Intervention de Éric Vindimian

Réunion du mardi 12 mars 2024 à 16h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Éric Vindimian, membre associé de l'Autorité environnementale, rapporteur de l'avis de l'Autorité environnementale du 5 octobre 2016 rendu en vue de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, et rapporteur de l'avis, en date du 6 octobre 2022, portant sur les autorisations environnementales de la mise à deux fois deux voies de l'autoroute A680 et sur la construction de l'A69 entre Verfeil et Castres :

C'est pour moi, qui ai fait valoir mes droits à la retraite, un dossier déjà quelque peu ancien, raison pour laquelle j'ai tenu à mettre par écrit les éléments requérant la plus grande précision.

Le fonctionnement de l'Autorité environnementale témoigne d'une certaine complexité administrative. Si le projet relève de la région et est jugé par un préfet, l'autorité environnementale n'est pas la même que si le projet est national, jugé par un ministre. Si le décideur d'un projet national ayant un impact environnemental n'est pas le ministre en charge de l'environnement ou des transports, c'est le ministre de la transition écologique qui a autorité, mais si le décideur est le ministre de la transition écologique – comme c'est le cas, depuis la création de ce grand ministère, dans les projets d'aviation civile, de transport ou d'aménagement du territoire – c'est alors à l'Autorité environnementale qu'il revient de rendre un avis. Au sein du ministère, et plus particulièrement au sein de l'Igedd, l'Autorité jouit d'une grande autonomie, les fonctionnaires qui y sont nommés n'ayant pas de compte à rendre à ce titre à l'Igedd.

Pour asseoir cette indépendance, l'Autorité environnementale aurait pu avoir le statut d'autorité administrative indépendante sur le fondement d'un texte législatif, mais ce n'est pas le cas. Elle doit cette indépendance à la dimension très collégiale de son travail: les avis sont préalablement rédigés par des rapporteurs – c'est le rôle qui a été le mien dans ce dossier de l'A69 – avant d'être discutés et débattus par tous les membres du collège. L'avis est ensuite immédiatement mis en ligne afin que, dans une perspective démocratique, il puisse être consulté par le public et les décideurs. Cela évite également les pressions : si le cabinet du ministre nous sollicite pour obtenir des informations, nous lui signalons simplement que tout est en ligne. En dix ans, je n'ai jamais subi de pression.

L'Autorité environnementale ne se prononce pas pour ou contre un projet : il est donc faux de prétendre, comme a pu le faire la presse, que nous avons étrillé le projet d'A69. Nous donnons notre avis sur la prise en compte de la dimension environnementale d'un projet et formulons des recommandations afin de l'améliorer. Nous ne nous sommes pas posé de question sur l'opportunité, en tant que telle, de faire parvenir une autoroute jusqu'à Castres : mais nous avons rapidement relevé, au regard de la question environnementale, un certain nombre de lacunes qui n'ont pas été comblées entre les deux avis que nous avons rendus.

Notre premier avis, en date du 5 octobre 2016, portait sur la déclaration d'utilité publique, dont l'État, qui n'avait pas encore choisi de concessionnaire, avait besoin pour faire avancer le dossier et commencer les expropriations. Il ne s'agissait pas formellement d'une autorisation environnementale, mais nous disposions néanmoins d'une étude d'impact dont l'État était le maître d'ouvrage. Quand nous nous sommes rendus sur le site, comme nous le faisons systématiquement – et comme vous allez le faire –, nous avons donc été reçus par le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement, agissant pour le compte du préfet.

