Intervention de Rodrigo Arenas

Réunion du mercredi 14 février 2024 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRodrigo Arenas, rapporteur :

Je ne vais pas répondre dans le détail aux différentes questions qui m'ont été posées. Mais si vous me le permettez, j'aimerais intervenir sur une note plus personnelle. Charles Sitzenstuhl et moi-même avons chacun participé à cette mission d'information avec notre propre histoire et nos aventures personnelles. Je vais bientôt avoir 50 ans et je fais partie de cette génération qui a été bercée dans sa jeunesse par We are the World et SOS Éthiopie. Ceux qui pensent que la réponse aux problèmes globaux de souveraineté alimentaire peut uniquement être hexagonale sont soit des menteurs soit des cyniques. Ce n'est pas ainsi que s'est écrite l'histoire de l'humanité ni celle de la France ni celle de l'Europe.

Je rappelais ce matin en conférence de presse que j'ai eu la chance de naître et de grandir sur un autre continent, au Chili. Charles Sitzenstuhl faisait allusion à l'instant à son expérience intime du fleuve du Rhin. Je me souviens pour ma part des images d'Épinal qui illustraient nos manuels scolaires et qui ont marqué mes années passées sur les bancs de l'école républicaine. Ces images représentaient des bateliers ou encore des pêcheurs qui étaient au cœur d'un système économique certes, mais surtout d'une histoire et d'une culture. Je pense que c'est ce que transmet l'école. Je pense que les députés que nous sommes doivent être les garants de cette histoire.

Lorsque nous proposons un Erasmus, il s'agit de favoriser les échanges de pratiques et de savoir-faire. Mais il s'agit aussi de répondre à la question : qui doit nous nourrir ? Les grands complexes agroalimentaires ou le monde paysan ? Pour ce qui nous concerne, la question est tranchée. L'injuste rémunération de ceux qui nous nourrissent est un choix de civilisation. Nous pensons que le problème de la sous-alimentation, celui de la famine, sont des questions politiques. Souhaitons-nous comme dans le film L'aile ou la cuisse, être nourris par une usine ou par des agriculteurs ? Nous avons pu le constater en nous rendant en Hollande : il est aujourd'hui possible de produire certains légumes sans terre, mais est-ce souhaitable ? Doit-on prendre cette direction ? Dans l'hypothèse où les recherches actuelles nous permettraient d'atteindre un niveau de production suffisant hors-sol, est-ce le chemin que nous voulons emprunter ? C'est un enjeu culturel global.

Certains ont parlé de patriotisme alimentaire. Or la logique de fermeture est une logique de courte vue qui n'a pas d'avenir. N'en déplaise à M. de Fournas, si nous rompons nos relations avec le Maroc, comment aurons-nous accès aux fertilisants dont nous avons besoin ? Nous devons au contraire œuvrer à la juste échelle, au niveau européen et mondial, afin de veiller à ce que nos modes de vie ne soient pas dépendants de marchés ultra-libéraux et ne contribuent pas à la destruction des cultures vivrières de nos partenaires. Doit-on continuer d'importer des poulets du Sénégal ? Je pose la question. À l'échelle hexagonale, doit-on laisser grande distribution prendre la main sur la production agricole ? Ce sont des questions de civilisations auxquelles nous allons devoir répondre, collectivement, sur tous les bancs de cette assemblée.

Sur la PAC, on entend un certain nombre de contre-vérités auxquelles j'aimerais apporter quelques réponses. La politique agricole commune a permis de nourrir tout un continent à la fin de la Seconde guerre mondiale, il faut le rappeler. Personne ne peut dire le contraire. Mais aujourd'hui il nous faut repenser un système de financement qui privilégie les grandes exploitations au détriment des petites exploitations. Il n'y a pas aujourd'hui de modèle agricole qui fonctionne sans le soutien de la puissance publique : nous devons simplement déterminer le modèle dont nous voulons.

Lorsque je parle d'ubérisation de l'agriculture, je pense aussi à la nécessité d'éduquer les populations. Nous devons nous rappeler qu'il n'y a pas de production agricole magique. Il y a des hommes et des femmes derrière ce que nous commandons et mangeons.

Je regrette aussi le mépris envers notre monde agricole. Je note que les filières agricoles ne dépendent pas de l'éducation nationale mais du ministère de l'agriculture. Cela en dit beaucoup sur la façon dont nous considérons les gens qui nous nourrissent. Cette organisation du système éducatif alimente une forme de mépris social.

Enfin, j'aimerais souligner l'importance de l'orientation de nos politiques publiques et la diversité des défis auxquels le monde agricole doit faire face au niveau national et européen. Le même instrument de politique publique peut être utilisé à des fins différentes. Par exemple, la PAC aujourd'hui permet à l'Autriche de développer près de 26 % d'agriculture biologique. En Roumanie, nous avons ouvert un corridor économique qui permet d'importer des produits agricoles qui ne respectent pas les normes européennes. En Espagne, c'est la question de l'eau qui est aujourd'hui centrale et doit trouver une solution. L'Erasmus que nous proposons doit aussi permettre de soutenir la recherche, d'apporter des solutions aux problèmes qui se tiennent devant nous et de mesurer les enjeux communs au monde agricole. Nous ne pouvons laisser dire des contre-vérités sur l'agriculture en France et en Europe.

Pour conclure, oui nos terres vont mal. Entre 60 et 70 % des terres françaises sont épuisées. Oui, nous avons des problèmes de souveraineté sur les intrants, sur l'eau. Oui, nous avons des problèmes de sécurité alimentaire et de défense de la biodiversité et du vivant. Voulons-nous d'un monde où les usines de traitement déversent leurs déchets dans nos fleuves et où on élève des saumons dans des bacs en plastique ? Enfin, plus de 40 % de nos excédents en céréales sont exportés vers la Tunisie, le Maroc et l'Algérie. En remettant en question cette exportation vous ne rendez service ni à la France ni à nos partenaires. Les explications sont également géopolitiques. Nous ne souhaitons pas que dans ces pays-là, des régimes portent atteinte à la sécurité de notre pays et à l'esprit des valeurs de la République. Lorsque nous n'avons pas de pain dans l'assiette, la démocratie est en danger.

Comme je le disais en préambule, « la terre elle ne ment pas » et quand elle est épuisée nous avons le devoir de la réparer.

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