Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du jeudi 7 mars 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Thierry Carcenac, ancien président du conseil départemental du Tarn :

J'ai été élu président du conseil départemental du Tarn en 1991, mais j'en étais vice-président depuis 1986 et j'ai pu participer aux négociations qui ont conduit au contrat de plan État-région (CPER) dès 1986. À l'époque, le département du Tarn était démographiquement le deuxième département de la région Midi-Pyrénées et le bassin d'emploi de Castres-Mazamet était le deuxième bassin d'emploi de la région.

En 2016, au sein de la nouvelle région Occitanie, le département du Tarn est devenu démographiquement le cinquième département de la région. Avant la création de la grande région Occitanie, les réflexions portaient sur la situation économique et l'emploi dans le département du Tarn. La question s'est posée de relier, en étoile, les chefs-lieux des différents départements de la région à la métropole régionale qu'est Toulouse.

Castres était la deuxième ville du département et la population de la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet était largement supérieure à celle des chefs-lieux d'autres départements de Midi-Pyrénées. La question s'est posée de savoir comment rattraper le retard pris en termes d'infrastructures routières. Comme la région Sud-Ouest, la région Midi-Pyrénées était très en retard en la matière. Je me souviens de réunions organisées par M. Marc Censi, ancien président de la région Midi-Pyrénées et M. Maurice Faure, ancien ministre de l'équipement auprès du Conseil européen pour étudier comment nous pouvions rattraper notre retard.

Les différents CPER comportaient un volet routier et, pour le département du Tarn, trois projets étaient envisagés prioritairement : d'abord, la route nationale 88 allant de Toulouse à Lyon en passant par Albi ; puis, la rocade de Castres ; et, enfin, la liaison entre le pôle d'équilibre qu'est Castres-Mazamet et l'agglomération toulousaine. La question de la mise en deux fois deux voies de l'itinéraire s'est posée dès le début des réflexions afin de soutenir ce bassin d'activité qui avait perdu près de 5 000 emplois dans l'industrie textile et les autres secteurs industriels. Les premiers CPER ont donc porté sur des projets d'infrastructures routières. Le dixième contrat de plan concernait la rocade de Castres.

Avec M. Jacques Limouzy, et ensuite avec M. Arnaud Mandement, anciens maires de Castres, nous avons dû découper la rocade en deux parties pour que le projet puisse être mené à bien. Une partie a été réalisée en deux fois deux voies et l'autre partie, allant de Castres à Labruguière, a été réalisée en une fois une voie, bien qu'elle aurait dû être réalisée en deux fois deux voies.

En 2004, lors de l'acte II de la loi de décentralisation, le transfert des routes nationales au département a posé question puisque l'État a abandonné certaines routes nationales. Nous nous sommes demandé comment nous allions relier Mazamet, Castres et l'agglomération toulousaine par la nationale 126.

Ces évolutions ont amené le département du Tarn à se préoccuper de routes départementales de liaison avec Verfeil. La Haute-Garonne a réalisé le contournement de Verfeil sous la forme d'une concession autoroutière, l'A680. Ensuite, une réflexion a été engagée pour réfléchir à l'aménagement en deux fois deux voies de l'itinéraire reliant Castres et Toulouse.

Vous avez évoqué la situation de la multimodalité du ferroviaire. Je rappelle que le département du Tarn n'était pas compétent en matière de routes nationales, les choix revenaient à l'État, et en matière ferroviaire, la SNCF était décisionnaire. Ce n'est qu'en 2004, avec l'acte II de la loi de décentralisation, qu'avec le président Martin Malvy nous avons pu développer une liaison ferroviaire entre Toulouse Matabiau et Saint-Sulpice, qui était une voie unique, la plus chargée d'Europe, avec près de 80 trains par jour. Nous avons doublé cette ligne permettant d'aller vers Albi, Carmaux et Rodez, ainsi que vers avec Gaillac, Tessonnières et Brive, et vers Saint-Sulpice, Castres et Mazamet. La région a porté ces projets ferroviaires de doublement des voies facilitant certains accès. Le département du Tarn a participé aux études sur l'amélioration ferroviaire, mais les lignes ferroviaires n'étaient pas de sa compétence.

Vous m'avez demandé à partir de quand j'ai pris connaissance de ce projet routier reliant Castres et Toulouse. J'ai pris connaissance du dossier en décembre 1988, lorsque le département a approuvé le CPER (1989-1993) qui envisageait le doublement de la rocade, et les déviations de Soual et de Puylaurens en deux fois deux voies. Le département a toujours considéré qu'il fallait désenclaver le Sud du département du Tarn et s'assurer que le bassin de Castres-Mazamet se dote d'infrastructures routières.