En 2022, c'est par la société Atosca, à laquelle la concession avait été attribuée, que nous avons été saisis d'un projet d'autorisation environnementale. Nous lui avions alors demandé, sans obtenir satisfaction, d'avoir accès au contrat de concession. Pourtant, au regard des objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre, l'État pourrait être amené à décider l'abaissement de la vitesse maximale autorisée de 130 à 110 kilomètres par heure, ce qui pourrait rendre l'autoroute moins attractive pour les usagers et entraîner ainsi une perte de revenus pour le concessionnaire. L'État ou les collectivités – la région Occitanie étant assez favorable au ferroviaire – peuvent également décider de développer le réseau ferré, en augmentant le nombre de points où les trains pourraient se croiser au lieu de l'actuelle voie unique, ou bien en électrifiant partiellement le réseau, en dépit du coût d'une telle opération. Là encore, l'entreprise pourrait estimer que les conditions économiques de sa concession ont changé. Des clauses prévoient-elles des compensations financières dans de pareilles éventualités ? Savoir cela nous aurait permis de mieux analyser, en prospective, la question environnementale, notamment celle des émissions de gaz à effet de serre. Mais, en dépit de notre qualité de fonctionnaires soumis au secret professionnel, nous n'avons pas eu accès à ces éléments.

Nous avons donc travaillé avec les données dont nous disposions. Elles ont peut-être été actualisées depuis : on parle maintenant d'un gain de temps de quinze minutes pour relier Castres et Toulouse, tandis qu'on l'évaluait, en 2002, à trente-cinq minutes. Je m'étais alors livré à une démonstration par l'absurde : un tel gain aurait impliqué une vitesse moyenne de plus de 150 kilomètres par heure. Le gain de temps pour les usagers a donc été manifestement surévalué, faussant dès lors l'analyse économique en raison du poids très important qu'on choisit de donner à ce facteur. Dans son rapport de 2016, le secrétariat général pour l'investissement s'était également montré très dubitatif sur cette question, relevant, comme nous, des difficultés relatives au calcul des coûts en matière climatique, étant donné l'augmentation du coût du carbone. La rentabilité de cette autoroute ne lui avait pas paru garantie, et il l'avait comparée à l'A66 entre Pamiers et Toulouse dont le « bilan Loti » (loi d'orientation des transports intérieurs) est négatif, le trafic et les gains de temps ayant été surévalués.

Ces questions, qui ne sont pas directement environnementales, sont les paramètres qui nous permettent d'évaluer la manière dont l'environnement a été pris en considération. Les émissions de gaz à effet de serre dépendent de la vitesse et du trafic : il faut donc que l'estimation de ces derniers soit fiable pour que le calcul des premières soit sincère, et il en va de même pour celui de la pollution.

Des choses nous ont donc paru un peu étranges dans ce dossier, qui n'a pas été mis à jour entre 2016 et 2022, alors que les conditions économiques ont vraisemblablement changé. À notre demande, le maître d'ouvrage nous a envoyé une nouvelle étude de trafic : ces nouveaux chiffres ne sont pas les mêmes que ceux de l'étude d'impact, et je ne sais pas s'ils ont été joints au dossier présenté lors de l'enquête publique. Ils font apparaître, entre Toulouse et Castres, des temps de parcours relativement faibles en empruntant la route nationale et les déviations permettant d'éviter les centres-villes. Si le travail avait été fait sérieusement, on aurait commencé par refaire l'étude de trafic, refaire les calculs d'émissions de gaz à effet de serre, refaire les calculs d'émissions de polluants, qui ont des impacts sur la santé. Nous avons donc formulé des réserves et des recommandations sur ces différents points.

Le droit indique également que le maître d'ouvrage doit faire une étude de variantes, c'est-à-dire exposer les solutions de substitution raisonnables qu'il a envisagées. Mais il n'a comparé – et l'on peut se demander pourquoi – que du routier avec du routier, en examinant ce qui se passerait si l'on doublait la route nationale 126 dans l'objectif d'une circulation à la même vitesse que sur l'autoroute. Il arrive évidemment à une solution sans intérêt au plan économique ou environnemental. Si l'on roule à la vitesse d'une autoroute sur une route nationale, les mêmes contraintes s'appliquent : comme on ne va pas traverser les villages à 130 kilomètres par heure, il faut multiplier les déviations et les aménagements qui peuvent, au bout du compte, coûter aussi cher qu'un projet neuf. Il conclut donc à la nécessité d'un trajet neuf, en récupérant seulement les déviations de Soual et de Puylaurens qui sont déjà au gabarit autoroutier. Une anecdote : quand j'ai visité le site en 2016, nous roulions à 110 sur une de ces déviations mais mon interlocuteur de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) m'a affirmé qu'on y roulera bien à 130 quand elle aura été raccordée, sans aucun aménagement nouveau, à la future autoroute, seule sa gratuité empêchant de le faire dès à présent. J'ai trouvé le propos pour le moins étonnant.

