Intervention de Cécile Rilhac

Séance en hémicycle du mardi 5 mars 2024 à 15h00
Loi européenne sur l'espace — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Rilhac, rapporteure de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes :

Pour la première fois sous la seizième législature, nous abordons la question de l'espace et de ses enjeux. La proposition de résolution européenne qui vous est soumise offre l'occasion d'exprimer la voix de la France auprès de l'Union européenne en vue de faire avancer les négociations et d'aboutir à une loi européenne sur l'espace – le principal objectif étant la préservation de ce bien commun.

Nos sociétés et nos économies sont devenues dépendantes des solutions spatiales. À l'heure où le PIB de l'Union européenne dépend déjà à plus de 10 % de tels services, la préservation de l'espace est devenue un enjeu stratégique. Or aucune réglementation internationale ni européenne n'encadre son utilisation, qu'il s'agisse du trafic des satellites ou de la limitation des débris.

Ces questions se trouvent pourtant au cœur de l'actualité européenne. Lors de la réunion du Conseil du 8 décembre 2023, les États membres ont ainsi adopté des conclusions dressant un état des lieux de la gestion du trafic spatial. Cette prise de conscience constitue une étape nécessaire, mais insuffisante. En l'absence de normes contraignantes à l'échelle internationale, une législation européenne ambitieuse, centrée sur les activités civiles, est indispensable pour assurer une gestion efficace du trafic spatial. Dans le nouveau domaine spatial – le New Space –, les acteurs privés et les projets de mégaconstellations tels que Starlink se multiplient, risquant de transformer l'orbite basse, déjà particulièrement congestionnée, en zone de non-droit.

Les débris spatiaux s'accumulent ; leur collision avec des satellites pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour les applications civiles et militaires. Nos sociétés étant largement dépendantes des services satellitaires, ce risque est loin d'être théorique. Un satellite qui entre en collision avec un débris de quelques centimètres peut ainsi subir des dysfonctionnements, voire être détruit, ce qui occasionne des pertes de signal de géolocalisation et de télécommunication. À titre d'illustration, un débris en acier de 2 centimètres de diamètre, trop petit pour être suivi, possède, en orbite, une énergie cinétique comparable à celle d'une voiture lancée à 130 kilomètres à l'heure.

L'Agence spatiale européenne – l'ESA – estime à plus de 1 million le nombre de débris spatiaux de moins de 10 centimètres. La pollution spatiale est une réalité : il serait dangereux de ne pas s'en préoccuper. En 1996, alors que le trafic spatial était beaucoup moins dense, la France a perdu le satellite militaire Cerise, percuté par le lanceur d'une fusée Ariane 1 qui avait décollé dix ans plus tôt. À ces débris toujours plus nombreux s'ajoutent quelque 8 900 satellites opérationnels ; et d'ici à 2030, plus de 24 000 nouveaux satellites devront cohabiter sur les mêmes orbites.

Imagine-t-on un seul instant, sur Terre, se passer de règles et de codes en matière de trafic routier, maritime ou aérien ? Cela nous semblerait fou, voire irresponsable. Pourtant, c'est ce qui se produit à quelques centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes. Les conséquences en sont catastrophiques : certaines orbites sont déjà inutilisables.

Pour toutes ces raisons, une coordination plus efficace du trafic spatial est une nécessité, qui a d'ailleurs été qualifiée en 2023 par l'Organisation des Nations unies comme l'un des défis majeurs pour l'humanité tout entière. Comme l'ont souligné les représentants du Centre national d'études spatiales (Cnes) auditionnés par la commission des affaires européennes, la gestion du trafic spatial repose sur deux piliers : d'une part, l'adoption d'un socle de règles communes – aspect réglementaire que nous appelons de nos vœux – ; d'autre part, une plus grande coordination entre les acteurs – aspect opérationnel qui devra, le cas échéant, faire l'objet de nouveaux moyens financiers.

Sur le plan réglementaire, la future loi européenne sur l'espace – dont nous espérons qu'elle sera présentée sous la présidence belge du Conseil, très prochainement – devrait promouvoir un socle normatif répondant à trois enjeux : un enjeu de sécurité tout d'abord, en assurant un trafic satellitaire sûr et en luttant contre les risques croissants de collision et de dommage causés par les débris spatiaux ; un enjeu de résilience ensuite, en protégeant les infrastructures et les biens spatiaux de l'Union européenne et des États membres ; un enjeu de durabilité enfin, en garantissant la soutenabilité à long terme des opérations spatiales. L'Union européenne doit pouvoir compter sur un espace qui soit un vecteur de services et de croissance économique ; elle doit par ailleurs poursuivre l'exploration et l'observation spatiales, indispensables à la recherche scientifique.