Vous avez posé la question aussi de savoir comment s'étaient ensuite positionnés la région et le département dans le cadre des CPER, et quelles étaient les clés de financement des collectivités locales en milieu urbain et en milieu rural. La région a investi 500 à 600 millions de francs dans le dixième CPER. Le montant investi dans le cadre du onzième CPER dépassait 2 milliards de francs, car il incluait la déviation de Puylaurens. La réalisation des déviations était prioritaire. La route nationale 126 passait par les villes de Soual et de Puylaurens et elle devait être déviée au niveau de ces deux villes afin de faciliter le trafic et d'offrir aux usagers l'itinéraire le plus complet et le plus parfait possible.

L'État étant contraint budgétairement, les collectivités locales ont dû accélérer leurs plans d'aménagement. En 2006-2007, M. Dominique Perben a remplacé M. Gilles de Robien à la tête du ministère de l'équipement et des transports. Dès 2006, M. Dominique Perben a évoqué la possibilité d'accélérer le projet et de régler les difficultés liées à son financement en considérant l'option d'une concession autoroutière, mais la position du département est restée la même, c'est-à-dire que nous étions favorables à la mise en deux fois deux voies de l'itinéraire entre Castres et Toulouse quelles que soient les modalités choisies par l'État, que cette route reste gratuite et limitée à 110 km/h ou qu'elle devienne une autoroute concédée limitée à 130 km/h.

Une fois que la concession autoroutière a été évoquée par M. Perben, une audition s'est tenue à la commission des finances en 2006 et M. Philippe Folliot avait demandé à M. Perben de veiller à l'accessibilité de l'agglomération Castres-Mazamet. M. Dominique Perben avait alors répondu qu'en raison des contraintes budgétaires, le projet d'une autoroute concédée permettrait que le projet se réalise plus rapidement et assure une meilleure liaison de l'agglomération de Castres-Mazamet à Toulouse. Il était alors prévu que le projet s'achève en 2014. M. Perben indiquait également qu'un courrier serait adressé par le préfet de région aux collectivités locales pour obtenir leur accord.

Nous avons eu ce courrier en 2007 et le conseil général a délibéré à propos du projet d'autoroute concédée en juillet 2007. En 2007, le projet de concession était évalué à 270 millions d'euros, dont 100 millions d'euros de financement assuré par l'État et les collectivités locales. Le conseil départemental s'est positionné en faveur du maintien d'un projet de liaison routière en deux fois deux voies et il s'est également prononcé sur la valorisation qui pourrait être effectuée des parties existantes qui avaient déjà été réalisées avec le financement des collectivités locales, c'est-à-dire les déviations de Soual et Puylaurens, dont l'utilisation était gratuite. Je pourrais vous faire parvenir la délibération du conseil général de 2007 et la réponse qui avait été transmise au préfet de région en 2007. La décision de mise en concession n'a été prise qu'après le débat public, en juin 2010.

Ensuite, la commission Mobilité 1 a été constituée. Elle était présidée par M. Philippe Duron et avait pour objectif d'évaluer si les nombreux projets de mise en concession qui existaient pourraient être maintenus. Cette commission Mobilité 21 s'est prononcée en faveur de l'amélioration de l'itinéraire reliant Castres et Toulouse sous forme de concession. Cette commission ressortait des compétences étatiques. Les départements de la Haute-Garonne et du Tarn ont étudié la façon la plus parfaite de parvenir à faire reclasser des voiries départementales en routes nationales. La Haute-Garonne a participé au financement intégral de l'amélioration du contournement de Verfeil en prolongeant la bretelle à une fois une voie de l'autoroute A680 qui relie Verfeil à la route nationale 88. La route nationale 126 ne reliait pas Maurens-Scopont à Verfeil. Il était donc nécessaire de reclasser des routes départementales en routes nationales pour créer une liaison de Mazamet, Castres, Soual, Puylaurens et Verfeil à l'autoroute A68.

Vous m'avez demandé si le département avait été associé aux choix de l'État : l'État choisit seul et demande ensuite aux collectivités si elles sont d'accord avec sa décision. Nous souhaitions parvenir à désenclaver le bassin de Castres-Mazamet. Le Tarn abritait à l'époque trois chambres de commerce et d'industrie (CCI) ; aujourd'hui, il n'en compte plus qu'une. Tous les intervenants économiques du territoire souhaitaient voir advenir un désenclavement vers la métropole régionale, et les collectivités territoriales ont toutes adopté la même position à cet égard : elles étaient favorables à un désenclavement par le biais d'une mise en deux fois deux voies de la liaison routière vers Toulouse.

