Intervention de Sabrina Sebaihi

Séance en hémicycle du lundi 18 mars 2024 à 16h00
Report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la nouvelle-calédonie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi :

Le temps des colonies étant heureusement terminé depuis plusieurs décennies, nous devrions nous interroger collectivement sur le temps qu'il aura fallu pour ouvrir celui de la négociation, du dialogue et de l'écoute.

Vous avez refusé de le reconnaître en commission, mais l'adoption de ce projet de loi organique se fait à marche forcée. L'évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie ne fait pas exception à votre méthode du passage en force, et je le regrette. Elle sera décidée selon vos règles, selon votre calendrier, peut-être selon votre humeur du matin, mais certainement pas en fonction des négociations, qui se déroulent pourtant avec l'ensemble des acteurs depuis quelques mois seulement.

Votre gouvernement est celui qui passe presque systématiquement sous silence les outre-mer dans les projets de loi présentés au Parlement, préférant définir les mesures d'application à coup de règlements et de décrets. Il est aussi celui qui refuse d'écouter le Parlement et les acteurs concernés sur le sujet.

Cette logique à la fois descendante, déconnectée des territoires et teintée d'une vision paternaliste de la Nouvelle-Calédonie, nous la refusons.

Sans doute direz-vous à nouveau que le Gouvernement « donne » le temps aux acteurs néocalédoniens de discuter et de se mettre d'accord, ou encore qu'il « donne » des gages – comme la République française a « donné » l'abolition de l'esclavage aux Antilles. Combien de temps allons-nous devoir encore subir le discours « On leur a donné » ? On leur a donné jusqu'au 1er juillet pour trouver un accord et passé ce délai, c'est tant pis pour eux, « circulez, y'a plus rien à voir, c'est nous qui déciderons pour vous et, si vous n'êtes pas contents, eh bien, c'est pareil » !

La vérité, monsieur le ministre, c'est que la stratégie de la carotte et du bâton ne rend pas une loi plus acceptable. Il est inutile de faire pression pour obtenir un accord qui demande du temps, beaucoup de temps pour faire évoluer le statut de la Nouvelle-Calédonie dans la direction souhaitée par ses habitants. La réforme du corps électoral des élections provinciales passera par le temps raisonnable de la médiation et de la négociation ou ne passera pas.

Le Parlement ne sera pas dupe de votre stratégie pleine de duplicité. Vous présentez la voie du dialogue comme la piste privilégiée mais, dans le même temps, vous faites voter au Parlement un « package » de deux textes : ce projet de loi organique, qui repousse les élections provinciales jusqu'à la fin décembre 2024, puis un projet de loi constitutionnelle, qui modifie le corps électoral. Or la question du corps électoral est au cœur des négociations en cours et ne peut être réglée unilatéralement par une loi que vous aurez décidée.

Alors, négocie-t-on vraiment ou prenez-vous le risque, devant l'histoire, de petites manœuvres qui susciteront de grands embrasements ?

En réalité, vous mettez le Parlement devant le fait accompli, sans lui laisser d'autre choix que de voter à l'aveugle deux textes qui court-circuitent les discussions. Votre stratégie de pression politique risque même de mettre en danger le bon déroulement de celles-ci.

Nous voterons contre ce projet de loi parce que nous refusons l'objectif politique qui se dissimule derrière le report des élections provinciales, lequel doit servir à étendre la durée des négociations, non l'inverse.

Il existe en Nouvelle-Calédonie un réel risque de déchirement au sujet du corps électoral, ce qui nous inquiète aussi. Je le dis avec gravité : il n'est pas possible de se passer d'un accord de l'ensemble des acteurs sur la décision de dégeler ou non le corps électoral.

Le problème dans les discours que nous venons d'entendre, c'est que presque personne n'a dénoncé ouvertement la posture coloniale que sous-tend cette manœuvre.

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