L'industrie spatiale française et européenne est demandeuse d'une telle régulation, pour des raisons de compétitivité. En effet, les fournisseurs de services spatiaux qui mènent leurs opérations depuis le port spatial européen de Kourou doivent se conformer au régime d'autorisation administrative prévu par la loi relative aux opérations spatiales – dite LOS – adoptée par la France en 2008. De fait, les opérateurs européens doivent souvent tenir compte des effets de leurs lancements sur la production de débris spatiaux et la densité du trafic spatial, contrairement à leurs concurrents de pays tiers qui choisissent plus volontiers d'autres sites de lancement. Il importe que ces mesures soient réciproques, pour des raisons de durabilité et de compétitivité de l'industrie européenne – c'est ce que prévoit la proposition de résolution.

Le représentant de la direction générale des entreprises (DGE) que j'ai auditionné suggère de généraliser, à l'échelle européenne, un mécanisme de certification imposant le respect d'exigences techniques et de standards, sur le modèle des procédures d'autorisation prévues par la LOS. La future législation européenne sur l'espace s'imposerait donc à tous les fournisseurs de services spatiaux opérant dans l'Union, même s'ils sont issus de pays tiers. Il s'agit là d'une mesure forte visant à protéger nos entreprises de la concurrence déloyale de certains acteurs. Comme dans de nombreux autres secteurs, nous défendons la vision d'une Europe forte et souveraine, au service de nos concitoyens, de la science et de notre industrie.

Des incitations doivent également être prévues pour accompagner le développement des technologies innovantes d'évitement des collisions et de retrait actif des débris. Un label Espace sûr pourrait être attribué aux entreprises et aux opérateurs qui respectent les critères de sûreté et de viabilité des opérations spatiales.

Cet alliage de mesures contraignantes et incitatives a suscité une large adhésion des interlocuteurs que nous avons auditionnés ; cela démontre une nouvelle fois la capacité d'adaptation de l'Union européenne aux spécificités du secteur de l'espace.

Sur le plan opérationnel, le renforcement des capacités européennes de surveillance et de suivi de l'espace – dites SST, pour space surveillance and tracking – est un prérequis à la coordination des acteurs. Le programme EU SST, qui regroupe des capacités de surveillance nationales, renforcé par le règlement de 2021 relatif à l'espace, réunit quinze États membres et mutualise leurs moyens.

Néanmoins, la capacité européenne de surveillance n'équivaut qu'à 5 % de celle des États-Unis. La quasi-totalité des pays européens ont ainsi dû signer des accords bilatéraux pour accéder au catalogue américain qui répertorie les objets spatiaux. Une telle dépendance n'est pas satisfaisante, et certainement pas souhaitable pour l'Union européenne. Aussi la future loi européenne doit-elle contribuer à réduire les dépendances technologiques. Le programme EU SST pourrait favoriser l'investissement public dans des capteurs commerciaux innovants et mobiliser le levier de la commande publique pour renforcer les capacités européennes ; il contribuera ainsi à l'autonomie stratégique européenne.

Enfin, l'adoption d'un modèle européen de gestion du trafic spatial, dans une démarche proactive, pourrait servir de base de négociation à un futur accord international. En fixant des règles communes justes et responsables, l'Europe posera les bases d'un nouveau leadership dans le domaine spatial pour les prochaines décennies. Cela nous permettra de peser davantage dans les négociations du Comité des utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique de l'ONU. Pour renforcer notre crédibilité, la proposition de résolution prévoit également que l'Union européenne accepte les droits et obligations découlant des principaux traités et conventions des Nations unies relatifs à l'espace extra-atmosphérique.

Tel est le sens de la proposition de résolution. Elle s'inscrit dans la logique de la résolution adoptée il y a plus d'un an par les députés européens, appelant à la présentation d'une proposition de législation européenne avant 2024.

Je ne saurais conclure sans souligner que la discussion que nous nous apprêtons à avoir possède une autre vertu : elle invite le Parlement à se saisir d'un sujet qui est trop peu débattu, bien qu'il revête des enjeux concrets pour nos concitoyens, des enjeux stratégiques pour la France et pour l'Europe – les échanges que nous avons eus en commission des affaires européennes en ont témoigné.

Je remercie mes collègues d'avoir présenté et voté des amendements qui ont déjà enrichi le texte. Il nous revient d'envoyer un signal clair aux colégislateurs européens : La France a été, est et sera un moteur de la construction spatiale européenne.

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