Je vois deux grosses lacunes dans l'analyse de variantes qui a été faite. La première, c'est que l'on s'est contenté de comparer du routier avec du routier, sans chercher une variante qui aurait permis de minimiser l'artificialisation du territoire. Ce n'était pas encore le cas en 2016 mais, en 2022, l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) avait été inscrit dans la loi. Or on prévoyait d'artificialiser 500 hectares, ce qui est considérable : comment atteindre cet objectif et celui de zéro perte nette de biodiversité avec de telles surfaces ? Nous sommes convaincus qu'il aurait fallu faire plus d'évitement et diminuer considérablement l'emprise de cette autoroute.

Pourquoi avoir cherché à faire une autoroute, et non à améliorer la mobilité entre Castres et Toulouse ? Ce n'est pas la même façon de poser le problème. Quand nous leur avons demandé pourquoi ils n'avaient pas envisagé de rénover la ligne ferroviaire, ils nous ont dit que c'est parce qu'elle ne passe pas au même endroit. Mais cela n'a aucune importance ! Aujourd'hui, je vous parle en visioconférence ; les petits paquets d'information que je vous transmets à travers la toile ne passent pas tous par le même chemin pour vous parvenir. Pour aller de Castres à Toulouse, peu importe le trajet. L'essentiel, c'est d'y arriver dans de bonnes conditions de confort. Or le train présente de nombreux avantages : il émet moins de gaz à effet de serre, il crée moins d'accidents et pollue moins les centres-villes. Une cheffe d'entreprise de Castres, qui est opposée au projet d'autoroute, me disait par ailleurs qu'elle se rendait régulièrement à Toulouse pour le travail et qu'elle aimait y aller en train, même si c'est un peu plus long, car elle pouvait y lire et travailler à ses dossiers. Elle ne perdait donc pas de temps en réalité.

Il aurait été intéressant que l'analyse des variantes soit multimodale et se demander, non pas comment aller le plus rapidement possible de Castres à Toulouse en voiture, mais comment y aller dans de bonnes conditions de confort, de temps et de protection de l'environnement.

Nous nous sommes posé aussi la question de la pollution de l'air. En rase campagne, le trafic ne sera pas très important et ne devrait pas poser trop de problèmes mais si l'on fait converger tous les habitants de l'Occitanie vers Toulouse en voiture, la question de la qualité de l'air va s'y poser. Or la pollution de l'air cause des maladies et fait des morts : les études épidémiologiques l'ont montré. Après que la France a été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne pour avoir insuffisamment protégé ses citoyens contre la pollution de l'air, des zones à faibles émissions (ZFE) ont été créées. Mais cela pose de nouvelles questions : si l'on ne peut plus entrer à Toulouse qu'avec une voiture électrique ou une voiture très peu polluante, est-ce que ce seront les mêmes trafics ? S'il y a une congestion autour de Toulouse, le temps de trajet ne risque-t-il pas d'être modifié ? Nous aurions aimé que ces questions soient abordées.