Vous évoquiez les délais de réalisation du projet routier. Depuis 1988, les délais annoncés ont été nombreux et ils ont été longs avant d'arriver à la situation telle que nous la connaissons aujourd'hui. La route nationale 88 a connu le même sort. M. Édouard Balladur, alors Premier ministre, avait pris l'engagement de réaliser la route 88 immédiatement. De nombreux projets d'infrastructures routières ont été ralentis par des difficultés de financements. Le retard accumulé en matière d'infrastructures routières est important. Nous pouvons aujourd'hui nous demander si nous n'aurions pas pu procéder d'une meilleure façon, mais je vous rappelle que la Bretagne est parvenue à achever son désenclavement dans les années 1970 et que le Sud-Ouest de la France a été complètement oublié pour des raisons qui sont peut-être politiques.

Concernant les aspects environnementaux et agricoles, je tiens à rappeler que le département du Tarn a toujours pris position en la matière. Le Tarn abrite une zone de montagne, le Massif central, mais aussi la plaine lauragaise avec des cultures de céréales et de la viticulture. La chambre d'agriculture a été associée aux différentes discussions sur le développement agricole du département. Je pourrai vous transmettre une des délibérations du conseil général montrant que nous avons évoqué l'enjeu environnemental.

Vous m'avez également demandé si l'État avait présenté des alternatives à la mise en concession. Il n'a pas présenté d'autres hypothèses puisqu'il avait des difficultés financières. Il a retenu l'option qui lui paraissait la plus simple. Les gouvernements successifs partageaient tous la même position sur le sujet. Une des dernières déclarations d'utilité publique (DUP) portant sur le projet autoroutier de l'A69 a été prononcée le 20 juillet 2018 par M. Édouard Philippe, Mme Élisabeth Borne, qui était, à l'époque, ministre des transports, et M. Nicolas Hulot, qui était ministre de l'environnement. Ils ont considéré que le projet que nous portions était une priorité nationale. Les délais et les choix ont évolué au fur et à mesure que le temps avançait.

Enfin, vous avez posé une dernière question concernant le surnom « autoroute Pierre Fabre » affublé à l'autoroute A69. Je me souviens que tous les acteurs économiques, quels qu'ils soient, étaient favorables à un projet de désenclavement. Je rappelle que le président de la République, M. François Hollande, s'est rendu dans le département du Tarn, aux laboratoires Pierre Fabre et qu'il a rencontré M. Pierre Fabre juste avant son décès. Il n'a pas évoqué le sujet du désenclavement autoroutier lors de sa visite et il a affirmé qu'il était préférable de laisser la commission qui allait se prononcer rendre son avis. En revanche, il a évoqué la formation professionnelle et le choix de Pierre Fabre de doubler l'unité de production de Soual. Cette décision constituait une réorientation économique conséquente pour le département puisque les laboratoires Pierre Fabre représentent plus de 2 700 emplois au sein du département et y sont le premier employeur privé. Nous sommes chanceux que M. Pierre Fabre ait entrepris son activité dans le Tarn. Nous ne pouvons pas affirmer que l'autoroute A69 est une « autoroute Pierre Fabre », car tous les acteurs économiques que nous avons rencontrés sont favorables au désenclavement routier.

Lorsque je me suis connecté à la visioconférence pour mon audition, j'ai entendu une question que vous posiez à M. Pascal Bugis à propos des tarifs de péage de l'autoroute A69. Je comprends que le tarif routier fasse partie de vos préoccupations, mais ce ne sont pas les collectivités locales qui prennent des décisions en la matière, mais l'État. Au conseil départemental, nous avons évoqué à plusieurs reprises le fait que l'État mette à disposition les terrains qu'il avait déjà acquis. La demande du département était motivée par des considérations relatives au tarif. Avant l'acte II de la loi de décentralisation de 2004, lorsqu'une autoroute concédée était construite, l'État maintenait parallèlement des routes nationales gratuites ouvertes. Depuis 2004, il n'en est plus ainsi, il revient aux collectivités locales d'assurer le maintien des liaisons annexes accessibles aux concitoyens qui n'ont pas les moyens de circuler sur une autoroute. Les collectivités territoriales n'ont pas été associées aux réflexions sur les tarifs de péage. La clé de répartition est fixée par l'État. Le département souhaitait désenclaver le bassin, nous aurions préféré que la route soit accessible gratuitement, mais l'État ne disposait pas des moyens suffisants et a fait le choix d'une concession. Désormais, il est nécessaire de mener le projet de concession à bien ; sinon l'ensemble du projet serait un gâchis phénoménal.

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