Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle ce matin la tenue d'une table ronde destinée à nous permettre de mieux appréhender la perception, par le monde arabo-musulman, du conflit actuel au Proche-Orient.

Nous sommes entrés, ces derniers jours, dans le mois du ramadan et certains observateurs font valoir, non sans inquiétude, que les opérations dans la bande de Gaza pourraient avoir, de ce fait, une résonance particulière sur les opinions des pays sensibles à la question palestinienne. Nous ne pouvions donc nous désintéresser de cette dimension importante, notamment au regard des risques de débordement, tels que nous les observons notamment en mer Rouge mais aussi au Sud-Liban, et des enjeux géopolitiques sous-jacents.

Avant de brièvement brosser le contexte et les attendus de nos échanges, je tiens à souhaiter la bienvenue aux intervenants qui ont bien voulu nous faire bénéficier de leur expertise sur ce sujet.

Monsieur Hasni Abidi, vous êtes politologue, directeur du centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERNAM), à Genève. Enseignant au Global Studies Institute de l'Université de Genève, vous êtes également chercheur invité à Paris Panthéon-Sorbonne. Vous avez contribué à plusieurs publications, dont Monde arabe, entre transition et implosion : les dynamiques internes et les influences externes, en 2015, et Le Moyen-Orient selon Joe Biden, en 2021. Indéniablement, votre expertise nous sera très utile pour essayer de comprendre davantage ce qui se joue aujourd'hui à Gaza pour l'ensemble de la région.

Monsieur Ran Halévi, vous êtes quant à vous historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattaché au centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron, et directeur de collection à Gallimard. Vous avez enseigné comme professeur invité dans de nombreuses universités à l'étranger, notamment les universités de Chicago, de Virginie et de Toronto et à l'École normale de Pise. Vos travaux, qui portent entre autres sur l'histoire politique d'Israël, vous désignent comme un interlocuteur à même d'enrichir notre perception sur un dossier indissociable de l'histoire contemporaine de l'État hébreu.

Enfin, Monsieur Georges Malbrunot, vous êtes une figure du journalisme dont beaucoup de membres de cette commission ont lu les articles. Grand reporter spécialiste de la région au Figaro, vous avez arpenté le Moyen-Orient souvent au péril de votre vie, à telle enseigne que vous avez été l'otage d'un groupe islamiste en Irak en 2004. Vous avez couvert la première Intifada en 1987 et, à partir de 1994, vous vous êtes durablement installé au Proche-Orient, que vous avez sillonné comme correspondant pour l'agence France-Presse (AFP) et plusieurs médias. Votre connaissance intime de la région, ainsi que votre regard, nous seront assurément des plus précieux.

Depuis le 7 octobre 2023, au cours duquel le Hamas a procédé à des actions monstrueuses contre des Israéliens innocents, le Proche-Orient se retrouve entraîné dans une spirale de violence et une absence de réelles perspectives d'amélioration. Dès les premiers jours, nous avons porté toute notre attention sur ces événements car nous redoutions un embrasement régional, dans le sillage de la réaction d'Israël. De fait, si des tensions sont indéniablement apparues en Cisjordanie, à la frontière israélo-libanaise, dans le Golan et en mer Rouge, du fait des proxys iraniens notamment, le conflit n'a pas véritablement excédé jusqu'alors les frontières de la bande de Gaza.

Votre présence ce matin devrait nous permettre de comprendre pourquoi, même si nous nous doutons bien que la présence militaire américaine, les accords d'Abraham et les arrière-pensées d'acteurs régionaux à l'égard d'une normalisation, à terme, de leurs rapports avec Israël, ont joué un rôle non négligeable à cet égard. L'horreur de la situation à Gaza devrait susciter des potentialités révolutionnaires dans le monde arabe, dont nous pouvons penser qu'elles ne se sont pas développées jusqu'à présent avec la force que nous pouvions envisager. Quel est, selon vous, le sentiment qui prédomine aujourd'hui chez les populations arabes ? Peut-il influencer les prises de position et les décisions de certains dirigeants clé du monde arabo-musulman, comme le président égyptien, le prince Mohammed ben Salmane ou le guide suprême iranien ?

D'autre part, sur la base de votre grande connaissance d'Israël et du Proche-Orient, comment envisagez-vous les évolutions possibles de cette crise ? Pour le court terme, tout d'abord, l'espoir de la conclusion d'un accord de cessez-le-feu pour une durée de plusieurs semaines, en contrepartie de la libération des otages toujours détenus par le Hamas, a été au cœur d'intenses tractations diplomatiques ces dernières semaines. Vous connaissez tous l'état de la situation aujourd'hui.

Les Américains se sont investis, dans des limites assez fortes, pour essayer de parvenir à un cessez-le-feu, dans l'idée de créer une situation de relatif apaisement susceptible de déboucher sur des avancées plus définitives. Cependant, nous voyons à quel point la campagne électorale et les sentiments profonds du président Biden conduisent l'administration américaine à adopter une attitude extrêmement prudente. Les autorités israéliennes, quant à elles, ne font pas mystère de leur volonté de lancer, le cas échéant après un cessez-le-feu, une offensive sur Rafah, où se retrancheraient les derniers bataillons de la branche militaire du Hamas. Nous sommes nombreux à penser que le drame de cette situation est notamment lié au fait qu'Israël déploie une force militaire impressionnante mais que son offensive militaire n'est adossée à aucune perspective politique claire et réaliste. Dès lors, la violence ne cesse de s'aggraver et le bilan humain devient véritablement catastrophique.

À plus long terme, la solution à deux États, à laquelle beaucoup se raccrochent aujourd'hui, conserve-t-elle d'après vous de la substance, alors que l'Autorité palestinienne manque assez sérieusement de légitimité et qu'Israël ne peut concevoir de discuter ou négocier avec des représentants du Hamas ?

En somme, nous vous interrogeons sur deux éléments différents : d'une part, sur vos perceptions des acteurs du monde arabe et du monde israélien et de leurs modes de réaction ; d'autre part, sur la crise en tant que telle. Ce sont évidemment deux angles assez différents et je comprendrais très bien que vous ne puissiez pas les traiter en totalité.

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