, devons développer des offres pertinentes, suscitant l'intérêt des téléspectateurs. Nous devons donc être capables de financer aussi bien que nos concurrents – et même idéalement mieux qu'eux – une ligne de programmes de divertissement et, en ce qui nous concerne, d'information de très grande qualité à destination de la population française. En tant qu'acteurs du gratuit, nous sommes en concurrence assez indirecte avec les opérateurs payants que sont Netflix, Disney et Amazon Prime, mais nous souffrons d'asymétries réglementaires ou législatives qui ne nous permettent pas de monétiser le marché publicitaire français aussi bien que nos nouveaux concurrents. Or c'est de notre capacité à monétiser que dépend notre capacité à investir dans les contenus.

Ces asymétries sont multiples. Ainsi, la France interdit à certains secteurs industriels de faire de la publicité à la télévision. C'est le cas, par exemple, pour le secteur de l'édition – c'est vrai, il ne faudrait quand même pas donner aux gens envie de lire ! Moins drôle est la prohibition de la publicité télévisée pour les produits en promotion dans la grande distribution. Il s'agit là d'un marché énorme auquel nous n'avons malheureusement pas accès. Les 2 milliards d'euros investis dans ce type de publicité audiovisuelle sont donc captés dans leur très grande majorité – on parle de 65 %, même s'il n'existe pas de chiffres véritablement établis – par les géants du numérique ou Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). En d'autres termes, la réglementation française a créé une réserve à faible intensité concurrentielle pour ces géants du numérique, au moment même où la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience » prévoit la suppression des prospectus publicitaires distribués dans les boîtes aux lettres – et voici 2 autres milliards d'euros que les acteurs de la distribution consacrent à générer du trafic dans leurs points de vente qui devront être réinvestis dans d'autres outils et dont nous ne pourrons pas bénéficier : ils iront à nouveau aux Gafa, qui, par ailleurs, sont soumis à une fiscalité assez favorable, n'ont pas d'obligation d'investissement et contribuent très faiblement à la création nationale.

Pour nous, la question de la souveraineté rejoint donc celle de la vitalité économique des acteurs audiovisuels français. Il s'agit de permettre à ces derniers de financer des œuvres françaises de qualité. Nous sommes innovants, nous avons envie de nous battre pour continuer de créer des contenus pour nos concitoyens et de nous développer à l'étranger. Donnez-nous les moyens de le faire ! Nous avons des boulets aux pieds, et c'est de plus en plus insupportable.

Autre exemple d'asymétrie : en France, alors que la consommation et la publicité sont entrées dans l'ère du numérique, il est interdit de donner l'adresse d'un magasin dans le cadre d'une publicité à la télévision. Je ne peux pas dire qu'un nouveau magasin Ikea ou Casino ouvre à Bourges, Nevers ou Saint-Étienne – mais bien sûr, les Gafa en ont le droit ! Il va falloir changer ces règles d'un autre siècle. Il est déjà difficile, pour nous qui sommes des poids coqs, de monter sur un ring de boxe pour lutter contre des poids lourds ; et en plus on nous attache les mains dans le dos ! Ce n'est pourtant pas faute de le répéter chaque fois que je peux. À chaque fois, on nous écoute avec beaucoup de bienveillance, mais force est de constater que rien ne bouge.

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