Intervention de Jean-Noël Barrot

Séance en hémicycle du mardi 26 mars 2024 à 15h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe :

Je salue l'initiative du président Sacha Houlié dont le travail ouvre un chantier essentiel dans un contexte d'intensification de démarches engagées par des puissances étrangères. Ces actions peuvent revêtir plusieurs formes, depuis l'influence dans le débat public jusqu'à l'ingérence avérée dans nos processus démocratiques.

Si cette initiative est si bienvenue, c'est parce qu'elle s'attaque à ce qui est sans doute l'un des traits les plus communs aux différentes formes d'ingérence, qui avancent, masquées, insidieuses, sans dire qui elles sont ni d'où elles parlent : en l'absence de mode d'emploi ou de sous-titres, la meilleure des armes dont nous disposons face à ces opérations d'ingérence, c'est la transparence. Cette volonté politique forte d'assurer la transparence du débat démocratique trouve sa traduction dans la proposition de loi de Sacha Houlié, Thomas Gassilloud et Constance Le Grip, et je les en remercie.

Ce texte visant à prévenir les ingérences étrangères en France, qui a le mérite de permettre de sortir de la naïveté, voire de l'aveuglement dans lequel nos sociétés se sont trop souvent enfermées, s'inscrit dans le prolongement du travail mené par le Gouvernement. Celui-ci a en effet créé, en 2021, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, baptisé Viginum, dont l'équipe réalise un remarquable travail d'identification et d'attribution des opérations de désinformation ciblant notre pays, et, en 2022, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'est doté d'une sous-direction chargée d'assurer une veille sur les entreprises de désinformation nous visant, et de construire une réponse stratégique adaptée.

Comme le rapporteur à l'instant, je tiens à rappeler la réalité de ces opérations d'ingérence en citant quelques exemples d'opérations de désinformation que le Gouvernement, grâce au travail de ses équipes, a pu commencer à dénoncer publiquement.

Révélé au grand public le 12 février par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, et ses homologues polonais et allemand, le réseau nommé Portal Kombat est constitué de 193 sites dormants relayant des publications provenant principalement de comptes de réseaux sociaux, d'agences de presse et de sites d'institutions russes. Son objectif était de présenter sous un jour favorable la guerre d'agression russe en Ukraine, et de dénigrer l'Ukraine et ses dirigeants, en recourant à l'automatisation pour assurer une diffusion massive de ces publications, ainsi qu'à des techniques d'optimisation des moteurs de recherche, afin de polariser le débat public francophone via le portail pravda-fr.com, qui ciblait spécifiquement l'espace numérique francophone. En outre, 355 noms de domaines imitant ceux de médias reconnus ont été identifiés – dont quatre reprenaient l'aspect visuel de journaux français, comme 20 Minutes, Le Monde, Le Parisien et Le Figaro – et ont servi à publier au moins cinquante-huit articles. Et, fin mai 2023, la campagne prenait une nouvelle ampleur avec l'usurpation de l'identité du site internet du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Je salue donc le travail du président Sacha Houlié, dont le texte, issu d'un rapport sur les ingérences étrangères élaboré par la délégation parlementaire au renseignement – sous l'égide de sa présidence et en collaboration avec le sénateur Christian Cambon –, complète utilement le travail engagé par le Gouvernement. Ce rapport, nourri de nombreuses discussions avec les ministères concernés, a d'ailleurs été adopté à l'unanimité, ce qui illustre une volonté commune – que je salue – de sortir de la naïveté. Face à la multiplication des entreprises d'ingérence, c'est évidemment toute la société que nous devons accompagner afin de renforcer son niveau de vigilance. Nous devons comprendre que les initiateurs de ces opérations d'ingérence pensent à long terme et diffusent progressivement des récits dans le débat public pour influer sur des décisions que nous devons prendre souverainement. En traduisant concrètement les recommandations du rapport de la DPR, cette proposition de loi lance un premier chantier nécessaire qui contribuera à l'éveil des consciences.

Afin de renforcer la transparence sur les entreprises d'influence à l'œuvre en France – et je tiens à préciser que toutes ne sont pas nécessairement hostiles à nos intérêts fondamentaux –, le texte que nous allons examiner prévoit, entre autres, l'obligation, pour certaines personnes et organisations agissant pour le compte de puissances étrangères et financées par elles, de se déclarer sur un registre dédié. Pour assurer la transparence de leurs démarches sur notre sol, il est utile de les connaître et de les identifier.

En outre, le texte élargit les capacités de nos services de renseignement en leur permettant d'utiliser des technologies avancées pour mieux détecter les entreprises d'ingérence. Organisées par nature, celles-ci répondent en effet à des schémas plus facilement identifiables grâce au recours à des algorithmes permettant l'analyse de grandes quantités de données. Encadré par le code de la sécurité intérieure, cet usage sera évidemment proportionné et circonscrit à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la nation.

Nous débattrons également des mesures qu'il convient de prendre pour sanctionner plus fortement les personnes se rendant coupables d'ingérence étrangère sur notre sol. L'article 4 de la proposition de loi a ainsi vocation à évoluer dans le cadre de la navette.

Si les enjeux, considérables, ne se limitent évidemment pas au présent texte, celui-ci prévoit plusieurs avancées décisives que le Gouvernement souhaite accompagner, d'abord à l'Assemblée cet après-midi, puis, s'il devait y être prochainement inscrit à son ordre du jour, au Sénat. Il ne s'agit pas ici de légiférer uniquement pour le présent mais bien de forger des outils qui garantiront la sécurité et la stabilité de notre démocratie pour les générations à venir. La désinformation, la manipulation, ne sont que quelques-unes des tactiques utilisées contre nous. Et pour illustrer à la fois l'étendue de la matière et l'engagement des parlementaires, je tiens à saluer en particulier le travail des membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. L'information est un enjeu primordial, et leurs contributions comme le rapport publié en amont des états généraux de l'information, en lien avec les professionnels du secteur, sont autant de témoignages de leur engagement pour la qualité de l'information dans nos démocraties libérales.

En légiférant pour lutter contre les influences et ingérences étrangères, le Parlement montre aussi la voie à nos voisins européens et à nos alliés à travers le monde. Les premiers accomplissements de la France en la matière sont très suivis et inspirent nombre de nos partenaires en proie aux mêmes défis que toutes les sociétés ouvertes, démocratiques et libres. Vous l'avez compris, le Gouvernement accompagnera donc le Parlement dans sa volonté de continuer ce travail indispensable.

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