Intervention de Tatiana Kastoueva-Jean

Réunion du mercredi 28 février 2024 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Tatiana Kastoueva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l'Institut français des relations internationales (IFRI) :

L'Ukraine était ce pays neutre dont vous parlez, monsieur Dupont-Aignan. Sa constitution même en faisait un pays hors blocs. Ce sont les événements de 2014 qui l'ont poussée à frapper à la porte de l'OTAN, qui n'était pourtant pas populaire à l'époque. La Russie de Vladimir Poutine disposait de tous les leviers d'influence en Ukraine, avec des médias pro-russes, des partis politiques pro-russes et un agenda pro-russe. Tout cela a été perdu en 2014, lorsque l'Ukraine a pris conscience de son identité nationale et de l'importance de sa souveraineté. En Ukraine, la génération des 35-40 ans, qui n'a jamais connu l'URSS, ne comprend pas pourquoi elle n'aurait pas le droit de faire les choix souverains nécessaires à sa protection contre les intentions russes.

Je pourrais également vous objecter qu'il n'y a pas d'automatisme entre les éléments d'analyse laissant penser à une intervention et un éventuel passage à l'acte. Autrement dit, personne ne croyait à une intervention de la Russie parce que ses bases économiques, sa démographie et ses liens commerciaux avec l'Union européenne dans le domaine de l'énergie ne la prédisposaient pas à cette intervention. J'avais prévu, avant le début de l'invasion, les conséquences que les Russes subissent actuellement : la résistance des Ukrainiens, la consolidation de leur identité, l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, la dégradation du positionnement stratégique de la Russie. Néanmoins, tout cela n'a pas empêché le passage à l'acte de Vladimir Poutine, parce que le pouvoir est extrêmement centralisé en Russie et parce qu'il n'y a pas de débat sur ces sujets au Parlement russe. Vladimir Poutine a reconnu lui-même, dans un film documentaire, que la décision d'annexer la Crimée avait été prise avec seulement trois ou quatre personnes réunies autour de lui.

Dès lors, affirmer qu'il n'y aura pas d'autres interventions dans les pays baltes me semble risqué. Je ne parle pas forcément d'une agression directe et ouverte mais tout autant de ce que l'on nomme « le scénario de Narva », c'est-à-dire la guerre hybride, en allant exciter les populations russophones. Le Kazakhstan redoute ce scénario, de même que les pays baltes et la Finlande. Ces sujets ne peuvent être balayés d'un revers de main, simplement en affirmant que Vladimir Poutine ne passera pas à l'acte parce que cela ne serait pas dans ses intérêts. Sur ce point, le 24 février 2022 nous a offert un spectaculaire démenti.

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