En outre, pour tout ce qui concerne l'impact sur les espèces protégées, on invoque des raisons impératives d'intérêt public majeur (RIIPM). Or on a le sentiment que cet intérêt public majeur n'a pas vraiment été démontré dans l'étude d'impact. Peut-être l'a-t-il été depuis, car il s'est passé des choses depuis 2022, mais je l'ignore car nous ne faisons pas le suivi de nos recommandations. Ce n'est pas notre mission : on ne nous demande pas de suivre les dossiers. Du reste, si nous devions le faire, nous ne le pourrions pas. Nous avons plus d'une centaine d'avis à remettre chaque année et chaque dossier mobilise deux rapporteurs. Je crois que le dossier relatif à l'A69 faisait plus de 7 000 pages. Il faut en prendre connaissance, puis rédiger un rapport. Depuis que le délai de remise du rapport est passé de trois à deux mois, nous avons vraiment du mal à répondre dans les temps. Il nous arrive désormais de rendre des avis tacites, même si nous nous étions toujours juré de ne pas le faire.

J'aimerais dire un mot de la séquence ERC (« éviter, réduire, compenser »). Lorsqu'on fait une étude d'impact, on met en évidence des incidences brutes. On se pose ensuite la question de l'évitement : que peut-on ne pas faire ou faire différemment pour que ces incidences brutes n'existent pas ? En général, on se pose cette question très en amont du projet, au moment de l'analyse des variantes. L'évitement est donc assez vite traité.

Se pose ensuite la question de la réduction : il s'agit de réduire les incidences qui demeurent après l'évitement. Pour réduire des émissions de gaz à effet de serre, une solution simple consiste par exemple à diminuer la vitesse ; pour réduire des émissions de bruit, on met des murs antibruits, etc. Il existe aussi un tas de mesures qui permettent de réduire l'impact d'un chantier sur la biodiversité : arroser les pistes pour éviter que les poussières s'envolent ; mettre des barrières pour éviter que les animaux traversent le chantier, etc.

Le troisième temps est celui de la compensation et c'est là que les choses deviennent très difficiles. Il s'agit de créer des impacts environnementaux positifs, a priori pas trop loin, pour compenser les impacts négatifs du projet. Le code de l'environnement prévoit que la séquence ERC s'applique à tous les types d'impact. Mais comment voulez-vous, par exemple, compenser l'impact sur la santé ? Lorsque des gens meurent à cause de la pollution, on ne peut pas les ressusciter, et lorsque des gens tombent malades, on peut les aider à se soigner ou leur offrir des vacances au grand air, mais c'est une maigre compensation et on voit bien ici qu'on atteint la limite. En réalité, on ne sait pas compenser les impacts d'ordre sanitaire.

En théorie, il est assez facile de compenser des émissions de gaz à effet de serre. Si vous émettez une molécule de CO2 entre Castres et Toulouse, vous pouvez la compenser en réduisant les émissions de la même molécule n'importe où sur la planète. On pourrait donc imaginer qu'un concessionnaire autoroutier aide des personnes à réduire les émissions de gaz à effet de serre de leur foyer, en finançant des travaux d'isolation ou en installant des pompes à chaleur ou des panneaux photovoltaïques, ce qui coûte très cher. Or cela n'arrive jamais. Parfois, on plante des arbres, mais on est en train de se rendre compte que tous ces puits de carbone sur lesquels on comptait pour faire de la compensation ne fonctionnent pas, ou très mal. Donc, en réalité, on ne sait pas vraiment compenser les émissions de gaz à effet de serre.

Pour la biodiversité, enfin, c'est encore plus compliqué, parce qu'il faut trouver un écosystème ressemblant mais dégradé. Or les espèces vivent dans des systèmes très complexes, faits de multiples interactions, si bien qu'il est très difficile de compenser. Récemment, j'ai assisté à une conférence au Muséum national d'histoire naturelle sur ces questions de compensation : on s'aperçoit que 10 à 15 % seulement des compensations sont efficaces. La grande majorité ne fonctionne pas.

Nous avons demandé que les mesures soient reconsidérées et plus convaincantes, mais le suivi nous échappe. C'est le préfet qui organise le suivi avec le concessionnaire : je ne sais pas où en est le dossier sur ces questions d'évitement, de réduction et de compensation.

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